Rappel du premier message :



Ce qui était magique avec ma famille (on se doute que quand j’utilise cet adjectif, c’est déjà mal parti), c’était que même en ne les voyant pas pendant des décennies et en étant à mille lieues d’eux, ils arrivaient à me surprendre. C’est con, j'aime pas des surprises. Ni les gosses. Et voilà que, surprise, je me retrouvais face à la mioche du Morpion (plus si gosse que ça, lui, faut croire). Ah, et ce même Morpion avait failli se faire éventrer par son dernier patron. C’est malin. La dernière fois il avait eu la présence d’esprit de prendre les devants.

Résultat des courses… ben c’était jusqu’à nouvel ordre moi qui écopait de la mioche. Pourtant même dans les Enfers personne aurait essayé de me faire garder des mômes. J’aurais probablement pu la planter là — d’autant plus qu’elle n’avait pas l’air d’être une chouineuse, c’était déjà ça — mais ben… appelez ça comme vous voulez, sens du devoir, honneur ou autre connerie dans le genre, je préférais voir si cette môme savait se débrouiller avant de la lâcher seule dans la nature. On sait jamais, au cas où c’était une des moins dégénérés de la famille, ça serait con qu’elle crève bêtement.

Nous voilà donc sur la route pour Isotier, dans la joie et la bonne humeur. Ou pas. Faut pas pousser quand même. D’ailleurs, ça faisait bizarre de me dire que j’allais faire plus qu’un bref bout de chemin avec quelqu’un. Ca m’était plus arrivé depuis la mort de Vraneï.

Surprise des surprises : je ne mis pas longtemps pour tomber sur un visage connu. Et quel visage : un des anciens de mon bataillon ! Une des rares personnes en vie à qui je faisais réellement confiance. C’est donc autour d’un verre dans une des nombreuses tavernes du port que j’eus un début de piste… ou plutôt de cul-de-sac. Il voyait de qui je parlais, et le bateau du pirate était parti en mer quelques semaines plus tôt. Tant pis, il faudrait attendre pour lui trancher la gorge. Ses sbires, par contre…

Than choisit sa cible et lui demanda dans une ruelle sombre (couteau sous la gorge cela va sans dire) :
"Est-ce que le bon Samaritain est au port ?
- Quoi ? Lui ?! Il n'est plus en ville en ce moment. Je sais qu'il est parti il y a une semaine.
- Quel bateau ?
- L'Encre Noire je crois..."
Hum, que faire si leur cible n'est pas là ?

Après une heure dans la taverne, j’avais le nom de quelques lieutenants de la bande du pirate et des débuts de piste pour les trouver. Je pris donc congé de mon ancien frère d’armes de plutôt bonne humeur (tout est relatif). Cette bonne humeur ne mit pas longtemps à se casser la gueule : mes pas croisèrent ceux d’un moucheron qui se disait barde et conteur des aventures des héros de ce monde. Tu parles. Il m’avait déjà tenu la jambe pendant une soirée et coûté une fortune en bière pour garantir son amnésie le lendemain. Et il en redemandait, le con. Quelques chopes lui délièrent la langue, et ajoutèrent des bouts à mes débuts de pistes.

Than ne perd pas espoir de mettre le "Bon Samaritain" face aux conséquences de ses actes. Elle peut foutre un bordel monstre dans son équipe le temps qu'il rentre de son petit séjour en mer. Il lui reste encore jusqu'au début de soirée pour trouver des noms et ne pas quitter Isotier sans avoir fait un bon carnage. Elle rattrape donc son informateur pour lui arracher les noms des concernés et plus tard obtenir son silence.

C’était décidément la journée des rencontres fortuites ! À peine m’étais-je débarrassée de l’autre gêneur de barde, que je tombai sur un contrebandier avec qui j’avais déjà travaillé plusieurs fois. Malheureusement, malgré sa bonne volonté (je l’avais tiré d’assez de mauvais pas pour qu’il ait du boulot avant de me rendre la pareille), il ne m’apprit rien que je ne sache pas déjà. Tant pis, ou tant mieux puisque ça voulait dire que je pourrais sans problème de nouveau le solliciter à l’avenir.

Than tire donc le nom de l'acolyte du pirate, il ne lui reste plus qu'à retourner à l'auberge pour perpétuer le masacr... la justice !
De son côté Yenlu a trouvé un bon rat pour se repaître, un hibou garde ses besoins en nourriture et ce n'est pas Than qui va brider son instinct.

J’aurais peut-être pu trainer plus longtemps encore dans les rues d’Isotier, voir si la populace nocturne avait des informations supplémentaires, mais j’en savais déjà assez pour faire un premier débroussaillage, ça suffirait pour le moment. Je regagnai l’auberge alors que le soleil se rapprochait de l’horizon.

Than était passé voir Tabac et le cheval de sa tante. L'animal s'agita en voyant sa nouvelle compagne de dos. L'elfette passa un peu temps avec lui avant de retourner à l'intérieur de l'auberge.

Les nouvelles circulent vite à Isotier, et je ne fus donc pas surprise d’apprendre que l’auberge avait vu passer quelques mercenaires potentiellement à ma recherche en mon absence. Entre les acolytes du pirates qui avaient dû repérer le nom de Niraen et d’anciennes connaissances qui me préféraient morte plutôt que vive, je n’avais pas que des amis dans cette ville. Qu’importe : ça ne m’avait pas empêché de survivre jusqu’ici.

Than retrouve enfin sa Tantiiiiine ! Oh, elle ne fera pas l'hystérique surtout pas devant tout le monde, même pour le plaisir de voir sa tante se sentir mal à l'aise et bougonner comme un ours. À la place, s'approcha furtivement de cette dernière.
"La pêche a été bonne ?"

Elle s’en sortait pas trop mal niveau furtivité, la gamine. Si j’avais pas été constamment aux aguets (une habitude qui se prend vite dans les Enfers, et les siècles de guerre et mercenariat n’avaient fait que la renforcer), elle m’aurait probablement surprise. « Pas mauvaise. Et la tienne ? » Maintenant serait le moment pour voir ce qu’elle valait quand elle traquait une proie autre qu’un animal sauvage.

"Mauvaise mais pas dans le même sens, ce n'est pas la bonne saison. Le poisson est en haute mer. Il faut attendre que l'Ancre Noire retourne au port pour espérer avoir plus de chance. Mais en attendant, je connais une autre espèce de poisson à pêcher !"
Ce dialogue codé amuse assez Than. Elle n'use pas d'une subtilité incroyable mais comme elle ne connaît pas beaucoup sa tante, elle ignore également le niveau de subtilité de celle-ci.

Elle jouait à quoi la gamine ? Elle croyait sérieusement qu’après un après-midi à retourner les bas-fonds d’Isotier à la recherche d’un gang bien spécifique, ça avait le moindre sens de cacher nos activités ? Mais au moins elle ne revenait pas les mains vides, c’était mieux que ce à quoi je m’attendais. Je fis signe à l’aubergiste de venir vers notre table, et commandai une bière et une portion de ragoût. « J’imagine que tu risques toujours pas l’alcool ? »

"L'alcool c'est pour fêter un succès. Avons-nous quelque chose à fêter ?" demande Than.
De plus, elle articule silencieusement les lettres T.A.N.T.I.N.E. pour bien l'énerver.
"Ce sera un ragoût et un thé au thym frais pour moi, aubergiste !"
Oui, Than ne boit pas de l'alcool à la moindre occasion. Et non elle ne se laissera personne la convaincre du contraire. L'alcool n'apporte aucun bien à l'organisme, juste un peu d'énergie à l'occasion, autant manger du pain.

« Tiens donc ? Et tu fêtes quoi comme succès habituellement ? » Et si tu crois que ton dernier mot est passé inaperçu par son silence, tu te fourres le doigt dans l’oeil. Une chance que cette gamine risque pas de mettre les pieds dans les Enfers, ou je donnais pas cher de sa peau.

"Ouuuh ! Technique d'évitement, je vois ! Mais c'est moi qui ait posé la question la première ! Est-ce que l'on fête quelque chose ce soir ?!"
Than, chiante ? Nooooooooooooooooon !
Et parce que c'est aussi une elfe noire, elle s'attend à s'en prendre une. Sa mère n'était pas une tendre avec elle mais heureusement, elle apprenait vite et évitait bien.

Butée, la petite. Vous m’direz, valait mieux ça qu’une lavette qui ployait tout de suite. Tant qu’elle était capable de comprendre quand il valait mieux qu’elle tienne sa langue plutôt que de jouer à la maligne, ou elle risquait de s’attirer des bricoles. « Pas que je sache. Et si t’attends que j’aie quelque chose à fêter, tu risques de rester à la tisane pendant longtemps. » Peut-être même indéfiniment, qui sait.

"Je bois ce que je veux, quand je veux, la vi-ielle !" réplique Than. Dans un autre cas de figure, elle aurait mis sa tante au défi de boire plus qu'elle sans se sentir mal mais de un elles avaient une mission et très peu de temps pour l'accomplir.
"Et toi, de ton côté ? qu'as-tu appris ?"

Nos commandes arrivèrent, coupant le ricanement que son qualificatif avait déclenché. Je ne répondis donc pas tout de suite à la question, préférant d’abord entamer mon assiette et laisser à la serveuse le temps de s’éloigner. « J’ai quelques portes auxquelles frapper pour commencer à faire le ménage. Avec un peu de chance ça le fera rappliquer au port plus vite, et sinon c’est toujours des gêneurs en moins. » La routine, en somme. Tout comme ma prochaine pique. « T’as pas fréquenté beaucoup d’elfes jusque là, pas vrai ? »

Than ne comprend pas le but de la dernière question de sa TANTE.
"En effet, un petit oiseau te l'a sifflé ?"
Elle n'est guère surprise que Larae ait pu le déduire. Les balades de Than sont si solitaires d'habitude (avec Yenlu mais Yenlu fait quasi partie d'elle maintenant).

« Dans ce cas, c’est toi le petit oiseau. » Bon allez, j’allais pas la tenir en haleine encore deux siècles. « Tu utilises le qualificatif ‘vieux’  comme une boutade, une pique, comme les autres races aiment se moquer de leurs aînés. Envers un elfe, c’est l’inverse : mettre l’accent sur la vieillesse est une marque de respect. » Ben quoi ? Mine de rien j’avais reçu une éducation plus que complète avant d’être envoyée en balade à travers le portail brillant qui venait de s’ouvrir. Et autant dire que dans les Enfers, j’avais pas intérêt à me planter et insulter un ancien par accident.

Than n'avait pas pensé à cela. Sa mère ne vivait pas avec d'autres que sa race et n'avait jamais mis l'accent sur son âge avancé de trois cents ans.
"Normal que les autres races le font, le vieux ont commis plus d'erreurs que les jeunes, c'est logique. Et je n'ai pas l'impression que le manque de respect ou la marque de respect te dérange, si ?"

« Correct. » D'une part parce que les lèche-pompes m'insupportaient, de l'autre parce qu'au jeu de celui qui insultera le plus son interlocuteur, je sortais systématiquement gagnante. « Parmi les autres races, les aînés perdent aussi en condition physique et perdent parfois la boule. Chez les elfes rarement. » Un problème de plus avec ces mômes nés de l'autre côté de la Brèche : il fallait leur expliquer des trucs qui auraient dû être des évidences.

Il n'échappe pas à Than que les dragons pensent comme sa tante.
"D'accord, je retire "vieille", je t’appellerai dorénavant "moralisatrice". En attendant, j'attends toujours ma réponse au sujet qui nous intéresse : le poisson en haute-mer."

« Moralisatrice », hein ? J’en connaissais qui se marreraient bien s’ils l’entendaient insinuer que je me préoccupais de la morale. Et je m’en foutais bien. « Eh bien en ce qui concerne le poisson, demain je t’apprends la pêche à l’appât. Et pour ça, on va changer de gibier par rapport à ce que tu traques d’habitude. » Pas que ça changerai des masses : une cible est une cible, une jugulaire est une jugulaire.