Rappel du premier message :



Elle n'avait pas hurlé. Pas de ces cris aigus emprunts de détresse tout du moins. Pas de larmes ou de suppliques.

La demoiselle Tselikovskaïa avait passé une excellente soirée chez son amie et, tout poliment, avait refusé l'offre de se faire raccompagner chez elle malgré la nuit avancée. Inessa vivait dans le quartier de Saint-Pétersbourg et hormis le Vatican lui-même, elle ne voyait endroit plus sûr à Moscou.

Sa jambe lui faisait terriblement mal et sa tête la lançait douloureusement. Son chignon d'ordinaire implacable pendait sur le côté, à moitié défait, et de longues mèches blondes barraient son regard bicolore furieux.

La rue n'avait rien de sordide pourtant, éclairée par les lampadaires, mais restait déserte à ces heures sombre. La zootrope était pourtant alerte, usant de l'instinct primaire des chevaux de se savoir en permanence proie. Sauf qu'elle n'en avait pas la rapidité, pas en robe somptueuse et bijoux raffinés dans une chaude capeline de fourrure.

"Un pas de plus... et je tire..." se voulait-elle menaçante face à l'homme qui l'avait attaquée, son pistolet pointé sur l'immondice. Les relents d'alcool qu'il dégageait n'étaient pas aussi terribles que ses manières et les intentions peu louables qu'il réservait pour elle se lisaient dans son regard lubrique, un lambeau de sa robe déjà dans ses mains. Et ce bâtard riait de sa prise tremblante sur son arme.

Il n'avait jamais eu de relation profonde avec les animaux, et cela ne risquait plus d'arriver désormais. Il regarda la jeune femme et sa monture avec des yeux presque tendres, presque. "Elle est magnifique alors je l'excuse." rétorqua Fedor en parlant de la jument. Enfin celle sur quatre pattes présentement.

"Je lui pardonne beaucoup trop à cause de ça, il est vrai" gratta-elle derrière une oreille. "J'ai aidé sa mère à la mettre au monde et je prends soin d'elle depuis et elle me le rend bien." Les caresses maintenant moins effusive, la jument portait son regard curieux sur l'étranger. "Ohhh, voilà quelqu'un que tu ne connais pas" se moqua-t-elle. "Approchez Fedor, elle doit vous sentir pour faire connaissance." Non, elle n'avait pas oublié que les animaux n'étaient pas à l'aise avec lui mais Perle restait en confiance, elle le ressentait.

Il s'avança. Ce n'est pas comme si des vagues de terreur émanait de lui pour submerger les autres animaux. Sans doute qu'avec la présence de sa maîtresse Perle ne sera pas trop sauvage. "Ne forcez pas cette jument à subir ma présence." dit-il doucement. "Elle n'a rien fait pour réellement mériter ça. Si vous désirez punir quelqu'un. Punissez vous." il n'empêche qu'il est désormais à côté de Perle.

C'était donc à ce point ? "Pourquoi avez-vous une telle mauvaise image de vous-même ? Si elle ne voulait pas vous voir, croyez-moi que c'est sa croupe qui nous ferait face." Pourtant la jument n'agissait pas ostensiblement sans pour autant dire qu'elle était... normale ? Perle était en général placide avec les inconnus une fois présentés mais là, elle prit son temps avant d'approcher le bout de son nez de Fedor, comme l'inspectant, hésitante. Ineska la regardait faire sans comprendre où elle voulait en venir.

"J'ai une excellente image de moi. C'est juste que les animaux ne m'aiment pas. Je n'y peux rien." dit-il en ne faisant pas le moindre mouvement. Il attendait sagement que le cheval fasse son inspection. Les chevaux étaient des créatures dangereuses. Lourds, puissants, nerveux, un écart et ils pouvaient vous envoyer valdinguer comme si de rien n'était. "Promis, je vais pas te manger." dit-il à Perle.

L'animal gratta le sol de son box mais ne bougea pas non plus quand elle se redressa. D'ordinaire, elle retournait à ses occupations mais là, elle gardait sa tête contre celle d'Ineska tout en fixant Fedor. "Tu es bien câlines ce soir Perle, c'est mon odeur qui te perturbe ?" Peut-être avait-elle sentit le sang de sa robe.

"Non, c'est moi." dit- simplement l'homme. Il souriait toujours tranquillement. Il avait l'habitude, pour une fois l'animal de ne réagissait pas de manière agressive ou de manière apeurée. Il y avait un mélange des deux, et un besoin de se rapprocher de sa maîtresse. Etrange de la part d'un cheval, mais pourquoi pas. "Elle s'habituera, normalement ça finit par passer au bout d'un moment." à la condition que le zootrope reste calme.

Ineska arrivait mieux à comprendre les réactions de sa monture, être soi-même un cheval par moment aidait, et ce qu'elle percevait de Perle était paradoxale. La jument n'avait pas peur mais restait nerveuse et sa manière de se coller à elle tout en surveillant Fedor... on dirait qu'elle la protégeait de lui. Leurs deux odeurs s'étaient pourtant mêlées quand il l'avait portée, cela suffisait pour que Perle accepte des inconnus d'ordinaire mais elle agissait de manière plus prudente cette fois. "Il vaudrait mieux. C'est avec elle que vous aurez vos prochaines leçons" le taquina-t-elle tout en caressant de nouveau les joues de Perle.

"C'est une jolie jument." constata l'homme. Toujours pas très motivé pour monter, il ne faisait pas preuve d'un grand enthousiasme. "Il y a visiblement un lien très fort entre vous deux." sinon elle ne se comporterait pas ainsi cette jument. Protectrice. C'est rare. Il préfère les chevaux de guerre, ces derniers sont habitués au bruit des batailles, au sang et à la violence. Ils n'ont généralement pas trop de problème avec lui. Tant qu'il reste calme. "Vous êtes mignonne quand vous êtes avec elle." sinon elle est moche peut-être ? il sourit intérieurement.

"Jolie et intelligente. C'est une Orlov. Une race destinée surtout aux courses et l'attelage mais je préfère le dressage... et je n'ai pas le profil type d'un jockey." Trop grande et donc trop lourde. "Je prends soin d'elle tous les jours et ici, elle est un peu... ma confidente. Un cheval que vous traitez bien aura souvent plus de respect pour vous que nos confrères humains." Elle posa un baiser sur la joue blanche et reçut en retour un raclement de gorge sourd, comme un ronronnement. "Donc mignonne avec elle et belle le reste du temps ? J'en prends bonne note" le taquina-t-elle.

"Je n'ai jamais dit que vous étiez belle le reste du temps." s'insurgea faussement Fedor. Sans doute l'avait-il pensé trop fort. "Elle pense quoi de tous ces hommes que votre père vous présente dans l'espoir de vous marier ?" demanda-t-il ensuite. Les confidents c'est bien, mais c'est mieux quand ils peuvent répondre. Enfin c'est son point de vue. Sinon autant aller voir un prêtre, ils sont toujours utiles quand on a besoin de rien et qu'on s'ennuie, ils parviennent toujours à trouver des problèmes où vous n'en aviez pas.

"Moi je dis" lui tira-t-elle un bout de langue comme une enfant. "Je ne suis en parle pas." Ineska se posa comme en aparté. "Elle est encore trop jeune pour comprendre ces choses-là." Puis se reprit. "Mais il est sûr que ma frustration à ce sujet augmente considérablement nos ballades. Chevaucher est ce qui me détend le plus, galoper sans but en pleine campagne et ne revenir que la nuit tombée..." Petit soupire.

"Chevaucher est une bonne manière de se défouler j'imagine." faisait-il exprès de mettre des doubles sens partout ? Difficile à dire. Parfois il l'accompagnait d'un sourire ou d'un regard, mais d'autre fois comme actuellement. Rien. "Sinon pour votre problème il existe la solution du veuvage précoce. C'est un tantinet brutal comme méthode. Mais ça fonctionne bien." Darcia était veuve. Personne ne voulait la marier malgré sa fortune. Enfin personne n'avait le pouvoir de la forcer à ce marier à nouveau.

La blonde eut un visage neutre à ces paroles. Ouvrit la bouche, la referma, et se lança. "C'était dans mes possibilités envisagées figurez-vous." Et pas l'ombre d'un remord dans ses yeux bleu et brun. "Mais mon avis sur les mariages arrangés est assez connu de tous pour que personne ne croit à un accident."

Impitoyable cette petite, quel caractère. Il n'était pas vraiment étonné au vue de la soirée passé avec elle. "N'aller pas vous confesser à ce sujet. Je crains que nos prêtres aient parfois un devoir du secret à géométrie variable." il n'avait aucune confiance dans les prêtres qui vendaient l'idée qu'il était un démon. Il sait parfaitement ne pas être un démon. Il a même sauvé un nonne une fois. Pas très reconnaissante la petite, visiblement elle avait été plus occupé à être terrifiée par lui qu'autre chose.

En Russie, et plus particulièrement à Moscou sous l'ombre du Vatican, la foi en Dieu était absolue. Ses prêtres jouissaient donc d'un certain prestige des croyants, c'était la norme culturel ici, et les mots de Fedor en public lui aurait valu de sérieux problèmes. Enfin, il ne craignait rien d'une femme qui avait avoué à l'instant préméditer le meurtre de son hypothétique futur mari. "Je ne me confesse pas, c'est plus simple, car je ne sais jamais s'ils sont plus voués à Seigneur qu'au Vatican."

Des mots dangereux. Intéressant cependant, il saisit parfaitement la nuance. Sa foi en Dieu a été érodé par son temps dans l'armée. Elle n'était déjà pas forte quand il était jeune. "Il y a une différence notable en effet. Pas sur que les Miliciens saisissent la nuance par contre. Le prêtre de votre église ne pose pas de problème ? Ou peut- être que vous faîtes de fausse confession pour la galerie ?" il faut se méfier des prêtres qui ont tendances à noter aussi bien les blasphémateurs que ceux qui évitent de pratiquer l'ensemble des rites "imposés".

"Uhm... ce n'est pas pour critiquer la Milice – en fait si – mais je les trouve un peu.... lents. Ils savent obéir, je n'en doute pas, mais prennent des libertés douteuses. J'ai failli avoir quelques ennuis à refuser les avances de certains gradés." Une chance qu'elle avait un ami d'enfance caporal-chef, sur ce coup, ça l'avait sauvée. "Et puis, qu'est-ce qu'une jeune fille de très bonne famille qui se rend régulièrement aux orphelinats aura-t-elle à se confesser ? De ne pas avoir rangé la confiture dans le bon placard ?" batti-t-elle des cils dans une mimique d'innocence.

"Il y a tellement de règles qu'il est facile d'en briser certaines. De plus je sais qu'on peut confesser des pensées impures par exemple. A moins que vous n'ayez jamais de pensées de ce genre." demanda-t-il avec son sourire charmant. Il était évident qu'il ne pensait pas UNE seconde qu'elle pouvait être libre de toutes pensées impures. "La Milice commet de nombreux abus de pouvoir et se sont les prêtres les plus efficaces pour se protéger de la milice. S'ils vous considèrent comme un zélote, aucun risque que la Milice ne vous cherche des noises."

"De quel genre de pensées impures parlez-vous donc ?" lui rendit-elle son sourire. "Le aucun risque est peut-être illusoire. Mais je m'entends bien avec le prêtre de mon église, ma mère l'adore en tout cas."

"Je ne sais pas... " il fait mine de réfléchir. "Ah... par exemple, hypothétiquement vous pourriez penser vouloir partager un bain avec moi et ensuite passer à l'étape supérieure. Hypothétiquement. Hors mariage, la fameuse -étape supérieure- serait un péché." dit-il en donnant l'impression qu'il s'était creusé les méninges pour trouver cet exemple parfaitement hypothétique.

Malgré les avances peu subtiles, Ineska eut un sourire. "Vous craignez donc tant que je raye cette baignoire ?" le charia-t-elle. "Je ne vois que deux solutions à ça : vous tâcher et prendre un bain ou m'épouser. Et je tiens à vous voir en tablier pour rappel."

Il fait à nouveau mine de réfléchir longuement. Puis il sourit. "Votre dot est élevée non ?" il sourit narquois. "Je pense qu'il est donc plus intéressant de vous épouser. Je n'aime pas me tâcher en plus." ce qui semble être l'argument le plus important en fait. "Je n'ai pas oublié." un tablier et quoi dessous ?

Elle eut un air déconfit en balayant sa haute stature du regard. "Ciel ! Il va être difficile de vous faire accidentellement disparaître ! Il faut que je trouve un autre plan..."

"Poison. Je ne suis pas immunisé. Les femmes en utilisent beaucoup pour compenser le manque de force physique et la peur des armes à feu." suggère tranquillement Fedor. "D'un autre côté ... peut-être que vous n'aurez pas envie de vous débarrasser de moi. Je gagne à être connu. Et je suis magnifique en tablier. Magnifique."