Rappel du premier message :



Il faut qu'on se voit.

C'est le message que j'avais reçu d'une connaissance. J'avais pas eu de ses nouvelles depuis un bail et recevoir ça, sans ambages, c'était un peu troublant. Après tout, je ne connaissais pas intimement le type. Pourquoi moi ? Je décidai d'en avoir le cœur net.

Le Gloubi-boulga était un bar tout ce qu'il y avait de plus banal, peuplé de prolos patibulaires et d'un double-menton derrière le zinc, qui s'appelait probablement Bob. Le type essuyait une choppe avec un torchon et la décoration consistait essentiellement en dessous de verre cloués au mur, c'est vous dire... Je lui avais donné rendez-vous à cet endroit pour deux raisons :

1. Le studio où je travaillais n'était pas très loin.
2. Les bières y étaient bon marché.

Je retrouvais Nathan, le type en question, dans un des box le long de la vitrine. Il portait un bonnet et des vêtements trop imposants pour la température intérieure. Il avait l'air perdu.
"Salut."
Je m'assis face à lui et mes super-sens aiguisés de personne mourant de faim détectèrent immédiatement une forte odeur de tabac.

Je récupérais rapidement le badge et le fis disparaître dans ma veste, profitant du mouvement de mon corps pour dissimuler une profonde expiration. Mon rythme cardiaque s'accélérait et je me sentais encore plus réveillé qu'après m'être reçu deux mandales.

Le temps que l'agent Dupond aille 'me chercher de l'eau', je rédigeais moi-même le contenu de ma déposition, avec une écriture volontairement laide, pour cacher le léger tremblement de ma main. Mon cœur se calmait.

On est passé proche du chocobon, j'vous jure j'ai cru que Dupond allait nous aligner le pauvre acteur. Il ne l'a heureusement pas fait, mais j'avoue que je suis bouche bée. Comment ils peuvent faire de telles conneries pour de telles conneries ?

"Tu ne diras rien à ma femme hein ?"

Pitoyable.

Je fis glisser la feuille sur la table, encapuchonnai le stylo, et le posai bien parallèlement à côté.

"Il s'agit d'un accord basé sur des intérêts communs. Surveillez vos mails. Un espace de consigne contenant votre badge vous sera indiqué dans les plus brefs délais. Et votre femme saura que son mari est loyal et aimant.

Maintenant, si vous le voulez bien j'attends le verre d'eau que votre collègue m'a promis."

J'avais en effet très soif.

Le culot. C'est tellement magique. Je salue Dupont quand il passe à côté de moi, mais encore une fois il m'ignore... ça m'agace.

"J'ai c'que vous avez demandé." qu'il dit, reprenant le vouvoiement.

Non mais stop. STOP. Putain mais ils se disent quoi ? Au pire on saura pas que c'est moi qui ai piqué l'insigne de mon pote si ce type en fait mauvais usage ?

Je pris le second insigne.
"Dans une heure, je passerai un appel. Gertrude sera là où vous l'avez vu pour la dernière fois, lorsque vous êtes parti."

Son collègue n'avait pas emporté la déposition. Je la regardais, l'œil vague, soudain pris d'un terrible coup de barre.
"Une lettre sera dissimulée dans la taie de votre oreiller."

Je me levai. "Inutile de m'accompagner. Je connais le chemin."
J'espérais que Lucie n'était pas loin, car je ne connaissais pas vraiment le chemin.

Quand Israël sort je l'attends avec un sourire monstrueux mais je dois me retenir d'éclater de rire. Ce type est monstueux, dans le bon sens du terme. J'lui fait un signe de tête pour qu'il me rejoigne dans un couloir d'à côté.

"Tu as été génial !" je lui dis enfin après avoir vérifié que personne ne nous regardait.

"A vrai dire, je devrais t'arrêter si j'étais pas dans la magouille... Tu viens d'extorquer 2 insignes de police..."

Je sortis les insignes de ma veste et les lui donnai.
"Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités, tout ça, tout ça. Et vot' sourire vaut au moins autant qu'leur tronche déconfite."

Je me sentais flatté au dernier degré et très fier de ma prestation. La nostalgie du plateau de tournage revint me claquer comme un retour de flamme à long différé.
"Ca en valait l'coup d'retarder la bouffe. J'crois que j'pourrais bouffer une grosse truite toute entière !"

"Gertrude ne doit plus avoir si bon goût. Je peux t'inviter pour te remettre de tes émotions, si ça te dit, pour te remercier de la rigolade." je dis en glissant les insignes dans ma poche.

Et voilà comment je me retrouve à poser sa déposition en plus de mon compte-rendu de mission trente minutes après l'heure à laquelle j'aurais du finir... Non parce que contrairement à ce que pensent mes raffinés collègues, j'suis multi-tâche comme robot ménager, et clairement j'ai envie de me barrer avant de devoir en remettre un à sa place.

Je fis une petite courbette. "Mais avec plaisir, madame l'agent."

Une fois dehors, j'allumai la cigarette la plus appréciée du mois. "Par contre, j'vous en prie : partout, mais pas au Gloubiboulga." C'était surtout pour l'humour, car elle devait avoir encore moins envie que moi de remettre les pieds dans ce bouge.

La journée s'était pas trop mal finie, tout compte fait. En un sens, j'en devait une à Nathan.

Puisse Dieu bénir son troisième téton.

Je ris et je lui indique la sortie, je le rejoins un peu plus tard, si on nous voit sortir ensemble ça va jaser. J'me change rapidement non sans avoir glissé un petit mot dans les casiers de Dupont et Dupond leur indiquant que je sais ce qu'ils ont fait, et qu'ils ont de la chance que j'ai récupéré leurs insignes, mais que si j'les reprends à faire de la merde j'balance tout au chef. Je termine par "XOXO Lulu." Puis je rejoins le dégarni, pour le début d'une autre aventure.