Patya prit enfin le chemin de l'école avec ses frères et sœurs scolarisés. Un peu moins enthousiaste qu'au réveil, il avait pourtant hâte de voir les dessins des autres. Et ce que cela donnerait en vrai ! ... Même s'il faudrait encore attendre pour cette partie-là. Ils arrivèrent bientôt sur la place du village et se mêlèrent aux autres enfants qui entraient dans la salle de classe avec moult bavardages et "Bonjour mon Père !" chaleureux.

Comme la plupart des enfants, Patya ne cacha pas sa déception de commencer par des mathématiques. Mais quand il comprit que le but final des calculs de surfaces était l'embellissement de l'église, la discipline parut tout à coup passionnante. Il rejoignit joyeusement son groupe et écouta religieusement les consignes du prêtre.

En levant le nez, au cours de l'exercice, pour réfléchir, Patya croisa le regard du prêtre et comprit aussitôt sa question. Une telle perspicacité ne pouvait être qu'une bénédiction des Dieux ; Patya ne pourrait jamais rien lui cacher et son petit cœur s'en trouva tout réchauffé. Il fit un petit geste vague et discret tandis que son sourire disait : Il s'est passé quelque chose, oui, mais je vais bien ! Sûr qu'il allait encore traîner après l'école aujourd'hui...

Le groupe de Patya s'en sortit pas trop mal, demanda de l'aide une fois et réussit à terminer l'exercice sans se tromper. Si Patya avait pu, il aurait tout de suite embrayé sur la peinture de la surface en question (en rouge, évidemment). Mais encore une fois, ce n'était pas l'heure des travaux. Fait notable cependant, il avait adoré cet exercice de mathématiques. Il comprenait enfin concrètement à quoi ça pouvait servir dans la vie, en dehors de calculer la surface d'un champ pour se disputer avec son voisin ensuite.

Patya traîna, l'air de rien, et attendit d'être sûr que tout le monde sortait se défouler avant de filer ventre à terre dans le jardin, presque plié en deux pour que personne ne le voit. Le soleil brillait et les plantes rayonnaient. Bien sûr.
Il se redressa et s'approcha tout doucement, puis prit place sur le banc, remuant des fesses pour s'installer confortablement au fond de l'assise. Elles sont toujours aussi belles, vos fleurs, Père Micha.

Patya hésita. En fait, il n'y avait pas eu de drame, tout s'était bien passé. Mais il avait une petite boule logée dans l'estomac qu'il n'arrivait pas à chasser. La peur était de retour. C'est que... J'ai eu un... petit incident ce matin, murmura-t-il en jetant des regards incertains vers la porte. Ça va, ajouta-t-il très vite, j'ai respirer comme vous m'avez dit et c'est parti. Il commença à balancer ses jambes dans le vide, la mine tourmentée, incapable de raconter ce qui le taraudait vraiment.

Micha sourit gentiment au garçon hésitant et s'abaissa à son niveau pour lui caresser la tête comme il le faisait avec les jumelles quand elles étaient tristes. "C'est très bien, alors, Patya. Tu as compris comment faire pour ne pas paniquer et tu as réagi comme un maître. Alors pourquoi es-tu aussi agité ?"

En fait, il avait un peu paniqué. Si son frère n'était pas venu le chercher pour déjeuner, il aurait peut-être eu plus de difficultés. Mais il ne l'avoua pas au Père Micha ; il pensait déjà à autre chose. En fait, il y avait pensé toute la matinée — sauf pendant les calculs, une bonne chose que ces bidules-là demandent de la concentration ! Si... Si un jour... Si je... Père Micha, et si quelqu'un le voit... ?! Voilà, la bête était lâchée. Il était terrifié à l'idée qu'on arrête toute sa famille à cause de lui.

Ça, c'était vraiment un discours de champion. Patya se sentit tout réchauffé de l'intérieur. Il se redressa à mesure que le Père Micha l'encourageait, remonté à bloc. Je vais y arriver, dit-il, convaincu. Puis une petite pensée parasite lui rappela la métamorphose du matin. Tâchant de ne pas se laisser démonter à nouveau par la peur, il se pencha comme pour faire une confidence. Comment vous avez fait, vous... avant... quand ça arrivait en dehors de chez vous ?

L'enfant ne semblait pas totalement rassuré, et heureusement. Micha savait qu'il ne pouvait pas le rassurer totalement tant ça serait dangereux pour lui. La peur maintenant la prudence en place. "Les poils apparaissent souvent sur les bras, non ? C'est une chance, Patya. Porte des vêtements longs aussi longtemps que tu le pourras sans attirer les soupçons et entraîne-toi. Tout ira alors bien."

Il avait raison. Jusqu'à maintenant, toutes les transformations étaient survenues au niveau des bras ou des jambes. Tout cela demeurait relativement facile à dissimuler. Si Patya parvenait à maîtriser la métamorphose avant que ça n'arrive sur sa tête, il serait sauvé. Il en était convaincu. D'accord, répéta-t-il, déterminé. Je vais m’entraîner tous les jours.

"Sauf le dimanche." le taquina Micha en se relevant, non sans lui ébouriffer les cheveux au passage (une mauvaise habitude qu'il avait pris avec ses soeurs, lui-même l'ayant appris de ses frères). "C'est le jour du Seigneur, un jour de repos. Va donc jouer, Patya. Tu y as droit autant que les autres."

Il rit de bon cœur. D'accord ! Il bondit au bas du banc et partit en courant. Avant de franchir la porte cependant, il se retourna et lança : Merci Père Micha ! Moins d'une minute plus tard, il avait rejoint les autres dans une partie de "Comestible-non-comestible"*. Il se plongea dans le jeu et eut le temps de perdre une fois avant qu'il ne soit l'heure de retourner en classe.

HRP :

Comme il avait retenu Patya, il laissa peut-être un temps de récréation plus long que celui qu'ils avaient habituellement. Oh ! Il s'était simplement perdu dans son jardin, à chouchouter ses plantes. Ce ne fut que lorsqu'il perçut que la manche actuelle de leur jeu se terminait que Micha se racla gorge pour attirer sur lui l'attention de tout le monde. "Allez les enfants ! Il est temps de passer à un peu de morale chrétienne sur le foyer. Puis nous regarderons ces dessins... J'ai grande hâte !"

Les enfants ne se firent pas prier et retournèrent en classe avec entrain. Sûr que les dessins étaient le moteur principal de la journée. Patya reprit sa place auprès des autres et, bien qu'il eut du mal, pendant quelques secondes, à juguler son excitation retrouvée, il finit par se calmer à l'instar de ses camarades et écouta la suite attentivement.

Micha ne s'attarda pas dans un cours de morale chrétienne indigeste. Il ne le faisait clairement pas habituellement, préférant utiliser d'autres formes pédagogiques pour leur enseigner ces grandes valeurs, et il le fit encore moins cette journée-là tant il sentait que les enfants avaient autre chose à l'esprit. "Et bien, nous y voilà." finit-il par dire en souriant, un sourcil arqué avec amusement. "Et si nous tirions au sort la personne qui va nous montrer en premier son dessin ?"