Rappel du premier message :



« …et, par conséquent, les Shamans ont le droit inaltérable et rétroactif de conserver et d’entretenir les liens qui les unissent à leurs proches, quand bien même ceux-ci ne seraient pas des Shamans eux-mêmes. Ainsi… »

Je l’admets : je m’étais probablement endormi bien avant d’arriver à la moitié du texte de la Déclaration des Droits du Shaman (déjà rien que le titre, on a fait plus original). En même temps, on a pas idée de me forcer à écouter un texte légal sans pouvoir lancer « objection » à chaque phrase. Maudit sort de silence. Donc, dormir était la meilleure option.

Le contenu exact de cette fameuse Déclaration (avec une majuscule s’il vous plaît) m’était donc un peu flou, mais j’avais au moins retenu que je pourrais m’attendre à l’avenir à croiser des humains à Bruxia. Et heureusement, parce que se faire brusquement ignorer, ça fout un choc (c’est pas comme si un ornithorynque volant c’était banal). Mais à part cette impolitesse inévitable, je les aimais bien ces humains. Ils apportait un regard neuf dans ce QG de la Shamanité.

Tiens tiens, en parlant de neuf, était-ce une nouvelle tête que je voyais là ? Allons donc dire bonjour.

L'esprit de la pluie admirait les cercles concentriques créés par ses gouttes de pluie tandis que l'esprit ornithorynque lui parle.
"Tu te fiches des sentiments humains, n'est-ce pas ?"
L'esprit multi-millénaires ne pouvait pas avouer qu'en dépit de la croissance d'humains sur Terre, ses pouvoirs stagnaient. Elle avait tout de même sa fierté. Et puis un esprit largement moins populaire ne pouvait pas compatir.

« Je m’en fiche pas : j’aime bien les contrarier, nuance. » Et de temps en temps je les réconfortais, mais c’était plus rare. C’était bien plus marrant de venir bousculer leurs certitudes rarement très fondées.

Varsha se calma vite, ses crises duraient rarement longtemps. Elle se redressa et cessa d'arroser le lac salé.
"Je suis née d'une nécessité, si je perds l'intérêt des humains, mon existence perd en sens. Reprenons la visite, je veux voir le reste de l'endroit de repos des humains."

Aussi changeante qu’un ciel de printemps, c’t Esprit. Enfin, tant mieux : les crises de larmes, ça devenait vite ennuyant. « Il reste deux campus à voir. » En route pour celui de Papou, sans raison particulière pour commencer par celui-là. « Bon, apparemment, t’es pas très douée pour rappeler aux humains les bienfaits de la pluie. T’as déjà essayé de prendre le problème par l’autre bout et de comprendre pourquoi elle perd en popularité ? Pourquoi est-ce que certains humains n’aiment pas la pluie ? »

"Le robinet, dit Varsha d'un air sombre. Ils n'ont plus besoin d'attendre que la pluie remplisse le puits, ils vont directement creuser jusqu'aux nappes phréatiques puis le mettent dans des citernes pour avoir leur eau quand ils le veulent et sans avoir à se sécher les cheveux ou les vêtements."

« Tiens donc ? Et l’eau de leurs nappes phréatiques, elle sort d’où d’après eux ? » P’têt qu’ils s’imaginaient qu’elle apparaissait tout simplement là, ou que les nappes phréatiques étaient des réservoirs magiques inépuisables ? Ils allaient être déçus si c’était le cas. « Et les champs, les prés, les vergers, ça s’arrose aussi au robinet ? »

"Ils utilisent l'irrigation pour les champs mais les agriculteurs ont la décence de préférer la pluie au robinet. Les humains sont étranges : ils créent des choses pour s'en débarrasser ensuite parce qu'ils gênent alors qu'ils sont faits à leurs désirs."
Les couleurs du campus de Papou sont bien moins froides. Le bleu acier et l'argent deviennent crème et émeraude.

Etranges, les humains ? Certainement, c’était bien ce qui faisait leur charme. « Je ne vois pas où est le problème : les gêner est amusant. Ca les force à réfléchir et à réagir plutôt que de se coincer dans une routine monotone. »

Varsha se sentait insultée par les conseils de Setesh alors que pourtant c'était un peu elle qui quémandait de l'aide. Elle haussa les épaules avec l'intention de cesser de se plaindre à un esprit qui se contentait de proposer des solutions rationnels au lieu de simplement partager la peine de son interlocutrice (c'est tout ce qu'elle demandait au final : un soutien émotionnel).
"Le camp Papou sera différent de celui de Nuruk !"
Elle héla donc un garçon jouant de la flûte.

Même moi je pouvais difficilement nier que Papou et Nuruk, et leurs campus respectifs, étaient aussi différents que deux entités puissent l’être. À voir si elle aurait plus de chance avec les shamans qui le peuplaient. Le garçon hélé leva les yeux. « Tiens, salut. Tu es nouvelle ? Je ne t’ai pas encore vue par ici. » Il avait le sourire joyeux de celui qui est convaincu de pouvoir se lier d’amitié avec tout le monde.

Varsha répondit au sourire joyeux par un autre sourire joyeux. L'esprit roucoulait presque devant l'accueil du garçon.
"Oui, héhé ! Je suis nouvelle à Bruxia. D'habitude, je suis à l'Île des Esprits mais je n'en pouvais plus de ne pas voir d'apprenties shamans avant qu'ils soient assez forts pour m'invoquer. C'est un plaisir de rencontrer des shamans tels que vous. Quel est ton nom, jeune homme ?"

« Adisa Idowu, et le tien ? Pour quoi est-ce que les shamans t’invoquent ? » Tous les deux aussi curieux, ils s’étaient bien trouvés ces deux-là.

Varsha était si joyeuse qu'elle avait oublié de se présenter.
"Désolée, j'oublie mes manières. Je suis Varsha, l'Esprit de la Pluie et l'on m'invoque pour une petite bruine comme pour le déluge. Je peux aussi bien déplacer une masse nuageuse d'un point A à un point B qu'étendre ou réduire celle-ci. En bref, la pluie est mon domaine. J'existe depuis la naissance de l'humanité."
Tout en modestie.

« Oooh, c’est toi qui fais la pluie ! » Eh ben tu vois, pluviote ? Il était plus enthousiaste que la précédente, t’avais pas tout perdu. Et puisqu’elle avait trouvé un humain qui lui avait bien disposé, je me devais bien évidemment de jouer les trouble-fêtes. « Depuis la naissance de l’humanité, voyez-vous ça ? T’es sûre que c’est pas juste toi qui refuses de considérer les peoples qui ne te vénéraient pas encore comme des humains ? »

"Je n'ai pas dit que j'étais née à la toute première seconde de la naissance de l'humanité, la naissance a sans doute duré un peu de temps et puis surtout... Je n'ai pas matière à comparer puisque je n'existais pas à cette époque. En plus, ils n'ont laissé aucune trace de leur existence avant. Et je te présente l'esprit de la Contrariété humaine, Adisa Idowu."
Qu'elle était gentille l'esprit de la Pluie à rattraper le shaman dans la conversation.

« De la Contradiction. » La correction sembla amuser le shaman de plus belle. Eh, il y avait pas que l’autre pluviote qui avait le droite s’annoncer directement avec une démonstration de ses pouvoirs ! Bon, des pouvoirs un chouia plus spectaculaires que les miens, j’étais plus facile à sous-estimer. « Setesh, à ton service, Adisa Idowu. » Enfin, s’il m’invoquait. Et encore, je pouvais me montrer sacrément peu coopératif.

Varsha trouvait ce jeune shaman charmant.
"Je m'étonne que tu ne m'aies pas corriger plus tôt. Que fais-tu quand l'on t'invoque du coup ? Tu dois tout de même obéir au shaman qui t'invoque, non ? Ou il y a des humains qui t'appellent pour que tu refuses de prendre le thé avec eux ?"

« Tu n’as pas explicitement fait l’erreur plus tôt. Et lors des invocations… oui, je dois obéir, mais personne n’a jamais dit que je devais forcément le faire de bon coeur. » Et je pouvais être de sacrément mauvaise foi quand je voulais (oui, c’est une surprise totale, je sais). J’avais perfectionné l’art de respecter à la lettre les règles tout en n’en faisant qu’à ma tête, et même les administrateurs à cheval sur les principes ne pouvaient pas me condamner, ou même m'accuser.

"Et pour quel motif notre Adisa ici présent t'invoquerait ? (à Adisa) Si j'étais toi, je me méfierais de lui, il joue peut-être très bien le violon du mal-aimé mais il n'hésiteras pas une seconde à te faire tourner en bourrique !"
L'esprit de la pluie estimait avoir bien cerné l'esprit Ornithorynque.

L’Adisa en question avait surtout l’air de bien se marrer à nous voir ergoter comme ça. Profite du spectacle, petit shaman. « Evidemment que je fais tourner en bourrique les gens, ça fait partie de ma raison d’être. Et tu n’imagines pas combien d’humains sont ravis de recevoir un petit coup de pouce dans ce domaine. Le monde serait très ennuyant sinon. »

"Es-tu capable de faire des choses qui ne peuvent pas se faire comme faire voler un cheval qui ne soit pas un esprit par exemple ?" Cela ressemblait à un défi, n'est-ce pas ? Varsha aurait pu employer le mot renard mais certains esprits de la Farce ou de la Malice aurait pointer le bout de leur museau.

« Pas besoin : les humains se débrouillent très bien pour le faire eux-même, il leur faut juste un peu d’inspiration. » Et de l’inspiration, j’en avais à revendre ! Merci qui ?

Varsha sourit et acquiesça. Setesh en était donc incapable mais il valait mieux ne pas le souligner devant un shaman, c'était impoli entre esprits.
"Et si nous allions voir le dernier camp ?"

« Excellente idée ! » Aussitôt dit, aussitôt fait. En un rien de temps, nous voilà chez Nefertiri, entourés de tons violets et dorés. Moins chaotique que le campus de Papou, et nettement plus chaleureux que celui de Nuruk, c'est clairement un endroit où il fait bon vivre.

"Ohlalala ! Mais que t'arrive-t-il Setesh ?! Tu ne m'as pas contrarier ! Hihi, je te taquine. Cet endroit est vraiment beau, je n'en attendais pas moins de Nefertiri. J'ai une idée : et si nous ne discutions pas avec les étudiants du camp cette fois-ci ?"
Varsha tendait-elle une perche à Setesh ? Qui sait !