Patya s'installa à sa table et sortit ses affaires comme ses camarades. Il s'efforça d'être le plus naturel possible quand le Père Micha s'approcha de lui. Concentré, il saisit un crayon et écouta attentivement.

Micha s'assit en face de Patya et reprit tranquillement la leçon de la veille, comme si tout était normal. Ce n'était pas la première fois qu'il s'occupait personnellement un enfant malade qui revenait en classe. "Tu as tout compris, Patya ?" demanda-t-il une fois la partie théorique terminée. "Si c'est le cas, nous allons pouvoir passer à la pratique avec des exercices. Et ce n'est pas grave si tu n'y arrives pas du premier coup." Il espérait que Patya saisissait qu'il parlait aussi de la zoothropie.

D'accord. Patya ne saisit pas. Du moins eut-il un doute, avec un peu de retard, qui le frappa quelques minutes après seulement. Il en rata ses calculs et regarda sa feuille sans comprendre ce qui clochait. Le nombre obtenu était bien trop grand.

"Ce n'est pas grave. C'est un entraînement, tu peux te tromper. C'est le jour de l'épreuve qu'il ne faut pas se rater." commenta Micha en prenant la feuille pour corriger l'exercice. "Regarde, Patya, tu t'es trompé là car tu as mélangé ces deux nombres et..." L'explication mathématique prit une petite minute. "Tu as compris ?"

Patya s'efforça d'être attentif alors que son esprit cherchait de tout cœur à interpréter chaque mot du Père Micha. Je crois, répondit-il avec une petite hésitation. Il reprit son calcul, buta un instant dessus, mais parvint à se concentrer suffisamment pour le réussir. Cependant, il fut incapable de s'en réjouir. Sa petite tête était trop pleine. Mais il se força à sourire. Mathématiques ou métamorphoses, tout examen allait lui demander beaucoup de concentration.

"C'est très bien, Patya." le félicita chaudement Micha en souriant. "Je te donne un dernier problème du même genre pour consolider cet acquis puis tu pourras avancer avec le reste de la classe. Nous allons bientôt mettre en commun le début de nos calculs." Il écrivit rapidement sur la feuille un nouvel énoncé et la tendit à Patya.

Encouragé par la voix chaude du prêtre, Patya fit de son mieux pour écarter les pensées parasites. Il se concentra et cette fois, réussit du premier coup. Du moins était-il presque sûr de ne pas s'être trompé. Un peu rasséréné, c'est un sourire plus franc qu'il adressa au Père Micha en glissant sa feuille dans sa direction.

La petite angoisse totalement passée, Patya profita pleinement du moment de détente accordée par le prêtre. Laissant aller son esprit, il dessina des animaux : deux vaches de son père qu'il aimait bien, la chèvre du voisin qu'il adorait, et un chien qu'il ne connaissait pas, mais à qui il attribua la couleur sombre de ses propres... pattes. L'animal avait l'air gentil et la langue pendante de celui qui vient de jouer.

Micha avait laissé les enfants dessiner calmement, préférant se perdre dans la traduction d'un vieux livre théologique écrit en latin. Quand la cloche de 15h sonna, Micha leva les yeux de son projet en souriant : "Allez vous dégourdir les jambes, mes petits. Nous finirons la journée par de l'écriture."

Les enfants s'égayèrent au dehors. Patya se mêla à eux, avec une petite appréhension cependant à cause de l'incident de l'avant-veille. Ne sachant pas encore comment bloquer la transformation, il s'efforça de se visualiser lui-même en train de courir sur ses deux jambes bien humaines et pour calmer son cœur, il repensa au chant du Père Micha. Impossible de dire si c'était là sa solution, mais rien n'arriva. Rien d'extraordinaire en tout cas.

Micha gardait un oeil sur les enfants depuis la porte de l'église mais ne fit pas mine d'intervenir : Patya semblait bien se débrouiller tout seul.

Pris dans le jeu, il cessa d'y penser et profita pleinement du grand air et du ballon avec ses camarades. Bien que dans l'équipe perdante, il riait à la fin de la partie, les joues rouges et en nage.

Au bout de vingt minutes, durant lesquels il avait balayé l'église pour s'occuper les mains, le prêtre sortit dehors appeler les enfants. "Nous reprenons la classe dans cinq minutes. Allez boire et vous débarbouiller." Après tout, ils venaient de courir et de jouer dans la boue de cet automne pluvieux.

Dans un joyeux désordre, les enfants revinrent vers l'école, burent et se débarbouillèrent comme le leur conseillait le Père Micha, et retournèrent à leur place dans un calme relatif. Patya rangea les crayons qu'il avait laissé en plan et serra les mains sur son bureau en attendant les nouvelles directives.

Patya ouvrit son cahier et nota consciencieusement ce qu'il retenait de chaque passage. Quand vint son tour, il posa son crayon et lut à voix haute les trois phrases suivantes. Sa lecture n'était pas encore fluide, il buta quelques fois, mais alla jusqu'au bout à son rythme. Puis il passa le livre à son voisin et se dépêcha de noter quelques mots sur son propre passage — et il se rendit compte qu'il s'était tant concentré sur le déchiffrage qu'il n'avait rien retenu de sa propre lecture.

Micha félicitait chaque enfant, qu'il lise avec fluidité ou bute sur les mots, tant qu'il y avait la volonté de l'apprentissage dans leur tâche. Voyant que Patya n'avait pas réussi à retenir ce qu'il avait lu lui-même, il s'arrêta à sa table pour lui souffler, une oreille attentive vers son autre oreille : "Essaye de relier les wagons avec logique, ça va revenir."

Il hocha gravement la tête et reporta son attention sur sa feuille. Il relut ce qu'il avait noté de chaque passage et combla le vide de façon à donner un sens au déroulement du récit. Cela lui prit plusieurs minutes, mais, enfin satisfait, il posa son crayon et se pencha vers on voisin, un garçon d'un an plus jeune qui lui demandait de l'aide pour l'orthographe d'un mot difficile. Cependant, Patya ne savait pas non plus et interpella discrètement le Père Micha.

Il était aux aguets de la moindre main levée, ou même de la plus petite moue inquiète, et ne put donc rater l'appel de Patya. Il se glissa à ses côtés avec un doux sourire et avisa rapidement le problème. Prenant le fusain des mains de l'enfant, il inscrivit le mot de son écriture élégante. "Recopiez-le plusieurs fois pour le retenir." leur dit-il avec un sourire encourageant.

Patya et son voisin se montrèrent attentifs et acquiescèrent en cœur. Patya retourna sa feuille et au dos, commença l'écriture répétée du mot. Au bout d'un moment, satisfait, il reposa son fusain et se promit d'y revenir dans quelques jours — s'il n'oubliait pas — voir s'assurer qu'il l'avait retenu. Il sourit à son voisin qui semblait content de lui également.

Une fois la lecture terminée, le prêtre énonça une liste de dix mots qu'il demandait d'apprendre par coeur pour une dictée (le mot sur lequel Patya et son collègue avait buté y figurait) et les renvoyant de classe avec un sourire. Alors qu'il les regardait s'égayer en courant dans les champs, son regard vague s'accrocha sur les nuages ; l'envie de voler le pressa soudainement. Il soupira en la repoussant fermement.

Revigoré par cette journée d'école normale et sans incident, Patya s'était élancé dans les chemins avec ses frères et sœurs. Au bout de quelques minutes pourtant, il les prévint qu'il retournait dire un mot au Père Micha. Olya lui fit promettre de faire vite, Oleg lui déconseilla d'y aller, Kostya l'ignora avec une moue et Dmitri lui demanda pourquoi sans obtenir de réponse. Patya leur fit un grand signe et revint sur ses pas. Ne trouvant pas le Père Micha dans l'église, il tenta sa chance dans le jardin.

Le prêtre s'occupait du buisson pour se sortir de la tête l'envie subite de se dégourdir les ailes qui l'avait pris après la classe. L'esprit accaparait par les soins, chantonnant doucement, il sentait refluer cet instinct dangereux avec soulagement. Il serait encore trop imprudent de se transformer dans un lieu qu'il commençait à peine à connaître. Le bruit de la porte le fit sortir de ses pensées et il sourit à Patya. "Tu as oublié quelque chose mon petit ?"

Patya sourit en découvrant le prêtre fredonner en s'occupant des plantes. C'était si éloigné de l'image qu'il avait d'un ecclésiastique jusqu'à l'arrivée du Père Micha... Et si naturel maintenant qu'il commençait à le connaître. Je voulais juste vous dire... commença-t-il en approchant un peu plus. Merci pour hier. Je me sens beaucoup mieux aujourd'hui. Un peu gêné, il ne savait plus quoi faire de ses mains. Je voulais juste vous le dire.