Rappel du premier message :



« …et, par conséquent, les Shamans ont le droit inaltérable et rétroactif de conserver et d’entretenir les liens qui les unissent à leurs proches, quand bien même ceux-ci ne seraient pas des Shamans eux-mêmes. Ainsi… »

Je l’admets : je m’étais probablement endormi bien avant d’arriver à la moitié du texte de la Déclaration des Droits du Shaman (déjà rien que le titre, on a fait plus original). En même temps, on a pas idée de me forcer à écouter un texte légal sans pouvoir lancer « objection » à chaque phrase. Maudit sort de silence. Donc, dormir était la meilleure option.

Le contenu exact de cette fameuse Déclaration (avec une majuscule s’il vous plaît) m’était donc un peu flou, mais j’avais au moins retenu que je pourrais m’attendre à l’avenir à croiser des humains à Bruxia. Et heureusement, parce que se faire brusquement ignorer, ça fout un choc (c’est pas comme si un ornithorynque volant c’était banal). Mais à part cette impolitesse inévitable, je les aimais bien ces humains. Ils apportait un regard neuf dans ce QG de la Shamanité.

Tiens tiens, en parlant de neuf, était-ce une nouvelle tête que je voyais là ? Allons donc dire bonjour.

« Tu en es sûre ? » Qui a dit que la contradiction se bornait à dire l’inverse de l’autre ? On pouvait aussi contrarier leurs attentes, ce qui était autrement plus amusant. J’étais pas l’Esprit du Miroir ou du Binaire que je sache.

Pour contrarier Varsha, il faudrait déjà faire ce qu'elle ne veut pas. La fille qui n'aimait pas la pluie était bien plus contrariante que cet ornithorynque-là.
"Eh bien oui, j'aurais tout le temps de discuter avec eux plus tard, je préfère m'arrêter sur une bonne impression. Je veux juste voir le camp avec toi puis j'irai voir d'autres coins de l'endroit."

« Tsk tsk tsk, peur d’être vexée ? » On dirait que j’avais trouvé la corde sensible. Après tout, pourquoi est-ce qu’elle refuserait de rencontrer d’autres étudiants sinon ? Le dicton que seule la vérité blessait s’appliquait à un nombre impressionnant d’Esprits comme d’humains.

Varsha regarda Setesh avec interrogation. Pourquoi toutes ces questions ? Dans quel but les poser ? Bien sûr le temps était long et chaque esprit pouvait le passer de la manière qu'il voulait mais Varsha n'y voyait rien de constructif en cet instant.
"Non pourquoi ? Tu tiens tant que ça à discuter tout de suite avec eux ? Eh bien, si ça te fait plaisir, nous parlerons avec eux. Je te regarde faire !"

Ce « non » était-il sincère ? Difficile à dire avec un Esprit que je venais à peine de rencontrer. Mais je la soupçonnais tout de même d’être facilement vexée. Allez, on va tester cette théorie avec les coeurs d’or du campus de cette chère Néné. « Hep, toi là ! »

Setesh avait interpellé une jeune fille tout à fait gentille qui souria face aux deux esprits.
"Bonjour, je crois que nous ne nous sommes jamais rencontrés. Je suis Rebecca, et vous donc ?"
Varsha ne répondit rien, elle laissait Setesh prendre les rennes mais elle n'oublia pas de sourire à sa nouvelle connaissance. Elle espérait intérieurement que celle-ci aime la pluie.

« Enchanté, Rebecca. Je suis Setesh, et voici Varsha, Esprit de la Pluie. Elle est nouvelle à l’école, tu m’aides à lui faire la visite guidée de ton campus ? » La pauvre fillette avait l’air un peu surprise. « Euh… je veux bien, mais je ne suis pas ici depuis très longtemps. Vous devez mieux connaître le campus que moi. » C’est-y pas mignon quand c’est petit. « Mais je n’ai pas le point de vue de quelqu’un qui vit sur le campus, je ne connais pas ses meilleurs coins comme toi. Et laisse le vouvoiement pour les coincés barbants. »

Varsha n'y tint plus et voulut rassurer leur interlocutrice hésitante.
"Si tu ne connais pas bien le campus, c'est l'occasion de le découvrir. Au pire, la visite sera plus brève, mon petit parapluie."
Varsha aimait bien les parapluies depuis leur invention vers l'époque Xin. Elle avait remarqué que cet objet glissant était de plus en plus populaire en Europe. En plus, les humains l'ornementaient souvent comme ses vases.

« Mon petit parapluie » ? Elle en avait de ces surnoms. Elle était pas censée ne pas apprécier les parapluies ? Drôle d’Esprit. Mais elle avait apparemment convaincu la petiote. « D’accord ! On habite dans les arbres, c’est drôle. Suivez-moi ! »

"Les arbres ? J'aime beaucoup les arbres ! Surtout ceux d'ici, ils sont si grands et assoiffés !"
Varsha avait prévu de laisser Setesh se démerder tout seul mais sa nature est d'aimer les gens, se coller à eux comme l'eau colle aux vêtements. Elle était gluante et fière de l'être.

« En même temps, va-t-en construire une maison dans un arbrisseau », raillai-je. Avec un brin de mauvaise foi peut-être, parce que l’école aurait tout simplement choisi un autre type d’habitations si les arbres n’avaient pas été capables d’accueillir les logements. L’une des autres allait-elle relever ce point ?

Les humains construisent dans les prairies les déserts, sur l'eau, sur la neige.
Varsha cligna des yeux, la tête penchée sur le côté, avant de dire à la chamane :
"Ne fais pas attention. Montre-nous les différents lieux, s'il te plaît."

Pft, même pas drôles ces deux-là. Pas capables de saisir une perche pourtant si bien tendue. Mais la petite prenait très à coeur sa tâche de guide, montrant consciencieusement tous les recoins du campus qu’elle connaissait tout en babillant un flot d’informations générales ou anecdotiques.

Varsha buvait les paroles de la guide en herbe, celle-ci était si gentille qu'il aurait été criminelle d'interrompre son enthousiasme. Bon, l'esprit de la pluie étant ce qu'elle était, elle n'arrêtait de bouger pour observer les cabanes forestières sous tous les angles. Elle pu ainsi découvrir là où les shamans (et humains) dormaient, étudiaient, jouaient et…
"Ici, nous pouvons voir les pyramides et il n'y a pas un nuage dans le ciel."
Varsha y avait veillé.

Je sais pas qui était la plus excitée : la gamine qui était écoutée avec tant d’attention, ou l’Esprit qui découvrait un tout nouveau terrain de jeu. Faut croire que j’étais pas le seul à apprécier les humains. « Pas mal, la vue. » Bah quoi ? Je pouvais bien être positif de temps en temps.

"Eh oui ! Je fais venir la pluie mais je peux aussi l'éloigner ! Si ta famille a des problèmes de sécheresse, je peux intervenir depuis ici ! Tout ce que tu as besoin, c'est de m'invoquer. Je suis un esprit très demandé mais avec de la persévérance, tu peux le faire. Et je ne suis pas du genre à m'enfuir pour faire n'importe quoi non plus."
Bah quoi ? Varsha avait bien le droit de vendre ses services d'esprit. Utilité, efficacité, prestige et sécurité, les maîtres-mots de la pluie (ou pas).

Elle aimait s’écouter parler ou elle était vraiment en rade d’invocations ? « Eh ben eh ben, on croirait entendre un crieur public doublé d’un démarcheur avec tout ce baratin. » Charitable ? Rarement.

"Baratin ? Je ne vends rien, j'explique simplement à Rebecca quand elle doit m'invoquer. Est-ce qu'elle sait à quoi tu sers, hum ? Depuis tout le temps que tu es ici, à l'école ?"
Là, Varsha était bien moins diplomate et gentillette que plus tôt, faisant goûter à Setesh sa propre cuisine.

« À embêter les gens ! » Et elle avait même pas dû réfléchir avant de répondre. « Tu vois ? Elle est parfaitement au courant. » Et toc, mine de rien j’avais ma réputation au sein de l’école.

Varsha se mit à éclater de rire, ce qui provoqua une bruine dans le secteur.
"Très drôle ! Eh bien, vois-tu, ce n'est pas encore mon cas. Et je suis impatiente d'être invoquée par des chamanes aussi jeunes !"
De manière générale, c'était souvent les plus anciens du clan qui l'invoquaient mais c'était un aspect de la chose très prestigieux.

« Ca se voit. » Et là, j’énonçais clairement l’évidence. Elle irradiait l’enthousiasme et l’impatience depuis le début de cette visite des lieux, chose que je pouvais comprendre bien sûr. Après tout, c’est pas pour rien que je trainais souvent dans le coin. « Eh bien, bienvenue à Bruxia ! », lançai-je avec un salut aussi élégant qu’un ornithorynque multicolore et translucide pouvait effectuer, au grand amusement de la jeune shaman.