Il ne s'attendait pas à un rejet de la part de Patya, pas après tout le chemin parcourut, mais il ne s'attendait pas non plus à ce regard rempli d'étoiles puis de connaissance ni à cette nouvelle motivation. Mais le prêtre sourit doucement, heureux de voir que l'enfant trouvait des bons côtés à sa zoothropie alors qu'il n'essayait même pas de le convaincre. Au moins, il évitait de penser au fait qu'il n'avait plus d'oreilles externes, et même pas d'aigrettes pour faire illusion.

HRP:

Patya ne sentit rien pendant de longues minutes qui lui parurent interminables. Il allait abandonner lorsqu'une sensation étrange apparut en périphérie de son crâne. Ce n'était pas des picotements, cette fois. Plutôt... une sorte de vibration interne, d'abord sourde et qui s’amplifiait. Il percevait le sang qui battait ses tempes et résonnait jusque dans sa poitrine. Puis tout cessa d'un coup.
Il rouvrit les yeux et passa deux mains vives sur sa tête. Rien. Hormis quelques poils, peut-être. Ou bien n'était-ce que ses cheveux ?
Sous ses vêtements, pourtant, la partie gauche de sa poitrine s'était épaissit d'une fourrure blanche.

Parce qu'il avait le hibou à l'orée de ses instincts, avec son corps en partie transformée, le prêtre pencha la tête dans un mouvement tout à fait hibouesque alors qu'il observait les expérimentations de Patya. Il se rappelait du début de ses transformations, de la difficulté à obtenir ce qu'il demandait à son corps, et espérait que l'enfant ne se découragerait pas. "Tu devrais vérifier tout ton corps, Patya. Le changement n'arrive pas toujours où nous le voulons au début."dit-il doucement. Surtout chez un enfant qui se battait encore avec l'idée d'être un démon.

Le Père Micha coupa l'herbe sous le pied de sa déception. Un regain d'intérêt pris l'enfant qui commença à tâter tous ses membres. Il ne lui fallut pas longtemps pour découvrir la petite épaisseur sur sa poitrine. Il ouvrit sa chemise et souleva son maillot de corps. Avant même d'être dépité par la petite plaque de fourrure qui ne couvrait même pas toute sa poitrine, il fut surpris par sa couleur. Ils sont pas noirs, ceux-là ! s'exclama-t-il.

"Non, en effet." Le prêtre se frotta le menton, songeur. "Il est possible que ton animal n'ait pas la même couleur de poils sur l'ensemble de son corps. Donc les pattes, noires, le corps, blanc. A voir pour le reste." Un petit sourire espiègle illumina ses traits. "Et si tu essayais de faire sortir une autre partie de ton corps animal, histoire de vérifier ?" Donne un but à Patya pourrait peut-être l'aider. De son coté, ils gardaient ses oreilles grandes ouvertes aux aguets.

Heu... D'accord, acquiesça-t-il. Il ferma à nouveau les yeux et recommença à chantonner. Cette fois, il ne se concentra sur aucune partie de son corps en particulier. Il essaya seulement de se figurer un grand chien bariolé de noir et blanc, avec des oreilles tombantes et une queue touffue. Les minutes passèrent et il ne sentait rien. Après avoir chanter deux fois la chanson en entier, il s'arrêta et ouvrit les yeux. J'y arrive plus, dit-il, penaud.

"Quelque chose pourrait te bloquer." marmonna le prêtre en frottant son menton. "Allez, viens Patya, tu connais mieux que moi les environs, tu peux m'aider à trouver d'autres champignons, ou d'autres choses comestibles ?" dit-il soudainement en souriant. Il voulait calmer l'esprit de l'enfant pour qu'il cesse de penser aussi intensément à la transformation. C'était peut-être ça qui le bloquait.

Un peu surpris, mais ravi de pouvoir jouer les guides, Patya enfila ses chaussures, se remit sur pied et noua sa veste autour de la taille. Oui ! Il y a plein de champignons en ce moment. Et je sais où on peut trouver des pommes ! Il montra vaguement l'Est et se mit en route avec entrain. Là où il y a les pommes, c'est aussi où on trouve des noisettes, mais maintenant y en a plus, la saison est finie, ajoute-t-il avec l'illusion qu'il apprend quelque chose au prêtre.

"Je prends note de tes conseils, Patya." C'était dit sans taquinerie car, en bon urbain, Micha était encore un grand débutant quant au cycle des saisons. "Sais-tu que les chiens peuvent sentir très distinctement des champignons ? Ils sont même capables de dénicher les truffes !" Il babillait à dessein, ne voulant pas forcer l'enfant et le bloquer à nouveau.

Patya ne put s'empêcher de penser à l'animal en lui, mais dans la même seconde, se rappela que M. Josevitch se promenait souvent en forêt avec son chien ; il ramenait toujours quantités de champignons. Ah ! c'est pour ça quegsduhj... Sa phrase s'acheva dans un borborygme alors que, stupéfait, il se rendait compte qu'il ne pouvait plus parler. Il loucha en portant ses mains à son visage. Un museau inachevé remplaçait une bonne partie de sa bouche et de son nez. Il regarda le Père Micha avec des yeux ronds.

Micha cacha son sourire satisfait derrière sa main car ce n'était pas très compatible avec l'humilité qui seyait à un prêtre. Son plan avait parfaitement fonctionné ! Il sourit doucement, un poil taquin, devant le regard de soucoupes de Patya. "Alors, tu sens des champignons ?" lui demanda-t-il comme si tout cela était tout à fait normal.

L'absence de réaction du prêtre tua sa peur dans l'œuf. Il oublia d'être choqué par la présence des babines et du nez mouillé. Et comme le Père Micha terminait sa phrase, il remarqua les odeurs. Il en reconnaissait certaines. Plus forts, ces effluves se mêlaient à d'autres, inconnus. Le parfum de la forêt. Le vrai, songea-t-il. Hypnotisé, il détecta bientôt celui des champignons et son corps se mit en mouvement comme un automate, guidé par ce petit fil d'Ariane fongique.

Ses oreilles internes ne sonnaient pas d'alarme à l'humain donc Micha laissa l'enfant s'enfoncer dans la forêt sans rien dire. Il se demandait si Patya allait finir par transformer une autre partie de son corps en suivant ainsi, instinctivement, une odeur. Possiblement ses pattes ou ses oreilles. Peut-être la queue, aussi.

Pour l'heure, rien d'aussi spectaculaire. Mais à mesure qu'il avançait, concentré sur son odorat, son museau poursuivit lentement sa transformation jusqu'à être complètement lupin. Patya était subjugué par les nouvelles senteurs, les nouvelles sensations. Un nouveau monde s'offrait à lui et il l’accueillait avec une curiosité décuplée par ses nouvelles perceptions. « Là ! » voulut-il s'exclamer, et c'est un petit jappement qui lui échappa. Passée la surprise, il voulut rire et les petits jappements se succédèrent, entraînant le rire... et ainsi de suite.

Micha observait la transformation du museau sans rien dire. Il ne voulait pas déconcentrer l'enfant et devait également s'avouer fasciné par le processus. Se transformer n'était pas comparable à voir la transformation sur un autre visage. Quand Patya se mit à pousser ses rires de chien, loup, renard... non, le museau était trop épais pour un renard, le prêtre ne put s'empêcher d'éclater de rire à son tour.

Il fallut plusieurs minutes à Patya pour parvenir à se calmer tant c'était drôle. Il se tenait le ventre en reprenant son souffle. Puis, le calme revenu, il s'approcha des champignons, s'accroupit et les désigna d'un doigt au Père Micha avec des yeux rieurs. Cet odorat était vraiment pratique ! Et la forêt sentait si bon ! Il ne s'y attendait pas du tout. Il était ravi.

Guidé par le geste de l'enfant, Micha s'agenouilla pour analyser la récolte. "Des cèpes !" s'enthousiasma le prêtre en cueillant le plus gros du lot qui tenait dans ses deux mains. Il y en avait une dizaine de la taille d'une paume entourant ce petit roi.

"Nous allons pouvoir être de fiers participants au gribalka." s'amusa le prêtre en faisant un clin d'oeil à Patya. "Pas trop non plus pour ne pas éveiller les soupçons mais c'est la saison et tout le village est occupé par cette chasse aux champignons."

Micha se frotta le menton, songeur, puis sourit à Patya, les mains sur les hanches. "Ce serait un bon exercice pour ton odorat ! Et on pourrait les distribuer aux villageois qui manquent de réserve. Premier exercice : suivre une piste olfactive. Suis-donc l'odeur de ces cèpes, Patya."

HRP:

Patya était très amusé à l'idée des quantités de champignons qu'ils pourraient ramasser et ses yeux rieurs ne quittaient pas le Père Micha. Un peu déçu de ne pouvoir en ramener une montagne sous peine d'être suspects, il oublia pourtant vite au profit d'un nouvel exercice. Ou plutôt d'un nouveau jeu ! Car fouiller parmi les odeurs connues et inconnues de la forêt était une vraie chasse au trésor et il était décidé à faire une belle performance.

Il se concentra à nouveau et après quelques instants, repéra d'autre champignons. Joyeux comme un louveteau, il bondit en avant.

HRP :

En riant, Micha prit la suite du jeune garçon, son pas juste un peu moins habile à bondir entre les taillis et les arbres. Il était un Moscovite ! Une végétation aussi fleurissante lui était totalement étranger. Même le Jardin Botanique où il emmenait souvent ses petites soeurs présentait au public une végétation contrôlée... et sans animaux ! Le prêtre s'étonnait dès qu'il voyait un écureuil ou entendait un chant d'oiseau.

"Tu as trouvé d'autres cèpes, Patya ?" demanda-t-il dès qu'il eut rattrapé l'enfant. Avait-il réussit à différencier l'odeur des cèpes de l'odeur des champignons, et du reste de la forêt ?

Ce n'était pas des cèpes. Mais c'était des champignons. De ceux qui font de jolies demi-corolles ourlées accrochées en draperie aux troncs des arbres. Patya les trouvait très beaux.
En revanche, il n'avait aucune idée de la façon dont on devait s'y prendre pour les ramasser. Tout ce qu'il savait, c'est que ses parents en faisaient des décoctions. C'est bon pour la santé, disaient-ils.
Il était accroupi devant quand le Père Micha le rejoignit. Il tendit le doigt d'un air heureux.

HRP :

"Le fameux chaga." Le prêtre posa ses mains sur les hanches en haussant un sourcil. "Ce ne sont pas les cèpes recherchées mais nous ne pouvons que remercier Dieu pour son don. L'hiver est rude par ici, de ce que j'ai cru comprendre." Il avait déjà suffisamment froid alors que l'automne courrait encore. "Le village pourrait avoir besoin des renforts de ce champignon." Micha fit le tour de l'arbre avec une moue pensive. "Peut-être en le décollant délicatement avec un couteau ?" Il en sortit un de son panier et entreprit de détacher les demi-corolles. Une fois cela fait, il s'accroupit devant Patya. "Essayons de trouver des cèpes, maintenant. Rappelle-toi leur odeur." Il lui tendit un champignon pour l'aider.

Patya saisit le champignon et le renifla. Curieux, il renifla plusieurs fois un chaga avant de revenir au cèpe. La différence était subtile, mais bien présente. Jamais il n'aurait pensé que ces deux champignons puissent être reconnaissables à l'odeur. Tout excité, il se leva et huma l'air. Puis il prit une direction et cette fois, avança tout doucement, concentré sur une fragrance particulière... Il dénicha finalement un petit parterre de beaux cèpes bien gros.
Heureux, il eut un petit rire à mi-chemin entre le jappement et le gargouillis. Étonné, il porta la main à sa gueule et découvrit que son museau disparaissait lentement.
Décidément, il lui fallait absolument comprendre au plus vite comment contrôler ça ! Un peu déçu, il leva un regard désolé sur le Père Micha.

Micha sourit doucement à l'enfant pour le rassurer. "Ce n'est pas grave, Patya. Le contrôle va venir petit à petit. Regarde déjà les progrès que tu as fait ! Maintenant que tu l'as fait une fois, tu pourras t'aider de tes souvenirs pour redéclencher la transformation." Le prêtre déposa son panier au sol et se pencha pour observer les champignons. "Tu nous as trouvé de magnifiques cèpes ! Faisons une pause pour les ramasser, qu'en dis-tu ? Il y en a tellement..." Micha semblait estomaqué, et le sentiment était réel. Il n'aurait jamais cru qu'une seule cueillette permettrait de récupérer autant de champignons ! "Je me demande si le panier va être suffisamment grand..."

Patya n'avait pas de mot pour dire sa reconnaissance, mais les encouragements et gentilles attentions du prêtre lui réchauffaient le cœur à chaque fois qu'il se sentait abattu. Je pourrais en mettre dans ma veste ! proposa l'enfant, à qui cela faisait très étrange de retrouver sa voix pourtant perdue depuis peu. Les sons ne roulaient pas de la même façon dans sa gorge. Je crois que j'aime bien, songea-t-il pour lui-même.

Il était heureux de le voir aussi détendu après une telle transformation. Rien à voir avec sa terreur des premiers jours tout en restant suffisamment prudent pour ne pas risquer une découverte problématique ; Micha comptait bien surveiller la progression d'une possible surconfiance en soi et couper nette la racine de cette mauvaise herbe. Il aidait l'enfant, ce n'était pas pour le mener à la mort. "Ce serait appréciable, Patya, mon panier se remplit à vue d'oeil." lui dit-il en indiquant les champignons qui garnissaient encore une bonne partie de leur spot.