Rappel du premier message :



« …et, par conséquent, les Shamans ont le droit inaltérable et rétroactif de conserver et d’entretenir les liens qui les unissent à leurs proches, quand bien même ceux-ci ne seraient pas des Shamans eux-mêmes. Ainsi… »

Je l’admets : je m’étais probablement endormi bien avant d’arriver à la moitié du texte de la Déclaration des Droits du Shaman (déjà rien que le titre, on a fait plus original). En même temps, on a pas idée de me forcer à écouter un texte légal sans pouvoir lancer « objection » à chaque phrase. Maudit sort de silence. Donc, dormir était la meilleure option.

Le contenu exact de cette fameuse Déclaration (avec une majuscule s’il vous plaît) m’était donc un peu flou, mais j’avais au moins retenu que je pourrais m’attendre à l’avenir à croiser des humains à Bruxia. Et heureusement, parce que se faire brusquement ignorer, ça fout un choc (c’est pas comme si un ornithorynque volant c’était banal). Mais à part cette impolitesse inévitable, je les aimais bien ces humains. Ils apportait un regard neuf dans ce QG de la Shamanité.

Tiens tiens, en parlant de neuf, était-ce une nouvelle tête que je voyais là ? Allons donc dire bonjour.

« T’es au courant que ‘civilisé’ est un terme dont la définition a pas arrêté de changer au cours de l’histoire ? » La plus courante étant « comme nous », « nous » faisant référence aux personnes utilisant le terme. Enfin, ça l’empêchait apparemment pas de fondre sur les humains les plus proches. « ’Scusez ses manières, elle débarque par ici. » Avec ça que je m’embarrassais des manières en général. Mais chut.

Varsha ne comprit pas en quoi des excuses étaient nécessaires, elle ne leur avait pas fait du mal à ce qu'elle sache. Elle poursuivit :
"Je viens d'arriver ici et je me demandais combien de temps reste ici un shaman.
- Qu'est-ce que tu regardes, mon chéri ?" demanda la femme comme si Varsha était invisible.
L'Esprit de la Pluie comprit et attendit que le shaman clarifie la situation.

C’est marrant comme les non-shamans ont la manie de plisser les yeux en regardant dans ce qu’ils pensent être grosso modo la bonne direction, comme s’ils allaient tout d’un coup voir un esprit apparaître. Et ça ne loupa pas cette fois non plus. Histoire que la pauvre femme perde pas tout, je traçai un « Coucou » dans le sol de terre tandis que l’homme répondait à l’autre newbie que ça dépendait si le shaman restait après avoir fini son éducation, et que ça variait donc de quelques années à quelques décennies.

Après quelques explications du shaman envers sa compagne, il put répondre à l'Esprit de la Pluie qui toléra ce petit contre-temps. Il lui répondit qu'un élève restait cinq ans minimum puis pouvait rester plus longtemps en tant que professeur. Il y avait longtemps que l'esprit des forces de la nature n'avait pas été confronté avec une notion aussi spécifique que la notion d'élèves et de professeurs.
"Oui, c'est vrai que les humains apprennent ! Cinq ans, c'est déjà bien !"

« Et les Esprits apprennent pas ? Ah ben ça explique pas mal de choses du coup… » Mon commentaire eut le mérite de faire rire l’homme, qui se tourna ensuite vers sa compagne pour lui résumer l’échange qu’elle avait raté.

Varsha voyait bien que Setesh cherchait à faire son impertinent, elle ne lui répondit pas moins avec la hauteur d'un esprit de neuf millénaires.
"Naturellement que non ! Ni à être esprit, ni les secrets du monde !"
Elle se tourna vers le shaman et l'humaine.
"Merci à vous, passez une bonne journée ! Et n'hésitez pas à m'invoquer si vous avez besoin de pluie !"
Elle s'éloigna donc du couple pour parler davantage à l'autre esprit.
"Qu'est-ce que tu apprends, toi ?"

Ben voyons… C’est qui qui venait d’aller demander à un shaman combien de temps un humain reste à l’école ? Plutôt que de répondre à sa question, je m’inclinai exagérément en faisant mine de partir. « Eh bien puisqu’un Esprit n’apprend rien, ça ne sert à rien que je te montre le chemin jusqu’aux campus. Encore bienvenue à Bruxia, que tu connais bien évidemment déjà comme ta poche, ô puissant Esprit. »

Varsha réprima un sourire avant d'éclater de rire.
"T'aurais-je vexé ? J'ignorais que tu étais aussi susceptible ! Cela me fait plaisir de visiter Bruxia en ta compagnie, crois-moi. Mais si tu préfères rester seul, je comprendrais."
C'était la seule explication auquel Varsha pensait, ça ou une blague mais mieux valait réagir ainsi que de se quitter sur un flop.
Plic, plac, ploc !

Soit elle faisait bien semblant, soit ma réplique était tombée dans l’oreille d’une sourde. J’vous jure, ces esprits multimillénaires qui s’imaginent avoir la science infuse… Bref. « Vexé ? Oh non, tu peux toujours essayer. Donc, les campus. Une préférence pour l’ordre de visite ? »

"Hum... Nefertiri ou Papou ? Va pour Papou ! Oh, quoique Nuruk risque d'être déçue si elle apprenait qu'elle était choisie en dernière ! On ne sait jamais avec son visage sérieux. Et toi ? T'entends-tu bien avec les esprits cardinaux ?"
Fut un temps, il n'y avait pas tant d'esprits que ça, Varsha était bien obligée de connaître les Esprits Cardinaux !

« Vu qu’ils me tolèrent dans leur école, j’imagine que je m’entends pas trop mal avec eux ? Nuruk n’a aucun sens de l’humour et Nefertiti est un peu trop bonne poire, mais Papou est marrant. Favelras a toujours eu la grosse tête par contre, il me tapait bien sur le système. » Et j’avais donc toujours mis mon point d’honneur à lui taper sur le système en retour. « Bon, du coup, on commence par où ? Tu te décides ou on le joue à am stram gram ? »

"Peu importe au final, commençons par Nuruk !"
Et le meilleur pour la fin !
Sur ses mots, l'esprit de la pluie s'éleva dans les cieux à la recherche d'un coin dur, d'un coin froid, d'un coin digne de Nuruk. Elle vit le lac et se dit que si elle était Nuruk (en l'absence de montagnes escarpées), elle vivra là-bas.

« Va pour Nuruk. » Coup de chance ou instinct, elle était partie dans la bonne direction. Pour l’accueil sur ce campus, on repassera : les tons bleu et argent omniprésents étaient tout sauf chaleureux, et le lac salé n’était pas franchement des plus agréables pour la baignade. « Comme tu pourras le constater, Nuruk est toujours une sacrée boute-en-train. » À se demander comment les pauvres shamans logés ici gardaient le moral.

"Oui, le lac est magnifique ! Est-ce que tu sais que beaucoup n'aiment pas la pluie qui les rendent maussades ? C'est dommage, n'est-ce pas ?"
Varsha était curieuse et observait partout tout en parlant, elle traversa les dortoirs et les salles sous les cris de surprise des shamans.

« Pourquoi dommage ? Ca te donne justement l'occasion de briller pour leur prouver qu'ils ont tort. » Et après il y en a qui osaient dire que je ne vis que pour embêter mon monde ! Bon, ok : si elle me prenait au mot, certains pourraient être embêtés... mais en attendant j'essayais de lui remonter le moral, donc c'était un bon point pour moi, non ?

"C'est un mal assez nouveau. Auparavant, pour la majorité des cas, j'étais une bénédiction mais depuis je ne sais quoi, les humains se disent entre eux : "la pluie est mauvaise", "la pluie est triste" et depuis c'est leur vérité... Hum... Penses-tu pouvoir y faire quelque chose ?" demanda Varsha qui réalisait soudain qu'elle parlait à l'Esprit des Contraires (non, elle n'a toujours pas retenu la fonction de Setesh -- en même temps, Setesh ne s'était pas présenté).

Elle commençait à cogiter, bien bien. « Hé, la pluie c’est ton domaine. Rappelle-moi pourquoi elle est importante, déjà ? » J’allais pas faire tout le boulot à sa place non plus.

"La pluie fait partie du cycle de l'eau, sans elle pas de vie, c'est aussi simple que ça ! Ce qui est bon pour eux devrait leur apporter de la joie mais les humaines ne sont pas rationnels. Je pensais que c'était ton domaine à toi," dit Varsha, loin de se laisser démontée.
L'esprit se dirigea vers une chamane qui sortait d'une pièce -- sans doute celle pour dormir -- et lui parla.
"Sois honorée, je suis Varsha, l'esprit de la Pluie, et toi comment t'appelles-tu ?"

« Eh bien si la pluie leur est vitale, est-ce qu’une simple démonstration ne suffirait pas pour leur prouver ton importance ? Combien de temps crois-tu qu’ils tiendront sans te supplier de faire pleuvoir si tu assèches le ciel ? » Ma brillante suggestion sembla tomber dans l’oreille d’une sourde, déjà plus intéressée par une nouvelle arrivante. Tss, au moins les humains ne jouaient pas à m’ignorer. En attendant, l’humaine qui venait d’être apostrophée semblait un peu incertaine. « Euh… Maria Gonzalvez. » Elle se demandait probablement pourquoi un Esprit lui tombait dessus comme ça.

"Que penses-tu de la pluie ?" demanda l'esprit avec cet air pas du tout inquiétant de la femme qui veut laisser croire qu'il s'agit d'une question anodine.
Révélation : ce n'est pas le cas.

La pauvre fille se tordait nerveusement les mains, probablement consciente que quand l’Esprit de la Pluie demande ce qu’on pense de la pluie, il vaut mieux ne pas dire n’importe quoi. « Euh… j’aime bien entendre la pluie taper sur mes fenêtres quand je suis bien au chaud au coin du feu avec une tasse de chocolat et un bon livre ? » Ah, pas mal comme réponse. Trouver un truc positif à la pluie même quand on aime clairement pas être pris dedans, c’est bien vu.

L'esprit était à la fois insatisfaite et très enthousiaste. "Ouiii, la pluie est tellement apaisante ! Et aussi très très importante, n'est-ce pas ? Vitale même ? Au point de donner envie de quitter son feu et de danser sous les gouttes d'eau, n'est-ce pas ?"
Elle aurait préféré que l'élève lui donne l'impression qu'elle se trompait et reconnaître ses tords devant Setesh mais elle SAVAIT que ce n'était pas le cas : cette élève-ci n'aimait pas la pluie.

La brève lueur d’espoir dans les yeux de la shaman disparut aussitôt, quand elle réalisa que sa réponse ne suffirait pas. « Euh… » « Mais enfin, comment veux-tu qu’elle voie la beauté de quelque chose si elle est au beau milieu ? Il faut un peu de recul pour l’apprécier pleinement, voyons. » La shaman hésitait à répliquer, attendant sans doute de voir comment l’autre réagirait.

"Les bonnes choses peuvent s'apprécier aussi de près. Ce que je préfère ce sont les shamans qui dansent et qui chantent sous la pluie ! Tu peux disposer Maria Gonzalvez, je me tiendrai loin pour que tu puisses m'apprécier comme tu voudras !"
Le ton était aussi cinglant qu'une douche froide. L'esprit s'en alla flotter au dessus du lac salé.
"Je comprends pourquoi il est salé, ce sont mes larmes," dit-elle dans une de ses crises de mélancolie.
Elle le remplit donc.

Salée, elle l’était en effet cet Esprit de la Pluie. Mais c’était pas forcément aux larmes que je pensais. « Dis, tu penses pas que tu en fais un peu trop ? À ma connaissance tous les humains sont un minimum conscients d’avoir besoin d’eau, qu’ils aiment ou non être mouillés quand elle leur tombe dessus. » L’Esprit des Feux de Forêt, du Smog ou des Moustiques ne pouvaient pas en dire autant.