Ne vous inquiétez pas mon Père, vous ne nous privez pas, dit gentiment Nadejda, adossée à sa chaise, une main fatiguée sur son ventre rebondi. Elle ne mentait pas. La famille n'était peut-être pas riche à proprement parlé, mais elle ne manquait de rien malgré une marmaille nombreuse. Et si vous repartiez sans, vous pouvez être sûr que Patya vous en apporterait un à la première heure demain matin, ajouta Mikhaël. Le garçon rit timidement, mais c'est un peu de fierté qui brillait à cet instant dans son regard.

Plus de récriminations lui paraissait relever de l'insulte (ils semblaient si fiers de leur fromage et, surtout, si heureux de lui offrir... comment refuser désormais sans les blesser ?). Micha sourit donc doucement et accepta l'offrande avec des yeux lumineux. "Je n'ai pas assez de mots pour vous remercier de votre générosité... Et je ne voudrai pas que ce jeune garçon manque de sommeil." ajouta-t-il en décalant son sourire vers Patya.

Nadejda ne put retenir ses larmes à la vue des délicates plumes blanches. Elle se couvrit la bouche, touchée par ses mots comme si Dieu lui-même venait de lui envoyer un signe. Patya avait raison : le Père Micha n'était pas là par hasard. Elle fut incapable de prononcer un mot, mais son visage tout entier exprimait une gratitude sans limite.

Nadejda prit quelques secondes pour se ressaisir, déglutit pour ravaler l'émotion qui l'avait saisi si fort et fit de son mieux pour que sa voix ne soit pas trop chevrotante. Merci. Merci, dit-elle simplement. Quelques instant plus tard, Mikhaïl était de retour avec Patya, qui voulait absolument saluer le prêtre encore une fois avant d'aller se coucher. L'expression de sa mère le rendit un peu confus, elle le rassura d'une étreinte et d'un baiser dans les cheveux tandis que Mikhaïl posait un drôle de regard sur le Père.

Bonne nuit, Mon Père, dit sagement l'enfant. À demain à l'école ! lança-t-il gaiment avant de filer, poussé gentiment par sa mère qui fit un petit signe de la tête. Elle allait s'assurer qu'il ne sortirait pas du lit pour les regarder partir. Mikhaïl s'autorisa un petit rire. Après le drame du matin-même et l'angoisse de l'après-midi, c'était un sacré soulagement de voir son fils aussi joyeux. Allons-y, Mon Père. Profitons de la clarté de la lune avant que les nuages ne reviennent.

Mikhaïl débordait de reconnaissance. Grishka peut vous aider pour ça, dit-il en évoquant un habitant du village. Il répare nos bottes trouvées, il pourra sûrement faire quelque chose pour mettre vos pieds à l'abri de l'humidité. Il resserra son manteau et entraîna le Père dans la cour avec un grand sourire. Venez, on va prendre la charrette. J'ai pas envie de me retrouver en chaussette parce que la boue aura gardé ma botte !

"Grishka, vous dites ? J'irai le voir demain dans ce cas. Je..." Sa phrase fut avortée alors qu'il trébuchait et ne réussissait à ne pas s'étaler que par un fortuit sens de l'équilibre ; son soulier droit était resté coincé dans la boue. "Je valide la charrette, que le Seigneur me pardonne cette petite paresse. J'ai bien peur que mes souliers soient déjà bien vaincus par la boue." Micha réussit à dégager son pied sans perdre sa chaussure et rattrapa Mikhaïl en évitant soigneusement les endroits les plus humides.

Mikhaïl attela le cheval en camouflant un sourire. C'est drôle comme l'ange gardien envoyé du ciel pouvait paraître si humain quand la boue décidait de faire des siennes ! Il laissa le prêtre prendre place et s'installa à ses côtés avant de de saisir les rennes. Allez ma belle, lança-t-il à la jument, qui se mit en route sans autre forme de commande.

"Bonjour, toi." roucoula Micha en caressant les naseaux et le chanfrein de la jument avant de monter dans la charrette avec un soulagement évident. Une légère rougeur était encore perceptible sur ses joues ; il était quelque peu mortifié de sa presque déconfiture un peu plus tôt. Au moins, Mikhaïl pourrait assurer à Nadejda et Patya qu'il n'était qu'un homme, et non une forme d'envoyé céleste (la chose était encore plus gênante que se vautrer dans la boue).

Mikhaïl resta silencieux quelques minutes, profitant du son apaisant des sabots sur le chemin malgré quelques "chouik" de-ci de-là. Maintenant qu'il connaissait la nature du prêtre, il se sentait soulagé d'un autre poids : il pourrait confesser certaines choses sans condamner toute sa famille. La tension qui l'avait habité toute la semaine s'envolait avec les éclaboussures de boue sous les sabots de la jument. Vos premiers jours ici sont mouvementés, s'amusa-t-il, le cœur plus léger.

Mikhaïl gloussa du même rire que son fils quelques jours plus tôt. J'en dis que c'est une excellente idée et que vous ne manquerez effectivement pas de mains dans le voisinage pour vous aider ! Il ralliait ainsi les adultes dans l'embellissement de l'église, parfaitement conscient que beaucoup de ses concitoyens voulaient la voir plus colorées depuis longtemps. Il déposa le Père Micha juste devant l'église et le salua chaleureusement. Dieu vous bénisse, mon Père, dit-il en guise d'au revoir.

Guidé par la voix mélodieuse provenant du jardin, Patya rejoignit bientôt le Père Micha. Curieux, il le regarda un instant hors de vue avant de s'avancer tranquillement dans la petite allée centrale, bordée de fleurs et d'herbes aromatiques. Vous savez y faire, dit-il avec candeur et sans préambule en admirant les corolles bigarrées.