Rappel du premier message :



Il faut qu'on se voit.

C'est le message que j'avais reçu d'une connaissance. J'avais pas eu de ses nouvelles depuis un bail et recevoir ça, sans ambages, c'était un peu troublant. Après tout, je ne connaissais pas intimement le type. Pourquoi moi ? Je décidai d'en avoir le cœur net.

Le Gloubi-boulga était un bar tout ce qu'il y avait de plus banal, peuplé de prolos patibulaires et d'un double-menton derrière le zinc, qui s'appelait probablement Bob. Le type essuyait une choppe avec un torchon et la décoration consistait essentiellement en dessous de verre cloués au mur, c'est vous dire... Je lui avais donné rendez-vous à cet endroit pour deux raisons :

1. Le studio où je travaillais n'était pas très loin.
2. Les bières y étaient bon marché.

Je retrouvais Nathan, le type en question, dans un des box le long de la vitrine. Il portait un bonnet et des vêtements trop imposants pour la température intérieure. Il avait l'air perdu.
"Salut."
Je m'assis face à lui et mes super-sens aiguisés de personne mourant de faim détectèrent immédiatement une forte odeur de tabac.

Pas que ça me dérangerait de répondre positivement à cette question.

"Ton pote peut se casser, toi pas."

Et j'avoue que ça me fait bien chier, j'aurais préféré que ce soit le monstre qui finisse en cage. On a menoté les trois ados, j'pense que c'était eux que visait le chef.

"Vous nous suivez de vous même au poste ?" demande mon chef.

J'capte rien aux balbutiements du môme que j'ai maitrisé. Un truc du genre "l pr feu". J'écoute pas les raclures de ton genre déso.

Je posai Nathan sur un tabouret. "Désolé, vieux. Tu ferais mieux d'appeler un Uber au plus vite. Demande Meethalouba sur Trenton st."

OK, cette flic commençais à me taper sur le système.

"Et Alphonse, je suppose qu'y va s'en tirer pépouze ? Nan, vot' délire, c'est plutôt les punks et les honnêtes citoyens, à c'que j'vois. D'ailleurs, loin d'moi l'idée d'vous apprendre vot' métier, mais l'type sur lequel z'êtes à califourchon est en train d'prendre feu."

Spoiler:

V'la que gugus se prend pour un patriote et essaie d'nous apprendre notre taf. Je soupire me lève prestement et me dirige d'un pas rapide vers l'arrière du bar, bousculant le patron qui reste encore prestement planqué. J'attrape l'extincteur et vais en asperger l'ado qui s'embrase alors que mon chef explique à la manière du pourquoi du comment, manière frontalier dans les marches : minimaliste.

"Il nous faut votre témoignage, ces vandales n'en sont pas à leur premier coup."

J'en profitai que la flic s'improvisait pompier pour saisir le portable de Nathan et appeler un taxi pour lui. Je notai par avance l'adresse, ne sachant pas à quel moment j'allais passer de témoin à terroriste pour aucune raison.

Les bras croisés d'exaspération, je m'adossai au comptoir.

"Hey Bob, tu devrais peut-être prendre une bassine en plastique au cas où il vomisse. Dans Breaking Bad, ils disent que le plastique, ça résiste à l'acide. Un truc comme ça."

Spoiler:

Ah ? Donc c'était pour ça ? Mais pourquoi l'chef m'a embarqué moi ? Et pourquoi on n'est pas plus ? Je grimace en me rappelant ma dernière rencontre avec des mutants... Je soupire. Les collègues débarquent enfin alertés par la meuf d'Alfonse qui est sortie en courant il y a trois minutes. J'crois je viens d'me faire bizuter. J'ai le seum.

Un ange passe. En fait, avec moi qui tire la gueule, la flic qui tire la gueule, et les jeunes qui tirent la gueule, c'est toutes les armées célestes qui défilent en attendant que vienne le panier à salade. On se croirait au club des vétérans victimes de varice ou autre ongles incarnés récidivistes. Nathan se transforme en œuvre abstraite orthogonale, la gueule sur le zinc.

Raclement de gorge.
"Bon, ça vous dit pas au moins qu'on attende vos collègue dehors ? Comme ça on pourra s'en griller une."

Spoiler:

Fallait qu'il le dise pour que les copains débarquent et embarquent les fouteurs de merde moins un. Je soupire.

"Votre clope vous la fumerez plus tard, vos poumons vous remercieront."

Je m'approche de celui qui se déverse sur le comptoir et je demande au barman :

"Vous lui serviriez pas un verre de lait, ça tamponne l'acidité."

Enfin c'est ce que disait ma mère. Je jette un regard noir à mes collègues, s'il y en a un qui moufte j'le dégomme.

En route pour le commissariat... Non mais ils déconnent là ? Ils me font asseoir DERRIERE. Putain de bizutage.

Je compris pourquoi on nous met la main sur la tête pour monter dans la voiture. Des fois, la situation est tellement débile que t'as envie de t'éclater contre une portière. Je devrais peut-être m'estimer heureux : sans menottes aux poignets, je perdrais peut-être pas mon travail.

La flic à côté de moi semblait carrément à cran. J'essayais de détendre la situation.
"Et donc, les punks à chien, c'était un genre de gang ? Ils trafiquaient des Haribo, un truc comme ça ?"

Spoiler:

Non mais t'as cru j'étais là pour te faire la conversation ? Faut que je t'avoue que j'en sais strictement rien, que j'ai sauté sur l'occasion de sortir et que j'me suis fait bizut ? Non mais faut pas abuser. Je hausse les épaules.

"T'as toujours foutu la merde comme ça ?"

Ouai c'pas à moi de répondre à des questions.

Mon ventre se mit à gargouiller.

"C'est un hobby. Quand les gens pètent des câbles autour de moi, je leur dis de se calmer. Et si la police, qui est témoin de la scène, ne fait rien, j'leur tabasse les poings avec mon visage."

J'espère vraiment qu'il font des glaces italiennes au commissariat.
Parfum : chocolat-spéculum.

Putain, j'ai tellement faim que j'en perds mon latin.

Spoiler:

"Peut-être que si vous les agressiez pas en essayant d'les calmer votre visage s'en sortirait mieux." je reprends le vouvoiement plus pro. Quand est-ce qu'on arrive ? Cinq minutes si on évite les embouteillages.

Va falloir que je trouve lequel de ces cons a proposé de me vanner et que lui botte le cul.

"On vous trouvera un peu de glace au poste."

"'Devriez m'remercier : y s'en seraient pris au vieux plutôt qu'à moi en vot' présence, le fossil vous aurait collé un procès pour... Inaction, je sais pas quoi. Ca fout toujours des procès, les vieux."

Je regardais les rues de NY défiler sous les yeux, le doux brouhaha, le reflet du soleil sur les vitres.

"J'suis censé dire quoi, sur les loustics ? Comme quoi ils m'ont proposé un truc hardcore ?"

"On ne les a pas laissé vous toucher, on devait vérifier qu'il s'agissait de la bonne bande, et vous étiez tout à fait apte à gérer Alphonse..."

Ou pas mais j'm'en branle. Ouai, je suis pas certaine de ce que j'avance. J'essaie de faire semblant d'être au courant de tout ok ? C'est pas évident.

"Vous répondrez aux questions, vous inquiétez pas ça ne sera pas compliqué."

Je vois le genre : ils avaient un signalement qui ne décrivait que les mutations. Sans doute des types à Magnetus, ou qui que ce soit. Et dire qu'à cause de ces trous du cul, je me trouvais dans une voiture de flic, avec une épée de Damoclès pesant sur le pucelage de mon casier judiciaire.

"L'avait peut-être pas tort, le papy. Des sacrés fouteurs de merde, ces mutants, quand même..."

J'suis d'accord, et il me parait un peu plus sympathique sur le coup, mais un haussement d'épaule sera mon unique réponse car nous arrivons.

"Bien alors Denvers on s'est fait arrêter !" ricane le collègue qui m'ouvre avant de lâcher un grognement.

"Oups désolé Fred' j'avais pas vu ton pied."

Sourire. J'fais un signe au dégarni.

"Suivez-moi le temps qu'ils mettent ceux-ci en cellule on va vous chercher d'quoi vous arranger."

"M'arranger ? C'est grave à c'point ?"
Soupir.

Je n'avais même pas pris le temps de me regarder dans la vitre du véhicule. Tant que le nez ou les dents n'ont pas l'air pétés, pas de quoi s'inquiéter. Le petit-fils tapait comme une bourgeoise.

"Denvers, hein ? Z'êtes encore jeune, alors j'imagine que vous v'nez du Colorado, un truc comme ça ?"

"Z'avez l'arcade ouverte, et la joue qui commence à gonfler, un peu de glace un strip et d'ici une semaine on n'y verra plus rien"

Et je sais de quoi je parle.

"Non, new-yorkaise pure souche. "

J'entre dans la salle de repos et je sors du congelo le sachet de petits pois qui nous sert dans ce cas de figure et la trousse de premiers soins.

Je jetai un regard absent au congélateur rempli de yaourts. L'arcade sourcilière ouverte ? Je me touchai le visage, qui s'avéra recouvert de squames brunâtres.
"Hum... M'allait plus, ce T-shirt, toute façon..."
Le logos Texaco était généreusement rougi. Métaphore involontaire du plus bel effet.

"Vous vous plaignez à la télé de plus avoir de budget... J'crois que j'commence à vous croire. J'connais pas beaucoup d'infirmeries qui sentent le boulgour et l'KFC."

"On a une infirmière, une demie journée par semaine on fait sans."

J'sors un coton que je trempe dans l'alcool.

"Approchez-voir."

On va pas prendre 3h pour une arcade. J'lui arrange ça et on va faire sa déposition.

"Plus vous en parlez, plus ça ressemble à un collège."

Je ferme l'œil pour éviter que l'alcool n'entre dans mon œil. Elle a l'air plus douée que l'infirmière que j'avais au collège, en tout cas. Dans le cas contraire, elle aurait suturé tout ça avec un Doliprane ; plus probablement un opiacé. Mais j'imagine que la broyeuse doit être en panne à force de faire disparaître des pages du registre de la salle des preuves.

Quelques minutes plus tard, je suis fin prêt à déposer.

"J'ai souvent eu la même impression." je soupire.

J'l'entraine ensuite dans la salle des dépositions.

"Qui s'occupe de la déposition ?
- Toi.
- Non mais les gars vous déconnez, j'ai déjà la paperasse de ce qu'il s'est passé dans le bar.
- Justement tu sais déjà ce qu'il s'est passé."

Bande de cons. Je fais signe au dégarni de me suivre. On s'instale.

"Je suis Lucie Denvers, lieutenant de la police de NY. Je vais vous poser quelques questions." sans être briefée sur l'enquête. Génial.

Lucie, hein ? Joli nom. Ca devait vouloir dire luciole, en français. On dirait que le sexisme dans la police non plus, c'était pas une légende. Les gars lui refilaient tout le sale boulot. J'apprenais à ce propos que j'étais partie intégrante du sale boulot. Intéressant.

"Israël Iddings. Euh... Doubleur de pub'."
Qui s'était récemment illustré pour le compte des perceuses Stevenson. Juste histoire que vous oubliiez pas. C'était une pub réussie, okay ?

Bon au moins, j'ai cette question de moins à poser. J'ai pas pu m'empêcher d'arquer un sourcil et d'esquisser un sourire, c'est quoi ça encore comme métier farfelu ?

"Ou résidez vous ?"

"125, Garnisson NE, derrière l'usine de boîte de conserves désaffectée utilisée pour les clips de metal et les barbecues d'motards évangélistes."

Je préférais même pas évoquer les tournage un peu moins portés sur la bonne vertu. Des trucs impliquant des gros missiles rutilants et un certain attrait pour les femmes haltérophiles. Il y a des moments où je regrettais de regarder par ma fenêtre.

"Vous devez savoir c'que ça implique, si vous êtes pure souche."

Spoiler:

Je sais pas si je dois être désolée pour lui, après tout ça peut être un choix. Chacun ses égouts. Mais c'est clair qu'il ne suit pas la loi canonique en vivant là...


Tout d'abord souhaitez-vous porter plainte contre l'homme qui vous a agressé ?