Baissant les yeux vers sa tasse, Micha prit le parti de faire comme si de rien n'était. Comme s'il ne se dénouait pas un drame sous ses yeux et qu'il était celui qui avait délié le noeud (et qui était à l'origine de sa crispation). Silencieux de voix, discret de présence, il se fondait presque dans le décor, comme son harfang intérieur dans une plaine enneigée. Patya était le mieux placé pour apaiser la situation.

Le silence ramena un peu de calme autant que les mots innocents de Patya. Et puis ils étaient tous en vie. Si le Père Micha avait cru aux "démons" comme ses pairs, Patya ne serait pas rentré et ils seraient sans doute tous morts ou enfermés. Mikhaïl entoura son fils et le fit grimper sur ses genoux. Il croisa le regard de sa femme qui reprenait sa respiration. Comment ça se fait… ? Vous êtes… prêtre... Une main protectrice sur la tête de son garçon, il tentait de faire de l'ordre dans son esprit.

Le thé était vraiment bon et il faisait dorénavant chaud. Micha posa la tasse avec un soupir comblé et sourit aux parents effrayés qui lui faisaient face. Pour un peu, il passerait pour un démon envoyé le Malin pour leur ravir innocence, vie et renaissance. "Il y a la Voix de Dieu et les voix des Hommes. La première est immuable mais traduite par les secondes qui sont volages. Je préfère écouter la Voix de notre Seigneur que les babillages soumis aux erreurs des Hommes."

Parfait ! Mikhaïl embrassa son fils et le remit sur ses deux pieds. Il l'enjoignit à mettre la table et héla toute la fratrie à sortir des chambres pour venir aider. Tout le monde mit la main à la pâte à l'exception de Nadejda, interdite de corvée par son état. Et son pari. Et ses enfants. Elle resta donc près du feu avec le Père Micha. Elle lui sourit gentiment, désormais apaisée et rassurée. Et comment se sont passés vos premiers jours au village ? Vous vous plaisez, ici ?

Nadejda lui adressa un sourire bienveillant, un sourire de mère. Elle avait à peine conscience de le regarder ainsi. Ça aurait pu paraître déplacé, mais il était jeune et elle était enceinte. J'en suis sûre, assura-t-elle. L'air est vif en hiver, mais les couleurs moins ternes qu'il n'y paraît. Et puis... Elle hésita, mais poursuivit : Si votre famille vous manque, n'hésitez pas à venir dîner chez nous. Notre porte vous sera toujours ouverte.

Patya se mit à table le cœur plus léger. Ses huit ans lui permettaient d'oublier l'espace d'un repas que des moments difficiles l'attendaient encore. Il s'installa à côté du prêtre, rassurée par sa présence au côté de la famille. Il croisait souvent son regard, entre deux bouchées et écoutait d'une oreille distraite les conversations. C'est comment, la ville ? demanda-t-il dans un moment plus calme.

Micha sourit à l'enfant, à la fois attendri et soulagé d'entendre un tel choix. "Un avenir prometteur, il me semble. La campagne est un cadre idyllique pour s'épanouir et tu trouveras toujours des acheteurs pour faiblir devant la suffisante odeur d'un bon fromage. Ce qui me fait penser que tu dois être un expert en la matière ! Dis moi donc, Patya, lait de vache, de brebis ou de chèvre ? Et quel genre de fromage ?"

De vache ! s'exclama l'enfant, un peu par fierté (puisque ses parents élevaient quelques vaches), mais aussi parce que le fromage familiale était le meilleur du monde. Forcément. Et de se mettre à décrire celui qui était son préféré avec moult détails sur la texture et le goût*. Et comme ils finissaient tranquillement le plat, Mikhaïl apporta un petit plateau garni des fromages en question afin que le Père Micha puisse se faire sa propre opinion.


* Je ne mets pas moi-même les détails en question parce que je n'y connais rieeeeen du tout en fromage XD
Vu que j'aime pas ça **

Comme Micha n'y connaissait pas grand chose en fromage, il laissa parler l'enfant et écouta diligemment son babillage. "Oh !" dit-il avec effarement en voyant arrivé le plateau de fromage (il avait déjà le ventre plein !). "Ce n'était pas la peine de vous embêter autant." Mais il ne voulait pas non plus froisser ses hôtes. Il se tourna donc vers Patya : "Lequel me conseillerais-tu vraiment. Un seul."

Ça ne nous embête pas, avait répondu Mikhaïl. La famille ne produisait pas assez pour vendre, tout juste pour faire un peu de troc avec les voisins — contre un poulet, un jambon ou quelques pommes par exemple. Le reste était pour eux.
L'enfant réfléchit, un doigt sur les lèvres, sourcils froncés, très concentré. Puis il en désigna un à la chair molle et onctueuse. Celui-là ! Et, mimant un adulte : Vous m'en direz des nouvelles ! s'exclama-t-il en se dandinant sur son siège.

"Très bien, je vais donc goûter celui-ci." répondit Micha d'un air enjoué... qui se craquela quelque peu quand la chair molle du fromage s'étira en filaments entre son assiette et le plat. Mortifié, il se décarcassa pour essayer de le récupérer sans plus en être partout et dut pour cela batailler un moment. Après cet âpre combat contre le ridicule, il put enfin savourer le (délicieux) fromage. "Mmmh... il est excellent, Patya. Bon choix !" lui dit-il en souriant.

Patya se servit aussi, provoquant la même élongation laiteuse que le Père Micha. Avec moins de bataille cependant, aidé par l'habitude. Hihi ! Je suis content qu'il vous plaise ! s'exclama-t-il après avoir avalé sa propre bouchée. On peut lui donner un morceau à emporter, dis, papa ? Évidemment, répondit Mikhaïl le sourire jusqu'aux oreilles, fier lui aussi du succès de son fromage.

Sa gêne diminua en voyant que Patya aussi bataillait avec le fromage, sans doute que la situation était normale, même si l'enfant y arrivait mieux que lui. Mais elle revint en force quand ils voulurent lui en offrir. "Oh non, non, non... C'est trop gentil, je ne veux pas vous faire manquer d'un fromage, ce serait indélicat de ma part." dit-il d'une voix humble, s'embrouillant légèrement, les mains agitées pour repousser gentiment l'offre.