Les joues de Patya rosirent légèrement. De savoir le Seigneur en train de veiller sur eux avec tant d'attention l'emplissait de joie. Il ne regarderait plus jamais les fleurs de la même façon ! Il prit place près du prêtre, sur le banc, à l'ombre du hêtre, et regarda un instant les ombres jouer sur les graviers de l'allée. Est-ce que… est-ce qu'on est différent, quand on est un a-… Il expira nerveusement. Je veux dire, est-ce que ça nous… Il ne parvenait pas à formuler sa question correctement.

Le regard se fit encore plus doux, si possible. Doux comme du miel, comme un nuage, comme une plume. Le sourire l'était tout autant. "Alors apaise tes craintes. Il n'y a que l'Homme en toi qui pourrait faire du mal. Cela dit, l'animal a des instincts, et l'Homme aussi, et ces instincts sont plus puissants. Ils peuvent surprendre au début. Rien qu'un peu d'entraînement ne puisse arranger."

Patya frissonna légèrement, presque imperceptiblement. Il ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter un peu, malgré tout. C'était plus fort que lui. Mais il avait déjà tellement confiance en Micha qu'il ne doutait pas un instant d'y arriver. Pour ça, il allait devoir s'entraîner. J'ai un peu essayé, depuis l'autre jour, dit-il, désireux de faire autant d'effort qu'il serait nécessaire. C'est pas facile. Il leva un petit regard timide mais déterminé.

"Ce n'est peut-être pas facile mais ce n'est pas impossible." le rassura Micha en souriant gentiment. "Et tu as un avantage sur moi : tu es un enfant, tu apprendras plus vite. Plus tu essaieras, plus tu seras habile à maîtriser ta transformation. Mais promets-moi de faire attention au lieu, d'être toujours certain de ne pas te faire surprendre."

Il hocha la tête, la mine grave. Il connaissait les risques, ses parents lui en parlaient presque tous les jours. D'ailleurs, il avait fait ses essais en cachette tant il avait peur des conséquences. Dans un coin de la grange, à l'étage, recroquevillé derrière un ballot de paille. C'est promis, Père Micha, répondit-il de sa petite voix enfantine.

HRP :

"Bien !" Micha sourit gentiment puis son regard se fit plus pétillant. Il n'entendait personne dans l'église mais il se leva tout de même pour aller entrebâiller la porte du presbytère par prudence. Personne n'oserait entrer dans son domaine sans toquer au préalable. "Maintenant que ceci est réglé, je te propose d'essayer. Le buisson est une cachette rassurante pour ça." Il ne comptait pas lui imposer son regard, sachant à quel point ça pouvait mettre mal à l'aise. "Et tu n'es pas obligé, il va sans dire."

Patya jeta un œil au buisson avant de revenir au Père Micha. Le visage de l'enfant affichait toujours le même sérieux, mais quelque chose pétillait désormais dans ses iris bruns. Je veux essayer, répondit-il, persuadé qu'avec l'aide du prêtre, il ferait des miracles. Le buisson n'était pas le seul, à être rassurant. L'église, qu'il avait appris à aimer, puis à craindre pendant dix jours, redevenait un lieu de réconfort qui lui chauffait le cœur. Il se leva et sourit bravement, impatient de commencer.

Micha sourit gentiment à Patya et l'invita du bras à se diriger vers le buisson. "Fais le vide dans ton esprit. La peur n'y a pas sa place, ni la honte, Patya. Tu peux essayer de transformer ce que tu veux, les oreilles, les bras, les jambes, la totalité, à toi de voir mais sois certain de vouloir le faire."

Micha ne comptait pas faire pression sur le garçon. Il lui laisserait autant de temps qu'il lui faudrait. Alors tandis que Patya s'ingéniait à maîtriser sa zoothropie, le jeune prêtre reprit tranquillement son jardinage en babillant aux plantes et en chantonnant de façon audible, certain que sa voix pourrait apaiser son protégé.

Après plusieurs secondes d'une intense concentration, Patya ouvrit les yeux et fixa ses doigts. Il n'y avait rien. Quoique, une tache sur la peau, peut-être. Dépité, il faillit s'avouer vaincu, mais le chant de Micha lui rappela aussitôt où il se trouvait. Je n'abandonne pas, se dit-il. Il se redressa, inspira à nouveau, referma les yeux et cette fois, se concentra sur la mélodie qui flottait dans le jardin et autour de lui, se laissa envelopper.

Malgré lui inquiet par le hoquet qu'il venait d'entendre, Micha interrompit son jardinage pour s'approcher du buisson où Patya ne ressortait pas. "Tout va bien, mon petit ?" demanda-t-il doucement sans laisser transparaître son inquiétude qui pourrait passer pour un manque de confiance en l'enfant.

La transformation était loin d'être parfaite, ni même d'être complète. Mais elle était là et le petit garçon était fasciné. On voyait encore la paume à la base des mains, mais le reste n'était que coussinets, petites griffes et poils noirs. Loin d'être choqué ou effrayé comme il l'avait été les premières fois, Patya les trouva presque… belles. Sidéré, il leva un regard brillant sur le Père Micha qui approchait.

Un sourire s'épanouit sur le visage de l'enfant. S'il avait pu imaginé, deux semaines plus tôt, qu'il pouvait être félicité pour ça ! Curieux, il tendit diligemment un bras au Père Micha et attendit son expertise le cœur battant.

Le jeune prêtre prit délicatement la main-patte dans ses mains pour l'examiner minutieusement. "Un canidé, assurément. Regarde : les griffes ne peuvent pas se rétracter, les coussinets sont bien trop larges pour le leur permettre et elles sortent bien tout en haut. Mais je ne saurai pas dire de quelle espèce il s'agit." Il reposa la main-patte en souriant. "Maintenant, nouvel exercice : contrôler la re-transformation."

"Chien, oui. Renard. Ou loup ou tout autre animal apparenté." Micha se grattouilla le crâne avec une moue interrogative. "Je ne m'y connais pas suffisamment en reconnaissance animale, désolé Patya." Un petit sourire espiègle lui échappa. "Pour savoir, il va te falloir maîtriser ta transformation."