Rappel du premier message :



« …et, par conséquent, les Shamans ont le droit inaltérable et rétroactif de conserver et d’entretenir les liens qui les unissent à leurs proches, quand bien même ceux-ci ne seraient pas des Shamans eux-mêmes. Ainsi… »

Je l’admets : je m’étais probablement endormi bien avant d’arriver à la moitié du texte de la Déclaration des Droits du Shaman (déjà rien que le titre, on a fait plus original). En même temps, on a pas idée de me forcer à écouter un texte légal sans pouvoir lancer « objection » à chaque phrase. Maudit sort de silence. Donc, dormir était la meilleure option.

Le contenu exact de cette fameuse Déclaration (avec une majuscule s’il vous plaît) m’était donc un peu flou, mais j’avais au moins retenu que je pourrais m’attendre à l’avenir à croiser des humains à Bruxia. Et heureusement, parce que se faire brusquement ignorer, ça fout un choc (c’est pas comme si un ornithorynque volant c’était banal). Mais à part cette impolitesse inévitable, je les aimais bien ces humains. Ils apportait un regard neuf dans ce QG de la Shamanité.

Tiens tiens, en parlant de neuf, était-ce une nouvelle tête que je voyais là ? Allons donc dire bonjour.

« Je pense pas que la météo change grand-chose pour le sport. En tout cas ils sont sur les terrains de sport par tous les temps. La plupart des sports d’équipe que je connais impliquent de faire… quelque chose avec une balle. Se la passer, la faire voler au-dessus d’un filet, la faire entrer dans un filet, la passer à travers un anneau… » Ils étaient créatifs quand ils voulaient, les humains.

"Oh, ça a l'air intéressant. Et si nous jouions avec eux ? L'as-tu déjà fait ?" Les esprits étaient certes intangibles la plupart du temps mais ils pouvaient à volonté porter des objets, en particulier ceux liés à leur nature. Varsha avait déjà une collection impressionnante de vases et d'amphores en tout genre et piochait les objets que les humains laissaient traîner.

« Non, pourquoi ? » Qu’est-ce qui pouvait bien être intéressant à envoyer une balle d’un endroit à un autre ? Pour un humain cela requérait probablement de la dextérité, mais avec des pouvoirs d’Esprit, c’était bien trop facile.

"Parce que ce sera amusant de faire tourner en bourrique les humains, pardi ! Mais tu as raison, le summum serait de les arroser, pas de leur piquer la balle qui a l'air si convoitée..." concéda Varsha d'un air in-no-cent !

Ah oui, se faire tourner en bourrique mutuellement avait d’ailleurs l’air de faire partie de pas mal de ces jeux à observer les interactions entre les différentes équipes. Et l’idée de les arroser n’était pas mauvaise non plus. « Ils font des jeux d’au parfois. Tu crois que c’est la saison ? »

L'esprit ne sembla pas titillée"Non, ils aiment s'arroser quand il fait plus chaud que ça. Qu'y a-t-il d'autre ? Est-ce qu'il y un lac ou un bassin artificiel ? Est que l'on peut parfois participer aux cours ou leur parler ?"

« Il y a un lac salé au bord d’un campus. Et il y a des étangs dans la jungle pas si loin non plus. La participation aux cours, c’est plus compliqué. J’ai rencontré peu de profs qui appréciaient, sauf spécifiquement pendant les cours d’invocation — et même là ils rigolent pas avec la concentration des élèves. » Bande de trouble-fêtes professionnels. « Par contre leur parler en dehors des cours ça passe en général. » Enfin, ça dépendait avec qui. Certains s’énervaient assez vite en me parlant.

"Oh, une étendue saumâtre ? Le sol doit être riche en sel. Allons-y ! J'ai déjà été invoquée en cours d'invocation mais cela n'arrive pas souvent. J'espère que ma présence leur donnera envie de le faire plus systématiquement." Varsha s'imaginait déjà parler à tous ces futurs chamanes. "Tu pourras me montrer où vont les élèves en dehors des cours ? Le campus ?"

« Faut savoir, tu veux voir le lac ou les lieux de détente des élèves ? » Elle avait peut-être don d’ubiquité pour ce que j’en savais, mais moi pas.

"Je veux tout voir ! Mais d'abord le lac, l'eau me manque ! Et ensuite ce "campus" comme tu dis. qu'est-ce que c'est d'ailleurs ?" Connaître la nature humaine était une chose, connaître tous les petits mots qu'ils utilisaient pour telle endroit pour vivre en était une autre. Pas facile quand on se cantonnait à observer depuis le ciel ou de rester à l'Île des esprits quand ils ne vous invoquaient pas.

Va pour le lac, dans ce cas. « Les campus sont les endroits où les étudiants, les professeurs, et parfois d’autres membres de leur famille habitent, autour de l’école à proprement parler. Ah, par contre : nous on peut se balader sur tous les campus, mais les humains pas et on ne peut donc pas répéter à quelqu’un d’un autre campus ce qu’il s’est passé sur l’un d’entre eux. » Et va-t-en deviner qui appartenait à quel campus. Il est possible que j’aie à l'occasion accidentellement laissé fuiter des informations qui n’auraient pas dû fuiter.

Varsha suivit Setesh en flottant au dessus du sol, elle vit très vite le fameux lac qui brillait tel un miroir. À côté du lac se trouvait un bâtiment peint en bleu glacé et argent. L'esprit de la Pluie ne résista pas à l'envie de faire pleuvoir au dessus du lac. Des humains se trouvaient dessus dans des bateaux et levèrent les bras pour se protéger. "Oh, ils me saluent, je suis déjà célèbre !" s'exclame gaiement Varsha.

C’est qu’elle croyait à ce qu’elle disait en plus ! Est-ce qu’elle avait même déjà vu des humains de près ? « M’est avis que tous les humains ou presque connaissent la pluie, à l’exception de ceux qui vivent dans les zones les plus arides du monde, c'est pas pour autant qu'ils te connaissent toi. » Peut-être qu’il aurait été plus aimable de la laisser croire que la réaction spontanée des humains était en effet une salutation pour elle… Mais elle me tendait la perche et je n’étais pas connu pour mon amabilité.

"Oh mais tu as raison. Certains n'ont même pas idée que la Pluie a son esprit attitré ! Allons les voir pour le leur dire !" Varsha se précipita donc vers les shamans. "Bonjour, je suis Varsha, l'esprit de la pluie. Que souhaitez-vous ? Plus de pluie ou moins de pluie ?"

« Moins de pluie, moins de pluie ! » Voilà ce que j’appelais un cri du coeur. C’était on ne peut plus clair, et pas diplomatique pour un sou. Ils me plaisaient ces shamans.

Varsha cessa donc de faire pleuvoir, légèrement contrariée que la réponse ne soit pas un enthousiasme "plus de pluie". "Si vous voulez plus de pluie un jour, n'hésitez pas à m'invoquer, mon nom est Varsha !" tenta-t-elle avec un enthousiasme simulé.

Des « oui oui » soulagés lui répondirent. J’aurais presque eu pitié d’elle si la pitié était dans mes habitudes… mais l’assertivité des humains m’avait trop amusé pour que j’éprouve la moindre compassion pour l’autre esprit. « Tu voulais voir les lieux de détente des élèves ensuite ? Je peux te montrer les campus aussi. »

Varsha vola à la suite de Setesh. "J'aime cet endroit. Les gens sont si vivants ! Je vais t'accompagner pour les lieux de détente et les campus. Est-ce qu'ils nous invoquent parfois là-bas ?" demanda-t-elle, toujours aussi enthousiaste.

« Les élèves invoquent certains d’entre nous pendant les cours pour s’entraîner, surtout des Esprits mineurs pour commencer. » Et rarement moi. Je suis presque sûr que les profs précisent explicitement que je suis persona non grata (enfin, spiritus non gratus).

"Oooooooooooooooooooooh ! Mais ils ne m'invoqueront JA-MAIS alors !"
Des larmes coulèrent sur les joues nuageuses de Varsha. Quel triste sort pour un esprit aussi majeur qu'elle ! L'esprit féminin pleura donc à chaudes larmes dans le vase qu'elle portait sur elle, un magnifique vase ocre aux motifs rouges.

C’était pas la modestie qui l’étouffait celle-là. Malheureusement pour elle, elle était mal tombée si elle s’attendait à de la sympathie. « T’as plus qu’à espérer que l’un d’eux se trompe dans son invocation alors. Ou aller t’y balader en dehors des invocations. » Franchement, elle avait vraiment besoin qu’on l’appelle pour décider d’aller quelque part ? Quel manque d’esprit d’initiative ! Tiens, je me demandais comment il allait celui-là, justement.

Varsha ne se sentait pas particulièrement menacée malgré ce que ses larmes de fontaine laissaient sous-entendre. Non, l'Esprit de la Pluie était très demandé encore aujourd'hui par les quelques shamans agriculteurs qui existaient à travers la planète. Et elle avait déjà l'intention d'aller y jeter un coup d’œil sans y être invitée, surtout ça. Elle calma alors ses pleurs pour poser une question :
"Combien de temps un même humain reste-il ici ?"

Ah ben là, elle m’en posait une colle ! « J’en sais fichtre rien. Estimer le passage du temps n’est pas mon point fort. Certains plus longtemps que d’autres, c’est tout ce que je peux te dire. » C’était au point que même quand j’appréciais un des humains de l’école, je pouvais parfois mettre des années à réaliser qu’il était parti, ou même décédé.

Varsha sourit avec la tendresse d'une mère. Elle leva donc le doigt avec l'attitude de l'érudit ou de la mademoiselle Je-sais-tout.
"Posons-leur donc la question ! Nous sommes des esprits ci-vi-li-sés !"
Et l'esprit de la Pluie alla donc gaiement vers un couple de shamans qui passaient par là. L'un d'eux leva la tête mais pas l'autre, étrange...