Rappel du premier message :



Ce qui était magique avec ma famille (on se doute que quand j’utilise cet adjectif, c’est déjà mal parti), c’était que même en ne les voyant pas pendant des décennies et en étant à mille lieues d’eux, ils arrivaient à me surprendre. C’est con, j'aime pas des surprises. Ni les gosses. Et voilà que, surprise, je me retrouvais face à la mioche du Morpion (plus si gosse que ça, lui, faut croire). Ah, et ce même Morpion avait failli se faire éventrer par son dernier patron. C’est malin. La dernière fois il avait eu la présence d’esprit de prendre les devants.

Résultat des courses… ben c’était jusqu’à nouvel ordre moi qui écopait de la mioche. Pourtant même dans les Enfers personne aurait essayé de me faire garder des mômes. J’aurais probablement pu la planter là — d’autant plus qu’elle n’avait pas l’air d’être une chouineuse, c’était déjà ça — mais ben… appelez ça comme vous voulez, sens du devoir, honneur ou autre connerie dans le genre, je préférais voir si cette môme savait se débrouiller avant de la lâcher seule dans la nature. On sait jamais, au cas où c’était une des moins dégénérés de la famille, ça serait con qu’elle crève bêtement.

Nous voilà donc sur la route pour Isotier, dans la joie et la bonne humeur. Ou pas. Faut pas pousser quand même. D’ailleurs, ça faisait bizarre de me dire que j’allais faire plus qu’un bref bout de chemin avec quelqu’un. Ca m’était plus arrivé depuis la mort de Vraneï.

Je m’attendais à moitié que l’autre monstre vienne nous gober, mais non. Les dragons d’Heavensaw étaient décidément apathiques. Bon, ben tant mieux hein. Ca permettait d’économiser de l’énergie et ça aurait été con de crever comme en-cas pour dragon de flotte.

Subrepticement, Than s'approche de sa tante. L'aiiir de riiien ! Elle a le droit de nager près d'elle, non ? Regardant le ciel, rien d'anormal, se laissant aller… AVANT D'ENVOYER UNE GERBE D'EAU DANS SA DIRECTION !

Elle devait vraiment venir me coller le Chaton ? Un océan entier et fallait qu’elle se rapproche, sérieusement ? Je m’étais entre-temps mise à flotter sur le dos, appréciant le contraste entre l’eau froide en-dessous de moi et les rayons du soleil au-dessus… jusqu’à me prendre de l’eau en pleine figure. Ma réaction (potentiellement décevante) se limita à cligner des yeux en réaction automatique à l’impact de l’eau salée. « T’as quel âge, déjà ? »

"L'âge n'a pas de prise sur des esspriiits comme nous ! dit Than d'un ton moqueur, cherchant à imiter les elfes (pas forcément noirs). Ce qui signifie que je suis ou bien un caillou ou un enfant, j'ai choisis l'enfant !"
Devinez qui est le caillou.

« Quelle drôle d’idée. » Oui, j’assumais mon rôle de caillou. Un caillou qui flotte, certes, comme le prouvait ma position actuelle, mais tout aussi assommante quand je le voulais. Et très franchement, le comportement de la gamine prouvait que si, l’âge (ou le manque d’âge) avait bel et bien prise sur son esprit.

"J'espère que mon père sourit plus souvent que toi. Tu n'as jamais barboté aux Enfers, j'présume. Cet endroit ne donne vraiment pas envie !" bavasse Than en faisant des cercles autour de son interlocutrice.

« Correct sur tout la ligne. » À vrai dire je ne pouvais pas vraiment être sûre que le morpion souriait plus que moi vu que ça faisait un bail que je l’avais plus vu (et les gens ont de base tendance à faire la tronche quand je suis dans le coin, ça fausse les statistiques), mais c’était en tout cas le souvenir que j’avais de lui. Bon, ça n’en faisait pas encore spécialement un boute-en-train, mais ça restait plus joyeux que moi.

Barboter c'est bien mais ce n'est pas aussi cool qu'un peu d'action. L'elfette repense à leur vengeance prochaine, son sang boue à l'idée que les ennemis tardent à les retrouver. Pourtant Yenlu ne détecte encore aucune venue suspecte. La chasseresse plonge la tête sous l'eau et nage scrute les profondeurs marines à la recherche de poissons facile à attraper avec les mains. Cela leur fera un bon déjeuner avant le massacre.

Tiens, le Chaton était reparti à la chasse aux monstres. Ma foi, si ça l’amusait. J’étais pas sa mère après tout. Et même si ça avait été le cas, les combats forment la jeunesse (sauf si on s’en tire pas, mais dans ce cas c’est qu’on était pas doué ou con ou les deux). Pour ma part, barboter me convenait parfaitement. Le va et vient des vagues était particulièrement agréable.

Violence envers un poisson :

Un va-et-vient que Than perturbe quelques secondes plus tard en remontant à la surface avec un poisson agité entre les doigts. La chose se débat de toutes ses forces, battant l'air avec sa queue et cherchant à échapper à ses griffes. L'elfette nage jusqu'aux rochers à la force de ses jambes. Là-bas, elle frappe le futur déjeuner contre les rochers jusqu'à la mort. L'opération fait beaucoup de bruits.

Violence contre un autre poisson :

L’autre ne tenait décidément pas en place… mais fallait p’têt que je m’active aussi un peu si je voulais pas passer pour une incapable de chasser (ou une profiteuse, mais ça ça me dérangeait moins). Je me mis donc en mouvement et plongeai sous les vagues à la recherche d’un repas digne de ce nom. Je ne tardai pas à trouver un poisson qui ferait l’affaire, remontai à la surface ma prise en main et me hissai sur les rochers avant de lui couper la tête d’un unique coup de poignard. Autant éviter d’attirer un prédateur quelconque avec l’odeur du sang dans l’eau.

Sans prendre la peine de se sécher, Than extirpe de son manteau qui reposait sur la terre ferme son couteau de cuisine, aussi bien pour le poisson que le gibier. Elle vide les entrailles comme le ferait un pêcheur professionnel. Elle s'éloigne vers la forêt avant de revenir avec des citrons, ensuite elle découpe le poisson et l'étale sur une natte de feuille.
"À quand remonte ton tout premier meurtre ?"
Histoire de faire causer sa tante.

Elle avait clairement déjà fait ça avant, ce qui était plutôt rassurant pour quelqu’un qui se prétend chasseresse. Un truc de moins à lui apprendre. « Meurtre meurtre, ou simplement la première fois que j’ai tué quelqu’un intentionnellement ? » Parce que mine de rien, la date différait vachement.

Than ne s'attendait pas à une réponse de ce genre.
"Je ne vois pas bien la différence… Tu veux dire : prémédité de longue date, c'est ça ?"

Je ne pris de nouveau pas la peine de retenir mon soupir. On lui avait vraiment rien appris à cette gamine. « Non, je veux dire qu’il y a une différence entre tuer quelqu’un en combat et tuer quelqu’un qui ne peut ou sait pas se défendre, que ce soit parce que tu le prends par surprise ou parce qu’il en est incapable. »

Than ne voit pas où Larae veut en venir et cette discussion commence à l'agacer, en particulier le regard méprisant de sa tante.
Tu vas répondre à ma question, oui ou non ?
"Je ne vois pas en quoi cette différence importe. J'ai tué des gens qui n'avaient aucune chance contre moi ou en avaient. Un meurtre reste un meurtre. Raconte-moi juste un truc au lieu de faire ta pointilleuse."

« Si les compétences de l’adversaire t’importent si peu, pourquoi tiens-tu tant à te mesurer à un dragon plutôt que de continuer à chasser le lapin ? », répliquai-je. « J’avais 23 ans quand j’ai tué quelqu’un en combat pour la première fois », et pas de permission de sortie, oups, « et un peu plus de trois siècles quand j’ai tué quelqu’un d’incapable de se défendre pour la première fois. J’ai 4 siècles et… ça doit faire une vingtaine d’années depuis le temps ? Donc fais le calcul si tu veux les dates exactes. » Passé un certain âge, une année de plus ou de moins ne se remarque pas vraiment.

Than ne comprenait décidément pas ce que voulait dire sa tante. Tuer un lapin est le premier pas pour tuer un dragon. Mais la suite la choqué plus.
"TANT QUE ÇA ?!" s'exclame Than sous le coup de la surprise.
À Isotier, même les bébés tuaient ! Et il fallait savoir au moins esquiver les tessons de bouteille d'ivrogne avant de marcher et de pouvoir assommer leur lanceur.

L’exclamation de la môme ne reçut pour réponse immédiate qu’un sourcil levé. « Ni les Enfers ni les champs de bataille de la Brèche ne sont des endroits où j’allais croiser des adversaires sans défense à tuer sans combat. » Pour moi, cela tombait sous le sens, pour elle apparemment pas.

"Qu'est-ce que tu baragouines ? Tu as tué pour la première fois à 23 ans ?"
C'était ÇA qui l'avait choquée.

Ah, c’était ça qui l’étonnait ? « J’allais pas tuer ma famille ou les soldats du domaine, si ? Pas que j’en aurais été capable à cet âge-là de toute façon. » Et c’était avant la naissance d’un certain asticot baveux qui m’avait donné plus d’une fois des envies de meurtre. Mais je me serais attirée les foudres de la matriarche, ce que j’avais assez d’instinct de survie pour éviter.

Il est plus étonnant encore pour Than de rester chez ses parents jusqu'à ses vingt-trois ans que de tuer à cet âge. Passée quatorze ans, Than ne dormait pas toujours au lupanar de sa mère, bien avant de suivre Errik pour une formation de chasseresse active et non d'aguicheuse passive.
"Comment est le reste de cette famille, déjà ?"

« Moitié mages, moitié guerriers, tarés à divers degrés. » Et la majorité était restée dans les Enfers, sans compter que je n’avais toujours aucune intention de l’envoyer sur les traces du Prodige Magique. Des deux frangins que j’avais de ce côté de la Brèche, le Morpion était sans nul doute le plus inoffensifs.

"Oh ? Alors je suis la première archère de la famille ? Qu'ils viennent, je vais leur faire v-- Than s'arrête en plein milieu de sa phrase. Son regard se tourne vers les terres. "Un groupe à cheval vient vers nous !"
À tendre l'oreille elfique, des bruits de sabots se font entendre mais la chasseresse a été prévenue plus tôt grâce à l'intervention télépathique de Yenlu.

Un des avantages à avoir une longue carrière derrière moi ? Être capable de récupérer mon armure et me rhabiller intégralement en moins de temps qu’il n’en faut à un archer pour bander et décocher. Bon, mes cheveux étaient encore lâchés, mais c’était un détail. C’est donc entièrement équipée et épée en main que je vis arriver la troupe de bras cassés. « C’est-y pas magique ? Ils nous amènent la bagarre à domicile ! » Et ils savaient pas viser, comme en témoignait la flèche venue se planter entre nous deux. « T’es pas la seule archère de la famille, au fait. Mon frangin aîné ne jure que par l’arc. » Ce qui, pour un guerrier, la fout mal.