Rappel du premier message :



Elle n'avait pas hurlé. Pas de ces cris aigus emprunts de détresse tout du moins. Pas de larmes ou de suppliques.

La demoiselle Tselikovskaïa avait passé une excellente soirée chez son amie et, tout poliment, avait refusé l'offre de se faire raccompagner chez elle malgré la nuit avancée. Inessa vivait dans le quartier de Saint-Pétersbourg et hormis le Vatican lui-même, elle ne voyait endroit plus sûr à Moscou.

Sa jambe lui faisait terriblement mal et sa tête la lançait douloureusement. Son chignon d'ordinaire implacable pendait sur le côté, à moitié défait, et de longues mèches blondes barraient son regard bicolore furieux.

La rue n'avait rien de sordide pourtant, éclairée par les lampadaires, mais restait déserte à ces heures sombre. La zootrope était pourtant alerte, usant de l'instinct primaire des chevaux de se savoir en permanence proie. Sauf qu'elle n'en avait pas la rapidité, pas en robe somptueuse et bijoux raffinés dans une chaude capeline de fourrure.

"Un pas de plus... et je tire..." se voulait-elle menaçante face à l'homme qui l'avait attaquée, son pistolet pointé sur l'immondice. Les relents d'alcool qu'il dégageait n'étaient pas aussi terribles que ses manières et les intentions peu louables qu'il réservait pour elle se lisaient dans son regard lubrique, un lambeau de sa robe déjà dans ses mains. Et ce bâtard riait de sa prise tremblante sur son arme.

"Vous auriez pu la rayer par accident. Imaginez le désastre pour moi. Je m'invite avec une autre personne et elle raye la baignoire." s'amusa-t-il avant de se déplacer vers la commode. Il était, à cet instant, très proche d'Ineska le temps de ce saisir de la tasse. Il sentait le savon à la lavande. Finalement l'homme se recula et reprit sa position contre le mur et à côté de la porte. Contraste étonnant du colosse tenant dans sa main une frêle tasse en faïence remplit de thé. "J'ai des vêtements adaptés pour entrer dans votre cuisine si nécessaire." offert par un prince, zootrope cheval de son état.

C'est vrai que ces petits biscuits étaient bons. Elle pourrait aussi en faire, des biscuits. Eva en ramènerait plus facilement à sa famille. "Mon égo est assez émoussé ce soir pour réussir à rayer une baignoire, rassurez-vous." Inessa sourit, autant pour sa remarque que pour Fedor ; il était chou avec sa petite tasse, on dirait un enfant jouant à la dînette. "Ce pourrait être utile, je n'ai pas de tablier à votre taille" mordit-elle son gâteau.

"Je n'ai pas de tablier non plus. Ce sont des vêtements adaptés à une certaine strate de la société." expliqua Fedor. "Vous cuisinez et je regarde. Mais je le fais avec classe et dignité. Je ne voudrais pas vous attirer des ennuis avec une tenue taillée pour errer dans les rues." il montra sa tenue actuelle qui est résistante. Et large, il pourrait facilement ajouter un gros pull qui ne se sentirait pas serré. Il sourit presque un brin narquois. Presque. C'est une façon d'être qu'il a apprise auprès de Darcia. Comme quoi on évolue à tout âge.

"Je trouverai un tablier... il serait dommaaaaage de vous tâcher par mégarde. Les gens bien habillés ne traînent pas non plus dans les cuisines." Cela dit, quand Fedor lui montra sa tenue actuelle, le regard vairon ne manqua pas de s'attarder sur le corps qu'elle dissimulait.... mais plus comme on notait la force d'un étalon a son maintient et le roulement de ses muscles. Assez primitives comme pensées, sûrement un travers venant de sa zootropie... "Vous êtes pourtant parfait." Petite pause gâteau. "Pour une séance d'équitation."

"On ne me dompte pas aisément." dit-il en interprétant volontairement dans le mauvais sens. Il boira un peu de son thé pour se donner une certaine contenance et pour regarder la jeune femme l'air de rien. Il devina qu'elle ne se laissait pas dompter facilement non plus. "Le manteau n'est pas pratique pour monter." ajouta-t-il finalement. Ses yeux couleur acier, clairs semblaient à l'affût. Mais de quoi ? Difficile à dire dans une pièce aussi tranquille que la chambre d'ami au deuxième étage d'une bâtisse tranquille dans un quartier huppé.

"Ne voyez pas le cheval comme un ennemi." Ses mots aussi cachaient un double sens mais qu'il ne pouvait comprendre. "Et vous n'avez jamais monté en robe, votre manteau reste le summum de la praticité à côté." Boire debout n'était pas simple et la commode était haute... Ineska reposa sa tasse sur le plateau et opta pour descendre le tout à même le sol sur le tapis, où elle s'assit de manière à ne pas appuyer sur sa cheville. Pour rendre ensuite une seconde tasse pleine comme si de rien n'était.

"Je ne sais pas encore comment considérer le cheval." une phrase faisant référence à Roman, elle ne pouvait pas en saisir le double sens. Fedor l'observa alors qu'elle s'installait confortablement sur le tapis de la chambre. "C'est bien, il faut du repos à votre cheville." confirma-t-il en la voyant ainsi. Il ne fit pas de remarque quand à la bienséance. Cette dernière était la dernière de ses préoccupations. Par contre il ne quitta pas sa position. C'était l'endroit le plus sûr de la pièce, de là il pouvait intervenir où sa présence serait la plus utile en fonction de la situation.

Elle ne s'était pas attendue à une remarque, son côté médecin sûrement. "Savez-vous parler français ?" lui demanda-t-elle de but en blanc. "Je ne compte pas faire que des pâtisseries le temps de ma convalescence et comme sortir me sera, hélas !, fort compromis, autant avancer mes apprentissages." Que son absence aux prochaines soirées la peinait.... vraiment....

"Russe, Anglais, Mandarin, Indi. Mais pas français." il a appris dans chaque pays qu'il a traversé, l'anglais en Inde, c'est aussi une langue officielle là bas. "Vous comptez travailler l'agilité de votre langue pendant votre convalescence." demande-t-il avec un sérieux sans faille. Si on excepte des yeux légèrement pétillant.

Ce fut plus l'énumération que la blague douteuse qui l'interpela (il lui avait dit en même temps, qu'il était du peuple, elle n'espérait pas qu'il soit galant en tout point). "Mandarin et Indi ? Était-ce pendant vos années dans l'armée ?" Ce qui ferait sens. "Ainsi que de ma main.... la comptabilité demande une certaine souplesse du poignet. C'est que c'est long de remplir autant de petits calculs..." Du double sens ? Quel double sens ?

"Non, c'est après mes années dans l'armée, quand je suis parti découvrir le monde, seul, à l'aventure." expliqua le grand bonhomme. Son thé terminé il se déplaça pour déposer la tasse sur le plateau désormais au sol. Il le fait toujours en s'approchant beaucoup de la jeune femme. Mais il ne traina pas en chemin et il retrouva sa place contre le mur. "C'est aussi important de travailler la souplesse du poignet." confirma-t-il toujours extrêmement sérieux. Fait-il vraiment des blagues douteuses ? La question se pose quand même.

"En dressage oui... J'aimerais beaucoup voyager également mais seule, et bien..." Elle eut un rire sans joie alors qu'il s'éloignait de nouveau. "Je pense avoir démontré ce soir que c'est chose compliquée. Je ne sais me défendre aussi bien que vous."

"C'est compliqué et dangereux pour tout le monde en fait. Un homme seul est bien faible face à un groupe armé. Les balles me tuent quasiment aussi rapidement qu'elles tueraient un enfant. La différence c'est que les hommes sont rarement la cible de femmes folles de leur charme. Pourtant dieu sait si je suis charmant." dit-il en souriant plein d'humour et avec un brin d'arrogance. "Et quand ça arrive les méthodes des femmes sont moins agressives que celle des hommes.".

"Uhm.... je ne dirais pas moins agressives, disons moins promptes à nous mettre aussi en colère que les hommes. Je connais des femmes qui manquent incroyablement de subtilité et seraient capables de devenir de vraies furies." D'accord, Ibeska était connue pour ses scandales mais jamais elle n'avait créé de scène ni joué les hystériques... cela venait plus des hommes – et femmes – qu'elle faisait tourner en bourrique mais pas d'elle. "Je devrais vous inviter à une soirée avec que des filles de bonnes familles célibataires dans la trentaine, vous y feriez un ravage" le taquina-t-elle.

"C'est rare que des femmes agressent physiquement des hommes pour obtenir ce qu'elles désirent d'eux." dit-il tranquillement. Les femmes violeuses étaient rares. Il n'en avait jamais entendu parlé par exemple. Alors que les violeurs étaient légions. "Des ravages ?" demanda-t-il curieux. "J'aurais plus l'impression d'être une bête de foire je pense." il dit cela sans colère ni dégoût. "Serais-je vraiment respecté ?"

"La violence n'est pas le bon chemin pour obtenir ce que l'on veut de toute façon... même si elle reste un excellent exutoire. Parfois j'ai ce trop-plein de colère dont je n'arrive pas à me débarrasser. Une chance que j'arrive assez à me maîtriser" ria-t-elle mais la nuance était fausse, nerveuse. Combien de fois Ineska s'était-t-elle retenu de lancer une soupière en pleine de tête de son père ? Ou un plat de mignardises dans les dents d'un soupirant grossier ? "Ne cherchez pas le respect dans ce genre de milieu, il est encore plus rare. Surtout d'une femme qui cherche tout prix à se marier avant d'être cataloguée vieille fille."

"Je ne suis pas un bon parti." dit-il en haussant les épaules. "Mais je déteste que l'on me manque de respect ou qu'on me juge à l'aune de ma naissance." généralement il évitait ce genre de personne. Dernièrement il en a rencontré toute une palanquée. Principalement pour faire plaisir à Darcia. Dans le lot l'hôtesse de cette maison. Comme quoi on peut toujours trouver des pépites en cherchant bien.

"Vous vous destinez à être médecin, c'est un bon parti" piqua-t-elle un autre biscuit par gourmandise. "Les jugements à la naissance fonctionnent dans les deux sens... je me passerai bien de l'ombre que porte mon nom parfois. Être simplement Ineska, comme ce soir." Un temps. "Corrigez-moi si je me troupe mais j'ai l'impression que vous en avez souffert Fedor, de ce manque de respect."

"En fait non. Mais maintenant que j'ai parcouru le monde, un peu, je n'ai plus trop de patience avec les gens qui me prennent de haut." prendre de haut un ours polaire étant compliqué d'un certain point de vue. "Il y a quelque chose en moi qui généralement force à être circonspect. Donc généralement je n'ai pas de problème tant que je suis moi même poli et respectueux."

"C'est gens-là sont mes préférés en soirée, j'adore briser leurs illusions." Quoi ? Il fallait bien qu'elle s'occupe pendant ces soirées. "Quelque chose en vous....?" Elle leva la tête et l'observa de nouveau. D'accord, sa morphologie imposait un respect pragmatique qui tenait plus de l'instinct de survie. Mais hormis ça... "Je vous trouve plutôt doux et apaisant."

"Oui. J'ai une nature apaisante, tant que je ne suis pas irrité." sourit Fedor. "Dans le cas contraire il semblerait que mes yeux reflètent une intelligence de situation certaine, combinée à mon physique, cela refroidit beaucoup de personne observatrice ou intelligente." il était loin d'être une simple brute, et cela pouvait se lire sur son visage, ses yeux perçants et scrutateurs. Roman avait perçu que Fedor n'était pas aussi simple qu'un ancien soldat. Et le prince avait fait preuve de respect.

"Vous étiez gradé ?" Impossible qu'il ne soit qu'un militaire lambda, ça ne collait pas avc l'image qu'elle s'en faisait. Quant à pourquoi il avait quitté l'armée, c'était peut-être dans les secrets qu'il voulait garder. "Si vous me trouvez irritante, n'hésitez pas à me le dire. Je ne suis pas spécialement observatrice et mon intelligence est ailleurs."

"J'étais sergent, ce qui reste bas comme grade et très loin des officiers. J'ai -grandi- lors de mes voyages. Avant j'étais un homme très simple à l'esprit très étroit de par mon éducation pragmatique. Les chinois ont de nombreux philosophes, certains pratiquants les arts martiaux. Les Indous mêlent art du combat avec la médecine du corps et de l'esprit. Côtoyer ce genre de personne aide grandement à élargir votre âme." expliqua Fedor. "Je n'ai rien contre les questions. Lorsqu'elles me gêneront je me contenterais de ne pas répondre. Et vous ? votre caractère ne pose pas trop de problème dans votre famille ?"

"Je serais curieuse d'en apprendre plus sur vos voyages en Inde et en Chine. Leurs cultures, leurs... philosophie." Bien que curieuse ne soit pas réellement le bon terme. "Mon caractère est le principal problème de ma famille" échappa-t-elle un rire. "Si j'en suis les convenance, je ne suis bonne qu'à me marier et être éternellement obéissante à mon époux, qu'il apporte la pérennité de l'entreprise familiale." Le sarcasme coulait de ses paroles. "Je m'y refuse. Si bien que mon père me menace de m'enfermer au couvent... si qui n'est guère plus enviable."

"Durant vos séances de cuisine je vous parlerais de leur culture. Je me rendrais utile de cette façon." et il évitera de toucher les ingrédients. Chacun sa passion, lui ce n'est pas la cuisine même s'il n'est pas si mauvais que ça en fait.

"Les diamants sont fait pour être portés. Pas être caché." dit-il ensuite avec son sourire charmant sans être charmeur... ou alors un peu. Il n'est pas facile à lire ce grand bonhomme. "Personnellement je vous vois très bien en femme obéissante, c'est juste le mari que je ne visualise pas."