Le prêtre se redressa en souriant. "C'est gentil de ta part." Il n'attendait pas de remerciements pour ses actions mais son coeur se délectait d'en attendre, cela faisait toujours plaisir de savoir que son aide était appréciée. "Je suis heureux que tu te sentes mieux." Le visage vague levé vers le ciel, il sembla hésiter un moment avant de regarder l'enfant à nouveau. "Il se peut que j'ai besoin d'aide moi-aussi. Peux-tu me décrire la forêt environnante ?"

Intrigué, Patya alla s’asseoir sur le petit banc de pierre et réfléchit à la meilleure manière d'en parler. Il y a des sapins, des érables, des saules, des cèdres, des tilleuls, commença-t-il, tout fier de connaître autant de noms et d'espèces. Il réfléchit un instant, le doigt sur la bouche. Ils sont assez serrés, pour se tenir chaud l'hiver, ajouta-t-il en se méprenant complètement sur la véritable raison de la proximité des arbres. Quand il pleut, on peut être à l'abri un moment avant que ça traverse !

Il se retint de toutes ses forces d'éclater de rire à l'explication des arbres resserrés ; c'était une raison en somme toute adorable ! "Et concernant les animaux qui la peuplent ?" Une taïga pourrait s'avérer être un environnement plus naturel pour un harfang que la ville de Moscou, même s'il en avait déjà repéré quelques uns.

Patya était à mille lieux de comprendre le but de ces questions et il ne s'interrogeait d'ailleurs pas dessus. Il aimait beaucoup la nature et parler des forêts bordant le village était un sujet passionnant. Il y a des sangliers, des cerfs, des loups, des chouettes, des renards, des visons... Papa dit qu'il y a des ours, aussi, mais on n'en a jamais vu. Vous croyez qu'il y a vraiment des ours ?

Patya n'était pas sûr et prit son temps avant de répondre. Je sais pas bien faire la différence entre les deux. Peut-être que c'est des hiboux, des fois. Comment on sait, si c'est des hiboux ou des chouettes ? Ça l'intéressait autant sinon plus que de connaître la différence entre les empreintes de chiens et celles des loups.

"Et bien, le hibou a des aigrettes alors que la chouette n'en a pas. Ce sont des plumes qui se dressent sur sa tête comme des oreilles." Le prêtre fit une pause songeuse. "Le harfang est un hibou même si ses aigrettes sont difficiles à percevoir, et non une chouette."

Patya hocha la tête et fronça les sourcils, concentré sur les souvenirs des animaux croisés dans les bois. Mais comme il n'avait pas fait attention sur le moment, il hésitait beaucoup. Je suis pas sûr, dit-il. Je me souviens pas bien. La prochaine fois que j'en vois, je ferai plus attention et je vous dirai. Il redressa la tête. Pourquoi vous demandez ? Est-ce qu'on va faire un travail dessus ? l'interrogea-t-il avec un grand sourire.

"Oh ! Mais ce serait une idée, ça, Patya." s'enthousiasma Micha. Il se fit songeur l'instant suivant : est-ce que l'initiative ne paraîtrait pas trop suspecte ? En ville, certainement, mais pas en campagne. Apprendre aux enfants à repérer les dangers de la taïga ne pourrait pas lui mettre les habitants locaux à dos. "Mais je me demandai surtout s'il y avait des harfangs ici."

Le prêtre ne put s'empêcher de glisser vivement un regard vers la porte. Toujours entrouverte, sans aucune présence derrière. Mais il y aurait pu y avoir âme qui vive car Patya n'était pas le seul qui pouvait ressentir le besoin de rendre visite au prêtre dans son presbytère. Il fixa donc l'enfant avec un regard sévère. "Il faut faire attention dans sa parole, Patya. La prudence en toute occasion pourrait te sauver." Même dans sa remontrance, il pensait avant tout à la sécurité de l'enfant.

Patya colla ses deux paumes contre sa bouche. Son regard témoignait à la fois de sa surprise sous le regard brusquement sévère du prêtre, de sa culpabilité d'avoir parlé trop vite, même en chuchotant, et de sa peur soudaine en réalisant ce qu'il venait de faire. Il voulut répondre, dire qu'il était désolé et surtout, qu'il avait compris, mais il fut incapable d'émettre le moindre son tant son trouble était grand.

L'expression du prêtre s'adoucit aussitôt en avisant le trouble de l'enfant. Il avait été bien trop brusque, il s'en rendait compte. Mais ça ne pouvait pas être un mal à long terme s'il arrivait à le calmer à court terme. "Ce n'est pas grave, Patya. Dieu en soit remercié, ce n'est pas grave aujourd'hui." souffla-t-il en se baissant à la hauteur du garçon. "Respire. Tout va bien."

"Je sais, Patya." souffla Micha avec un air soudainement fatigué. Las de toutes ces cachotteries, de ces mensonges qu'ils devaient porter. Mais ils étaient nécessaires à leur survie. Dieu saurait les juger en conséquence, quand viendra leur heure. Le prêtre s'assit devant l'enfant. "Mais c'est bien ça qui me fait peur. Que ça sorte tout seul au mauvais moment. Agir trop prudemment peut te révéler mais être trop insouciant est tout aussi dangereux. Tu comprends ?"

Oui, gémit-il. Il ne pleurait pas comme le soir précédent, mais se sentait misérable. Il venait d'ajouter le Père Micha à la liste des gens qu'il mettait en danger par son inexpérience et son insouciance. C'est même pour ça que je voulais plus venir à l'école. Je vais attirer des ennuis à tout le monde ! Il tenta vraiment de redresser les épaules, dans un geste maladroit, mais il se sentait nul. Il aurait voulu revenir en arrière, quand ils parlaient tranquillement de la forêt et de ses habitants.

"C'est en forgeant qu'on devient forgeron." rappela Micha en haussant un sourcil. "Il faut bien que tu mettes en application la prudence pour être réellement prudent en toute occasion." Décidant que la remontrance avait suffisamment durée, le prêtre rebondit sur le sujet premier : "Il serait bien de dresser une liste des animaux environnant pour s'assurer des dangers et des bénéfices de la région auprès de tous les enfants du village."

Patya hocha gravement la tête et quand le prêtre ré-embraya sur les animaux, il lui en fut immensément reconnaissant. Choyé comme il était chez lui et accoutumé aux gestes d'affection, il avait très envie de lui faire un câlin. Mais il se retint. C'était déplacé et... gênant aussi. Dangers et bénéfices ? L'enfant ne comprenait pas. Depuis sa ferme, il avait appris assez tôt ce qu'il fallait éviter et ce qui était bon. Il ne se rendait pas compte que ce n'était pas le cas de tout le monde. Et aussi qu'il ne savait pas tout.

"Des animaux de la forêt." compléta Micha. "Pour que tous les enfants du village sachent à quoi s'attendre, même ceux qui vivent en plein centre ville." Et ce serait une couverture parfaite pour obtenir des connaissances personnelles sur son possible nouvel environnement naturel. Du moins pour sa partie animale.

Oh ! compris soudain Patya en se souvenant comme Vassili avait eu peur d'un campagnol, une fois. On pourrait aller en forêt avec la classe ? Je sais comment repérer les maisons des petits-gris ! ajouta-t-il en parlant des écureuils du coin. Puis il sursauta légèrement et dit encore : Enfin je sais qu'ils sont pas dangereux, mais je sais pas pour le reste, en fait... Juste où ils habitent et ce qu'ils mangent.

"Oui, on pourrait peut-être aller en forêt." Si les villageois considéraient que ladite forêt n'était pas dangereuse. Et puis, ces enfants de la campagne devaient souvent s'y rendre pour ramasser certaines choses. Quant à lui, il avait encore beaucoup à apprendre. "Des petits-gris ?" demanda-t-il avec une sincère incompréhension.

Oui, fit-il. Et comme il ne connaissait pas le mot "écureuil", il se lança dans leur description : Ils sont petits et gris (il remonta ses bras dans une imitation plus qu'approximative d'un rongeur), ils ont une grande queue épaisse (il écarta les bras), des petites oreilles (il leva ses mains au-dessus de sa tête), ils sautent d'arbre en arbre et ils mangent des petits fruits et d'autres petits trucs, acheva-t-il en haussant légèrement les épaules.

HRP :

"Ah ! Des écureuils !" s'exclama soudainement le prêtre après avoir passé de longues minutes à écouter la description avec un froncement de sourcils confus. "Des petits-gris... Quelle appellation adorable."

Des zécureuils ? s'étonna Patya. Il regarda le prêtre avec des yeux ronds. Je savais pas qu'ils avaient un autre nom. Vous êtes sûr qu'on parle de la même bête ? demanda-t-il avec beaucoup de curiosité.

"Cela correspond à ta description en tout cas." rit Micha. Il se leva pour aller chercher un ouvrage qu'il feuilleta jusqu'à trouver ce qu'il cherchait. "Sciurus vulgaris, pour donner son nom scientifique en latin. D'après ce chercheur français, cependant."