Ce n'était pas une transformation mais c'était déjà une confirmation. Le harfang s'envola vers les buissons pour se retransformer et se rhabiller. Ce ne fut qu'une fois décent qu'il retourna auprès de Patya et s'agenouilla à sa hauteur en souriant doucement. "Est-ce que ça t'a aidé à t'apaiser, Patya ?" Il ne nomma pas sa zoothropie par pure prudence. "Tu dois ramener du calme dans ton esprit pour réussir à le contrôler."

Patya le regarda revenir avec une agitation nouvelle. Une petit vibration dans le cœur qui, si ce n'était de l'espoir, ressemblait fort à de la reconnaissance. Il ne répondit pas, oublia un instant sa tentative pour se jeter dans les bras du Père Micha. Si on lui avait dit, dix jours plus tôt, qu'il s'en remettrait ainsi à un prêtre, il n'y aurait pas cru. Dieu m'a entendu ! pensa-t-il très fort.

Le geste de l'enfant le prit totalement au dépourvu et il fit deux pas en arrière sous le choc de l'embrasse. Mais il avait un peu l'habitude des petits poids se jetant sur lui avec les jumelles qui ne cessaient de s'accrocher à ses habits depuis qu'elles étaient en âge de marcher. Il caressa doucement les cheveux de Patya et le laissa faire autant de temps qu'il le lui faudrait. Silencieux, il s'en remit à la chaleur humaine.

Patya ne sut s'il était resté longtemps ainsi ou pas. Il finit par détacher ses petits bras et libéra le Père Micha. C'est Dieu qui vous envoie, hein ? Je suis pas un démon, alors ? Ses parents le lui avait dit, mais il n'avait pu s'empêcher de le penser malgré tout. Parce qu'à huit ans, on n'est pas toujours sérieux dans ses prières et qu'on se croit responsable des pires malheurs. Mais Dieu l'aimait encore, sinon le Père Yakov serait toujours là.

Mikhaïl sourit doucement à l'enfant en posant des mains chaleureuses sur ses épaules. "Beaucoup de monde te le diront et le penseront. C'est pourquoi tu ne dois jamais dévoiler ce que tu es à une personne en qui tu as totalement confiance. Peut-être même m'as-tu fait un peu trop rapidement confiance, Patya. Mais pour te répondre clairement, non. Non, je ne pense pas que nous soyons des démons. Je pense plutôt que tout cela participe à un grand projet de notre Seigneur."

Il hocha la tête en pressant ses doigts canins contre lui dans un geste dissimulateur. Je crois qu'il a encore plus peur que moi que quelqu'un découvre la vérité, expliqua-t-il. Il n'était pas sûr de ce qu'il avançait, mais c'est le sentiment qu'il avait depuis l'arrivée du Père Micha. C'est ce qu'il avait ressenti, dans le champs, ce jour-là. Et aussi, poursuivit-il, je crois qu'il a encore plus peur que moi que je sois un démon.

Patya le suivit diligemment. Parti en douce, il se demandait si sa mère s'inquiétait déjà ou pas, ou même si elle se doutait d'où il était. Il allait se faire gronder, c'était certain. Mais il ne regrettait rien. Désormais, la famille avait un allié au village, et un allié de taille ! Ça en valait la peine. En revanche, il allait devoir dire la vérité au Père Micha.

L'orage les surprit sur le chemin. Des trombes d'eau leur tombèrent dessus en même temps que la pénombre des nuages épais qui cachaient les dernières lueurs du jour. "Tu vas devoir me guider, Patya. Je ne connais pas assez le village pour me diriger dans cette noirceur." Le sourire de Mikhaïl était perceptible sous sa capuche. Il ne semblait pas du tout affolé ou même mal à l'aise, plutôt tranquille. "Je m'en remets à toi, mon petit."

D'accord, répondit Patya. Il connaissait si bien le chemin qu'il aurait presque pu le parcourir les yeux fermés. Il guida le Père Micha jusqu'aux abords de la ferme. Il regrettait qu'il pleuve si fort. Il avait voulu attendre d'être en route pour avouer qu'il avait désobéi à sa mère, mais la pluie tombait si drue qu'il fallait presque crier pour s'entendre. À quelques mètres de la maison, cependant… Père Micha, faut que je vous dise... Trop tard. Son père devait les guetter. Il venait d'ouvrir la porte et faisait des grands signes.

Mikhaïl fit ce qu'il avait dit : il s'en remit totalement à l'enfant avec une confiance aveugle. Et il n'eut pas à le regretter. Comme il le soupçonnait, Patya avait une connaissance aigüe du terrain. Devant son aveu interrompu, le jeune prêtre haussa un sourcil mais attendit d'être au chaud de la maison pour demander gentiment. "Que voulais-tu me dire, Patya ?"

Sans doute qu'il avait désobéi à sa mère, répondit Mikhaïl sans hausser le ton. Patya leva un regard désolé sur les trois adultes et s'excusa d'une petite voix penaude. Je vous en prie mon Père, prenez place près du feu, fit-il après un regard indéchiffrable à son fils. La pièce était sobre, tout juste décorée d'un canevas et d'une croix surmontant l'âtre. Une table en bois se trouvait non loin, entourée d'une multitude de chaises. Mikhaïl montrait le côté le plus proche des flammes où Nadejda se trouvait déjà.

HRP:

Il est très actif, répond-elle avec un sourire qu'elle tente de rendre le plus naturel possible. Pour qui connait désormais la condition de Patya, il n'est pas difficile de voir qu'elle s'est beaucoup inquiétée. Il n'arrête pas de bouger. Patya prend place en face du prêtre et de sa mère tandis que Mikhaïl apporte du thé brûlant sur la table. Va te changer, fiston, lui intime-t-il d'une voix douce, mais ferme. Je vous sers, mon Père ?

"C'est qu'il - ou elle - est en bonne santé." Micha ne cessait de sourire gentiment pour ramener un peu de paix dans la chape de plomb qui pesait dans la pièce. "Volontiers, mon Fils. Cet orage nous a bien surpris sur le chemin, nous voilà trempés jusqu'aux os. Votre feu et votre thé sont un jardin dans cette tourmente, soyez-en remerciés." Avant que Patya s'en aille, il le regarda en lui dédiant un sourire, espérant que le message serait compris (Ne t'inquiètes, mon petit. Tout ira bien.)

Patya disparut, le cœur un peu réchauffé, tandis que Mikhaïl remplissait trois tasses de thé bien chaud. Nadejda prit le sien entre ses paumes comme si elle était frigorifiée. J'espère qu'il ne vous a pas trop importuné, commença-t-elle comme pour tâter le terrain.

"Pas le moins du monde." assura sincèrement Micha en récupérant sa tasse de thé avec un "Merci." aimablement chuchoté. La chaleur qui irradiait dans ses mains lui fit un bien fou et il profita pleinement de la vapeur qu'elle dégageait pour apaiser ses os transis de froid ; il était habitué à la fournaise de vie et de machines de la Capitale. "Ma porte est ouverte en toute occasion pour chacune de mes ouailles, surtout s'ils en ont le besoin."

Les parents échangèrent un regard rapide et Nadejda sourit au Père Micha. Patya n'aime pas manquer le catéchisme, dit-elle, même quand il ne se sent pas bien. Ce qui était vrai, c'était le plus assidu de leurs enfants, même avant leur récente découverte. Ceci dit, ses frères et sœurs ne l'y ont pas vu ; j'imagine qu'il est arrivé après, ajouta Mikhaïl. Son expression était douce et sa voix basse et calme. Même son regard ne trahissait pas l'inquiétude palpable de sa femme.

Il n'y avait aucun accroc dans le ton gentil de Micha. Tout en lui respirait la tranquillité, comme s'ils parlaient du mauvais temps qui mugissait dehors. "En effet, il est arrivé après mais son désir de prier était si grand qu'il s'est quand même rendu dans la demeure de notre Seigneur. Un enfant admirable que vous avez là, quel que soit le mal dont il souffre." Son message était subtil mais il savait qu'ils parlaient tous les trois à double sens.