Rappel du premier message :



Elle n'avait pas hurlé. Pas de ces cris aigus emprunts de détresse tout du moins. Pas de larmes ou de suppliques.

La demoiselle Tselikovskaïa avait passé une excellente soirée chez son amie et, tout poliment, avait refusé l'offre de se faire raccompagner chez elle malgré la nuit avancée. Inessa vivait dans le quartier de Saint-Pétersbourg et hormis le Vatican lui-même, elle ne voyait endroit plus sûr à Moscou.

Sa jambe lui faisait terriblement mal et sa tête la lançait douloureusement. Son chignon d'ordinaire implacable pendait sur le côté, à moitié défait, et de longues mèches blondes barraient son regard bicolore furieux.

La rue n'avait rien de sordide pourtant, éclairée par les lampadaires, mais restait déserte à ces heures sombre. La zootrope était pourtant alerte, usant de l'instinct primaire des chevaux de se savoir en permanence proie. Sauf qu'elle n'en avait pas la rapidité, pas en robe somptueuse et bijoux raffinés dans une chaude capeline de fourrure.

"Un pas de plus... et je tire..." se voulait-elle menaçante face à l'homme qui l'avait attaquée, son pistolet pointé sur l'immondice. Les relents d'alcool qu'il dégageait n'étaient pas aussi terribles que ses manières et les intentions peu louables qu'il réservait pour elle se lisaient dans son regard lubrique, un lambeau de sa robe déjà dans ses mains. Et ce bâtard riait de sa prise tremblante sur son arme.

Il la regarde avancer tant bien que mal. Et ne fait pas de remarque au sujet de la volonté un peu ... étrange de vouloir faire les derniers mètres sans assistance."De rien." il ne minimise pas non plus son intervention. C'était dangereux et si l'un des hommes avait sorti une arme à feu la situation aurait pu dégénérer mais pas dans le bon sens.

La chambre est coquette, les décorations sans être mièvres dénotent une touche de féminité indéniable. Il y a un lit, une commode avec de quoi se laver et un grand miroir que l'on peut déplacer à sa convenance dans la pièce.

Le bain chaud était ailleurs mais en attendant, elle pouvait toujours se débarrasser du sang qui commençait à sécher sur son visage. "Je ne suis toujours pas contre quelques soins" lui glissa-t-elle en le dépassant avant qu'il ne s'échappe. Prenant sur elle, Ineska parvint à la bassine d'eau, y trempa un tissus et se laissa tomber sur le bord du lit avant de commencer son nettoyage sommaire. Quant à son corsage... disons qu'il ne montrait pas autant que les filles de joie quand elles étaient vêtues, elle pourrait faire avec le temps de.

"Il va falloir me considérer temporairement comme un spécialiste." précise Fedor. "Je vais devoir regarder directement votre blessure et certainement palper votre jambe." ajoute-t-il pour expliciter sa première phrase. Il n'a pas l'air inquiet ou gêné, ce n'est pas la première fois qu'il soigne une femme, connue ou inconnue d'ailleurs. C'est désormais une partie fréquente de son apprentissage de médecin. Il se pose un genou à terre devant la jeune femme et attend qu'elle acquiesce avant d'aller explorer sa jambe blessée.

"Faîtes, je vous aurais fait sauter une ou deux molaires avec mon talon si j'étais contre l'idée" eut-elle un sourire amusé, le premier entrebâillement de sa véritable personnalité de la soirée. "De plus, c'est moi qui vous ait enjoint à me soigner." Même si la situation restait embarrassante ; Ineska préféra défaire le reste de son chignon et s'occuper de ses longs cheveux d'un blond argenté que de regarder l'homme à ses pieds.

"Certes, mais je préfère éviter de prendre des coups." dit-il simplement en commençant à relever la jupe de la demoiselle. Il est délicat et commence à ausculter cette dernière de manière très professionnelle. "Ce n'est pas grave, une foulure. Il faut que je trouve de la glace, ensuite je vous ferez un pansement qui compresse. Finalement il faut du repos." explique-t-il rassuré que la blessure soit bénigne malgré le fait qu'elle soit handicapante.

Mince... Pas de galopades pendant un petit moment donc. "J'ai cru comprendre que les coups, vous savez très bien les donner en revanche... où un médecin a-t-il appris à se battre ainsi ?" La peur passée, la scène dans la rue se rejouait dans sa tête et l'inconnu restait impressionnant. A ce qu'elle savait, ni la Milice, ni la police avaient de tels combattants en ville. Peut-être un soldat en permission ?

"Je ne suis pas encore médecin, loin de là. J'ai commencé cette année, mais j'apprends vite. Et j'ai d'excellente connaissance en premier soins. J'étais soldat avant. Puis j'ai voyagé pour rencontrer d'autres cultures." explique-t-il rapidement. Il se redresse et prend maintenant le temps de regarder le visage de la jeune femme. Pas désagréable pour le coup. Loin de là en fait. Dans le couloir des pas se font entendre.

"Fedor ? tout va bien ?" demande une voix féminine.
"Oui, merci, ce n'est qu'une foulure et un petit choc." répond l'ex militaire. Visiblement la victime se remet déjà du choc.

Ainsi avait-elle vu juste. Et la victime se remettrait mieux si elle trouvait comment dépenser toute cette rage qui bouillonnait envers les ivrognes qui l'avaient prise pour cible. Cette flamme devait se lire dans ses yeux vairons maintenant que la peur et la honte étaient de second plan. "Fedor donc..." eut-elle un petit sourire.

"En effet." il s'était déjà présenté en fait, mais sans doute que le choc était encore trop présent à ce moment là, elle n'avait visiblement pas imprimé. "Fedor Ianovitch Voliakov" précisa-t-il afin d'être poli. La femme issue de bonne famille en face de lui désirera peut-être rester anonyme, mais lui n'avait aucune raison de le faire. Il se tenait debout devant elle et la surplombait de toute sa taille, pas spécialement pressé de la quitter.

"Si tu avais des habits de rechange." dit Fedor en direction de la porte. Derrière la femme acquiesça avant de s'éloigner.

Qu'on se le dise, Ineska était plus fière qu'orgueilleuse et son assurance revenu ne lui permettait pas de faire les choses à moitié. "Enchantée Monsieur Voliakov. Je suis Inessa Tselikovskaïa" imita-t-elle une petite révérence tout en restant assise. Mais sincèrement, elle aimerait que son nom ne lui dise rien (et quant à son patronyme, une fois encore, elle l'ignorait délibérément). "J'eus tout de même préféré que nous nous rencontrâmes dans d'autres circonstances."

"Pas moi." dit-il avec franchise. "Nous ne sommes pas issue du même monde, dans d'autres circonstances il est peu probable que je puisse attirer votre attention autrement que par mon physique un brin atypique." et visiblement il a conscience que son physique ne suffirait pas forcement à franchir la barrière des différences de classe. Inessa. répéta-t-il ensuite de sa voix grave et sereine, comme s'il suçait un bonbon sucré.

Un rire lui échappa tant l'ironie était grande. "Navrée mais..." Elle s'éclaircit la gorge pour se reprendre, un sourire amusé ourlant toujours sa lèvre fendue. "Je veux dire, les hommes de mon monde comme vous dîtes ne sont pas ceux qui peuvent m'approcher sans recevoir des sarcasmes de ma part... dans le meilleur des cas du moins."

Curieuse femme qu'il vient de rencontrer. "Intéressant" dit-il alors son intérêt était désormais piqué à vif. Après tout la jeune femme avait un physique avantageux et visiblement un caractère en acier trempé. D'autres victimes seraient encore en pleurs après une agression de ce genre et n'aurait sans doute pas réussi à se défendre le moins du monde. Il sourit, un sourire charmant sans être charmeur, il ne sait pas vraiment charmer autrement qu'avec son naturel. Il n'est pas de ceux qui séduise, il est juste lui même et parfois cela suffit, parfois non.

Ce devait être ce petit quelque chose qui mettait la blonde en confiance : il était naturel. Pas à se donner de faux-airs, de la prestance superflue et surtout, surtout !, il ne cherchait pas à se mettre en avant pour la séduire à tout prix. Quoiqu'elle n'est plus grand chose à cacher, il l'avait secourue alors qu'elle était au plus bas. Devait-elle encore maintenir les apparences de son côté après cela ? Au Diable donc les convenances, elle n'en avait pas envie. "Quoi donc ? Si vous êtes friant de sarcasmes, je peux faire un effort pour vous contenter si ce n'est que cela."

"Je pratique le sarcasme, mais je n'en suis pas friand quand j'en suis la cible." expliqua Fedor. "Je trouve intéressant de rencontrer une femme comme vous. Qui semble plus à l'aise avec les hommes comme moi qu'avec les nobles ou autres puissants issues d'un sang d'une qualité plus élevée. Personnellement tous ces privilèges liés à la naissance me laisse froid. Je juge les hommes de part leur réaction face au danger et la passion qu'ils mettent dans leurs idéaux."

Quelle tirade ! Elle en était venue à croire qu'il n'échangeait que le strict minimum... même si son discours restait direct. "Nous sommes donc d'accord sur ce point, Monsieur Voliakov.... et veuillez prendre note que seuls les hommes ont ces fameux privilèges. Nous n'affrontons pas les mêmes dangers, ni entretenons les mêmes idéaux... Quels sont les vôtres Monsieur Voliakov ?" Un soldat aussi bon combattant qui devenait médecin, il y avait forcément une histoire dessous.

"Fedor. Je ne suis pas un monsieur." dit-il alors que ses oreilles saignaient à s'entendre se faire appeler ainsi. "Tolérance, respect de la vie et talion." c'est un brin paradoxal, la loi du talion est particulièrement violente. "J'aimerais me débarrasser du dernier élément, mais l'époque ne s'y prête pas." l'agression de la soirée étant un exemple parmi tant d'autre, ce qui est encore plus vrai pour un zootrope. Mais elle ne doit certainement pas comprendre. Quoique, il connait un noble zootrope, un cheval.

"Les deux autres non plus..." souligna Ineska plus pour elle-même. "Le voyez-vous comme une insulte ? Le monsieur ?" Sa réaction l'interloquait. Les gens qu'elle côtoyait aiment se donner des titres mais lui les rejetait, pourquoi ?

"Non, mais les gens qui m'appellent ainsi sont souvent des personnes que je n'apprécie pas ou des inconnus. Nous ne sommes plus des inconnus l'un pour l'autre." quand on se retrouve au front avec quelqu'un d'autre la distance social s'estompe forcément. Pour le coup elle ne semble pas farouche en plus. "Je ne demande pas aux autres d'être tolérant, je me contente de l'être, ça me suffit."

Il lui faisait peser à cette aviatrice-ex-infirmière dans ce bar qui l'avait invitée à une partie de billard sans ambage. Les choses étaient simples quand on ne les compliquait pas mais les gens de son monde aimaient se complexifier la vie, histoire de la pimenter un tant soit peu. "Vous me semblez d'une nature tellement plus calme et sincère que c'en est désarmant... Je ferais donc à votre convenance, Fedor, si vous faîtes à la mienne." Elle le fixa de ses yeux bicolores. "Ineska" lui offrit-elle son surnom en retour.

"Ineska." répéta-t-il alors en hochant la tête. Le surnom sonnait bien. "Cela me semble en effet juste." et puis il ne se voit pas refuser une simple concession à une si belle femme. "Le bain devrait être bientôt prêt, il me semble que vous pouvez malheureusement vous mouvoir suffisamment pour n'avoir besoin d'aucune assistance une fois dans la salle de bain." dit-il avec un petit sourire en coin. Curieux de savoir comment la femme du monde réagit à ce genre de commentaire.

"Vous croyez vraiment que j'en suis à ma première cheville foulée ?" haussa-t-elle un sourcil avec un sourire en coin. "J'ai élevé ma propre jument depuis qu'elle est née, des coups et des chutes, j'en ai eu ma part." Ça et ses propres maladresses sous sa forme animale.

"Pas du tout. Je pense justement que vous êtes assez forte pour vous débrouiller seule. Ce qui ne nécessite donc pas mon intervention. Dommage." il est encore plus direct cette fois. Son sourire reste néanmoins discret et légèrement amusé.

"J'apprécie que vous le pensez" laissa-t-elle planer le doute quant à quelle partie de sa phrase reprenait-elle. "M'indiquer la salle de bain me serait toutefois d'une grande aide pour un trajet en ligne droite."

"Le majordome nous préviendra quand ça sera prêt, c'est la porte d'en face. La maitresse des lieux déteste partager sa salle d'eau." explique Fedor. Elle ne semble pas choquée et ignore tout simplement sa remarque. Soit elle n'est pas joueuse, soit c'est encore un peu tôt pour ce genre de jeu. "En attendant vous êtes coincée avec moi." elle pourrait exiger son départ notons.