"Ta tête est encore jeune." rétorqua tout aussi sérieusement Micha. "Laisse-lui le temps d'apprendre à être maline." Il sourit en coin. "Elle l'est déjà beaucoup, sinon nous n'aurions pas trouvé tous ces champignons. Ce n'est pas grâce à moi en tout cas. Et je serai tellement perdu dans cette forêt sans toi." Et le sens de l'orientation du harfang en lui. Mais savoir où il allait instinctivement n'était pas une vraie connaissance.

Le cœur de Patya se gonfla de fierté. Il oublia que sous sa forme d'oiseau, le Père Micha aurait pu prendre de la hauteur pour retrouver la direction du village. Et bien sûr, l'enfant ne savait encore rien de l'instinct animal.
Papa m'a expliqué comment retrouver mon chemin, quand j'étais petit, dit-il avec candeur. Je vous montre ?

"Je serai ravi d'apprendre de ta sagesse, mon fils." lui assura Micha en souriant doucement, le regard attentif à la leçon à venir. Elle ne pourrait que lui servir pour une prochaine balade en solitaire : il ne pouvait pas toujours compter sur ses sens d'oiseau.

HRP:

La qualité la plus importante, dit-il en récitant les mots de son père, le regard pétillant, c'est l'observation. Il faut se créer des valises. (Il veut dire "balises", bien sûr.) En parfait miroir de son paternel — version miniature —, il tourne sur lui-même à la recherche d'un point d'ancrage, comme on lui a appris. Là-bas, il y a un petit pin qui pousse sur un rocher, vous le voyez ?

HRP :

Micha hocha la tête et suivit le mouvement pour commencer à mémoriser ses valises. "Je le vois, oui. Mais un petit pin est une ancre suffisamment remarquable pour nous aider ?" Il aurait sans doute la mémoire de s'en souvenir, en bon rat de bibliothèque qu'il était, mais il taquinait l'enfant avec un doux sourire.

Oui ! C'est rare qu'ils poussent sur les cailloux, explique-t-il avec entrain, sans voir la malice du prêtre. Et puis il est petit, on le remarque si on le cherche. Il le montre inutilement du doigt et poursuit. Quand vous marchez, vous le perdez pas de vue. Quand vous arrivez là-bas, vous voyez encore ici. Il montre le sol à ses pieds. Alors vous cherchez une autre valise et vous allez de l'une à l'autre, puis à l'envers pour revenir. C'est aussi brouillon qu'attentionné.

"Je... vois." Et il ne mentait pas. Il lui avait juste fallu un peu de temps pour comprendre tous ces mots désordonnés. "Et donc, après ce petit pin sur un rocher, quelle valise choisir ?" Ses yeux s'égarèrent sur une vieille souche envahie par de la mousse. "Pourquoi pas ceci ?"

C'est une très bonne valise, approuva Patya, mais il faut d'abord aller jusqu'au petit pin. Quand on sera là-bas, peut-être qu'on ne verra plus la souche, vous voyez ? Ce disant, il se met en route en tenant bien sa brassée de champignons. Papa m'a dit, c'est comme quand on tresse un panier à fromage : faut faire couche par couche, sinon y a rien qui tient. Les valises aussi, c'est couche par couche, vous voyez ? demande-t-il avec candeur.

"Bien vu, Maître Patya des valises des chemins." dit Micha avec un ton sérieux. Il suivit l'enfant jusqu'au petit pin et malheureusement, la souche n'était en effet plus visible. "Je ne sais pas tresser un panier à fromages, tu pourras m'apprendre." Le prêtre se frotta le menton, songeur. "Que penses-tu de ce sapin isolé sur la colline là-bas ? Il pointe vers le sud, et si je ne me trompe pas, c'est la direction du village."

Patya rit du titre donné par le Père Micha. Et il ne savait pas non plus tresser les paniers à fromage, mais il se mit en tête d'apprendre rien que pour pouvoir transmettre ensuite ce savoir au prêtre. Il regarda dans la direction désignée et s'étonna : Oh ! comment vous savez où est le Sud ? Le garçon avait appris à ne pas se fier à la mousse sur les troncs, mais n'avait pas encore bien enregistré la course du soleil. D'ailleurs, il confondait encore l'Est et l'Ouest...

"Les sens de l'oiseau." répondit Micha avec un sourire. Il se tapota la tête. "J'ai une boussole là-dedans grâce au harfang, je sais toujours où est le nord. Suite à un peu d'entraînement, j'ai pu apprendre à trouver les autres points cardinaux sans le soleil ou les étoiles. Inutile en ville mais..." Le prêtre rit gaiement en montrant les environs. "... indispensable en campagne. D'ailleurs, le soleil entame sa descente, Patya, ne tardons pas plus longtemps."

L'enfant était fasciné. Il acquiesça sans un mot et tout deux se remirent en route en direction du village. Après quelques minutes de silence troublé uniquement par les sons de la forêt, Patya demanda, d'une voix où perçaient fragilité et espoir : Vous croyez que j'aurais ça aussi ?

"Je ne sais pas, je connais mal les sens des canidés. A vrai dire, je ne savais rien sur les sens des oiseaux avant d'en devenir un." Micha pouffa, gentiment moqueur de sa propre ignorance, et ébouriffa les cheveux de l'enfant. "Mais les chiens ont un flair qui dépasse notre imagination, et plus encore les loups, paraît-il. J'ai même entendu dire qu'en une nuit, un loup pouvait parcourir des distances folles en une nuit rien que pour se nourrir. Un véritable athlète !" Il sourit d'un air entendu à Patya. "Et il retrouve toujours sa meute."

Patya réprima un léger frisson à la mention des loups et de comment les gens s'en servaient pour faire peur aux enfants. Mais pas seulement, réalisa-t-il ensuite. Il pensa au conte "Ivan-tsarévitch et le loup gris" et se rêva un instant en une grande bête grise et héroïque. Il sourit au prêtre. Ma meute, c'est ma famille, lança-t-il fièrement. Et mes amis, aussi ? demanda-t-il en songeant tout autant aux autres enfants du village qu'au Père Micha lui-même.

"Si tel est ton souhait." sourit le prêtre en ébouriffant une dernière fois les cheveux de l'enfant. La nuit étendait son manteau à une vitesse ahurissante aux yeux du citadin qui se souvenait encore, malgré toutes ces semaines, des lumières de Moscou. Il prit la main de Patya et accéléra le pas, espérant sortir de la taïga avant que les premières étoiles luisent dans un ciel noir.

Patya se sentait heureux. La forêt, les gentils mots du Père Micha, les énormes champignons... L'après-midi avait été parfait. Ou presque parfait. Mais il ne voulait pas songer à ses transformations ratées comme à des échecs. Le prêtre lui avait donné courage et espoir.

Ils ne tardèrent pas à sortir du couvert des arbres et aperçurent le clocher de l'église, au loin, dépasser des toits au milieu des prés. Et la ferme de Patya était en vue à l'opposé du couchant. Vous voulez une lampe, pour rentrer ? Papa en a une belle qui éclaire très loin.

Le soir tombait vraiment vite dans la campagne. Micha comprenait soudainement qu'il n'arriverait pas à l'église avant qu'il ne fasse nuit, qu'il n'avait aucune lanterne pour s'éclairer et que les rues ne possédaient pas de lampadaires électriques comme à Moscou. Un petit sourire gêné étira les coins de sa bouche. "Je crains que votre hospitalité, et cette torche, soit nécessaires. Merci, Patya."

De rien, répondit Patya à voix basse. Il était fatigué mais content. Il avait tant appris, cet après-midi encore. Sans compter le constant réconfort que le Père Micha lui apportait sans cesse sur sa condition particulière. Prêter une lampe (qui n'était même pas la sienne) semblait bien peu de chose en comparaison.
Pyotr les accueillit à l'entrée, il venait juste de rentrer de l'étable. Eh ben, tout ça ? s'exclama-t-il en regardant les champignons, après les salutations d'usage. Patya tapota son nez avec malice. C'est grâce au Père Micha.

"Oh non ! C'est Patya qui a tout fait." rétorqua le prêtre en se tapotant aussi le nez avec un regard entendu. Il inclina la tête vers ses hôtes. "Je m'excuse de m'imposer une nouvelle fois, me voilà encore surpris par la chape de poix qu'est la nuit ici. Patya m'a parlé d'une lampe."

Bien sûr, s'exclama Mikhaïl en se levant. La nuit tombe vite, en cette saison, approuva Nadejda. Vous vous y ferez vite, assura Mikhaïl en tendant la lampe au Père Micha. Patya posa sa brassée sur la table et accueillit avec joie les exclamations enthousiastes de ses frères et sœurs. Garde le plus gros pour le concours, dit sa mère avec un clin d'œil. Allez chercher la soupière, les enfants. On va les préparer pour le dîner. Vous en emmènerez bien un peu aussi ? demanda-t-elle au prêtre — mais ce n'était pas vraiment une question. Patya, sors un panier.

Il n'avait pas eu le temps d'indiquer qu'il leur laisserait volontiers l'ensemble des champignons qu'un panier garni était glissé dans ses bras. Micha ne put donc que fermer la bouche en souriant avec reconnaissance. Armé de sa lampe, il salua la grande famille et reprit la route de son église en sifflotant gaiement. Si les prochaines années s'annonçaient sous ces auspices, il risquait de ne plus vouloir rentrer à Moscou.