Rappel du premier message :



Il faut qu'on se voit.

C'est le message que j'avais reçu d'une connaissance. J'avais pas eu de ses nouvelles depuis un bail et recevoir ça, sans ambages, c'était un peu troublant. Après tout, je ne connaissais pas intimement le type. Pourquoi moi ? Je décidai d'en avoir le cœur net.

Le Gloubi-boulga était un bar tout ce qu'il y avait de plus banal, peuplé de prolos patibulaires et d'un double-menton derrière le zinc, qui s'appelait probablement Bob. Le type essuyait une choppe avec un torchon et la décoration consistait essentiellement en dessous de verre cloués au mur, c'est vous dire... Je lui avais donné rendez-vous à cet endroit pour deux raisons :

1. Le studio où je travaillais n'était pas très loin.
2. Les bières y étaient bon marché.

Je retrouvais Nathan, le type en question, dans un des box le long de la vitrine. Il portait un bonnet et des vêtements trop imposants pour la température intérieure. Il avait l'air perdu.
"Salut."
Je m'assis face à lui et mes super-sens aiguisés de personne mourant de faim détectèrent immédiatement une forte odeur de tabac.

Porter plainte ? Comme si j'avais de quoi me payer un avocat. Merde, j'étais pas blanc à ce point ! J'allais pas porter plainte à chaque fois qu'un truc m'emmerdait. Quoique, on pouvait porter plainte contre la mauvaise haleine au petit matin ?

"Non. J'lui ai techniquement rendu un coup. Porter plainte pour un seul coup d'poing, ça serait comme passer l'aspirateur alors qu'y a une seule moumoute par terre. Les chiropracteurs font plus de dégâts que ça."

Spoiler:

Si j'continue à hausser des épaules comme ça, c'est moi qui aurais besoin d'un chiropracteur. Il n'aurait pas besoin de stipendier un avocat, avec deux policiers comme témoins plus la caméra du bar il aurait toutes ses chances. Enfin, j'suis pas comis d'office et j'me contrecarre qu'il porte plainte contre Alphonse. Je devais juste demander par éthique.

"Vous voulez bien me décrire ce qu'il s'est passé dans ce bar ?"

"Eh ben j'suis arrivé parc'que mon pote avait un truc important à m'dire. Faut croire qu'y faisait son coming out, ou un truc comme ça. L'avait pas l'air au courant lui même qu'il était mutant. Mais ça m'arrive d'avoir l'attention qui flanche, alors mon oreille a vagabondé vers la discussion du bar et j'ai entendu l'jeune qui s'est mis à agresser un vieux."

Pause. Mon attention dérivait vers mes souvenirs.

"Remarque, sa doudoune couleur vertex ou pommanche était pas mal."

Spoiler:

"Et ensuite ?"

J'ai pas la patience d'une papangue moi, et déjà trop de paperasse pour finir à l'heure.

Ils avaient quel vert, au Texas, déjà ? Peut-être que c'était plutôt kaki, pas vertex. J'étais pas sûr de mon coup, là. Mais il était peut-être déjà trop tard pour modifier ma déposition. Il était trop tard ?

"Après, j'lui ai dit d'se calmer, en mode 'calme toi, mec', et y s'est agité comme un pangolin sous ecstasy pendant qu'sa copine lui s'couait la manche comme un fétiche aborigène."

Spoiler:

"Vous pouvez décrire plus précisément cet homme et sa compagne ?"

Vertex, fétiche africain, on ne mange pas de ce gruau-là dans la police. On n'est pas une bande de cucurbitacés dégénérés, on attend des termes plus précis.

"KAKI !" Okay, j'avais dit ça un peu fort.

"Ahem... L'individu, euh, portait une doudoune kaki et mesurait environ trois quarts de Tyler Lyons. Caucasien. Genre, caucasien blanc, quoi. Un accent du bronx. Les cheveux courts et peroxydés. La fille... Elle devait être originaire de Chine, 'fin d'un pays d'Asie, quoi. L'avait un T-shirt avec un dessin d'chat un peu... Tendancieux. Un truc de zoophiles, sans doute. C'est un gang de zoophiles ?"

Spoiler:

Rester professionnelle. Rester professionnelle. Et ne pas répondre que j'en sais rien. Il aurait pu sortir gerontophile vu l'attention que portaient la bande au Papi non ? Drôle de gars. Et ça mesure combien un Tyler Lyons déjà ? Bref. Nouveau haussement d'épaules.

"Attendez 3 secondes. "

Je sors de la salle et je chope l'un de mes collègues qui se bidonne derrière la vitre teintée. Bin tiens.

"J'espère que vous avez des photos ds prévenus, sinon j'laisse sortir ce gars dès maintenant."

Je patientais sur mon smartphone et en profitai pour prendre des nouvelles de Nathan.

> Hey mec, t'es où ? Tu vas mieux ?
> Ouais, merci ; le Uber m'a déposé chez ton gars. Il m'a donné des cachetons et ça s'est calmé.
> Si tu veux, on peut reprendre not' conversation ce soir, autour d'un burger.
> Non, désolé, j'habite plus loin, sur Coney Island. Je suis qu'un baise-en-ville qui peut plus chopper les minettes.
> Dis pas ça...

Mais il avait pas tort, le pauvre.

Spoiler:

On daigne enfin me filer un dossier complet dont une brève lecture en travers répond à mes questions. Je retourne avec Israël (ses parents devaient pas plus l'aimer que ceux d'Alphonse...)

"vous pouvez me dire si vous reconnaissez ces personnes parmis ces photos ?"

Il y a une quinzaine d'inconnus et nos gars au milieu.

Je regardai les photos et les reconnu aussitôt. Du moins celui qui parlait, ainsi que sa copine et un de ses potes. Pour les autres, c'était plus dur ; les photos dataient un peu. Ils devaient être sur leurs traces depuis un petit moment.

"Lui, lui, elle. Pour les autres... Hum, peut-être celui-là, mais j'suis pas sûr. J'ai pas trop fait attention. C'est comme dans Grease, on s'souvient tous de la gueule de Kenickie, mais pas des autres membres des Scorpion, pas vrai ?"

Ref de vieux. C'est un acharnement de références.

"D'accord. Merci. Vous pouvez reprendre votre récit."

Sérieux. Rester pro avec un zouave pareil, c'est chaud. Me faudrait quelques barbituriques pour l'apaiser. Quoi que je ne suis pas certaine qu'un tel traitement soit curatif de sa personnalité. Je sais pas que frelon l'a piqué mais c'est pas évident de le suivre...

Soupire. J'avais rien contre raconter une scène, surtout si ça finissait par quelques coups de poings, et même quand j'me les prenais. Mais le raconter à quelqu'un qui était là, c'était nettement moins drôle.

"Même pas eu l'temps d'finir ma bière..."

Si au moins il y avait eu un truc à grailler. Mais non. Il devait déjà faire nuit, dehors. Et dire qu'il y avait la redif' d'un match que j'aimais bien, à la TV.

"Après, j'me suis pris une patate venue d'un angle mort."

"En parlant de patate, vous parlez bien d'un coup de poing ? Pouvez-vous me dire qui vous a porté ce coup ?"

Faut être clair pour que les esprits convexes des procureurs ne cherchent pas la p'tite bête.

"Un aut' péquenot, le p'tit fils du papy sur lequel les arsouilles l'embrouille débagoulaient leur fiel. Il avait dû croire que j'étais du lot et aura voulu faire un exemple."

Je me grattais le menton. C'était ça, quand on était con et impulsif. Dire que certains de ces types avaient le pouvoir de tuer quelqu'un d'un claquement de doigt.

"Et oui, je parle effectivement d'un coup porté à force vélocité dans la poire, pardon, le faciès."

Spoiler:

Et voilà que le dico ambulant est de retour. Je ne sais pas comment écrire ça, mais peu importe comment on le retranscrit, et peu importe le dioptre au travers duquel on le regardera, je crois que ce sera drôle même au travers de la plus épaisse des lentilles.

"Et après ?"

Je devais gamberger un peu plus pour démêler la suite.

"Euh... J'ai poussé l'type avec mon pieds, y s'est vaguement tartiné contre la porte d'entrée. Ensuite, deux p'tits fureteurs sont entré dans la danse pour tout gâcher. L'un était un type patibulaire qui avait l'air d'en être à sa deuxième crise de foie, et l'autre un top modèle renfrogné avec des yeux sombres."

Je m'étirai sur ma chaise pour faire craquer mon dos.

"Vous voulez peut-être une description plus précise ?"

Spoiler:

Si je demande une description plus précise les gars vont tellement se foutre de ma gueule. Attends il serait pas de mèche avec eux ?

"Otez-moi d'un doute, mes collègues ne vous ont pas payé pour me faire tourner en bourique ?"

Un goût de babeurre envahit ma bouche.

Je jetai un regard oblique à Lucie. J'avais loupé un épisode. Je réfléchissais à pourquoi elle me demandait ça, mais le levain ne voulait pas prendre.

"Quoi... Vous croyez qu'ils m'ont payé pour m'faire éclater la gueule comme un kiwi ? C'est un délire d'espionnage entre services et j'serais un genre de vouivre des affaires internes ?"

Je secouait la tête, ce qui activa aussitôt une migraine jusqu'ici en embuscade.

"Non. Et encore heureux, parc'que sinon vous seriez mal."

Spoiler:

Un délire entre les succursales de la police, j'm'en taperais. Un bizutage de mes balourds de collègues me mettrait de bien plus mauvaise humeur. Mais j'avoue qu'ils ne gagnaient pas assez pour payer un type pour qu'il se fasse recartographier la gueule.

"Si vous le dites. Je crois qu'on a l'essentiel. Je reviens avec votre déposition, il ne vous restera qu'à la signer, nous montrer vos papier et partir."

Je l'avais vexé ? Ou alors ça faisait tout simplement partie du packaging de la flic froide et efficace ? Difficile à dire. Je la regardais donc ragequit la pièce, sans doute pour aller taper ses collègues. Pour x raison.

> Mec, comment ça se fait que ta mutation apparaît que maintenant ? J'croyais que ça se déclarait chez les ados.
> J'en sais rien. Je comprends pas ce qui m'arrive. C'est ça, mon super pouvoir ? Vomir ?
> Ca, et le troisième téton ?
> ...

Spoiler:

J'suis pas salafiste, mais un bon petit lattage de couilles pour qu'on respecte les lois de la bienséance entre collègue me tenterait bien... J'reviens bientôt avec le papier résumant le récit du bar, j'le tends à Israël.

"Si vous êtes d'accord avec cette version, vous pouvez la signer, sinon j'apporterais les modifications qu'il faut."

Et après j'me commande un pantagruélique hamburger sur sur Deliver eat.

Parfait, cette mascarade allait pouvoir prendre faim, et moi, un énorme menu plein de gras.
"'Vais enfin pouvoir grailler..."

Mais, à la seconde où j'allais signer, je m'arrêtai. Réfléchis, mec : c'est chez les flics, ici... Je me mis à bien relire ma déposition en détail, pour être sûr que je signais pas des aveux ou la résiliation de mes droits sur mon rectum en cellule.

"Hum, et si c'est vous qui jouiez un tour à vos collègues ?"

Spoiler:

Franchement, son témoignage n’était pas univoque et j’ai essayé de le rendre limpide en gardant l’âme de l’auteur pour les descriptions. Histoire de rire un peu en relisant l’truc.

« Vous proposez quoi ? » je lui demande, soudain vivement intéressée. Si j'peux leur faire ravaler leur connerie, ce sera toujours avec plaisir.

Dans l'ensemble, le document me convenait. Je signai.

Quand Lucie sembla intéressée par ma proposition, je jetai un bref coup d'œil vers le miroir sans teint. Peu de chances qu'ils soient restés pour mater la signature d'une déposition. Les types devaient être partis.

"Hum... Vous avez déjà vu Le silence des agneaux ? Un psychopathe qui manipule les ses geôliers et appuie là où ça fait mal ? Si vous jouiez le souffleur, je pourrais faire peur à vos potes."

Sourire sadique.