Rappel du premier message :

Pasha ne cessait pas de regarder au-dessus de son épaule. C'était devenu une habitude malsaine depuis la dernière fois. Il les avait vu venir de loin. Un humain lambda ne les aurait pas remarqué. L'un s'était déplacé sur les toits, l'autre parmi la masse de peuple en bas. Les deux avaient eu une capuche qui jetait une ombre sur leurs visages, les rendant totalement méconnaissables. Pourtant l'instinct lui avait dicté l'inverse. Pasha savait quand il était suivit. Les semer avait été une tâche difficile dont il n'était malheureusement pas sorti totalement indemne.

Il crispa les doigts au souvenir.

Parfois, comme maintenant, il se surprenait à penser que cette vie de fugitif n'en valait pas la peine. Qui avait envie de vivre sa vie avec tant de paranoïa ? Pourquoi avait-il proposé de fuguer il y a sept ans ? Leur vie serait sûrement bien meilleure sans cette poursuite implacable du Vatican.

Pasha grommela.

Et pourtant, dès qu'il ouvrit la porte de leur appartement temporaire, il changea d'avis. Son regard tomba sur Klaudia, assise à côté du lit où dormait leur fils fiévreux. Un parfait petit mélange de ses parents. Les traits durs du visage de Pasha s'adoucirent en les voyant.  

J'ai trouvé les médicaments. Il souleva le sac en papier qu'il tenait dans sa main.

Les âges des persos:

Un "oui, elle vient tout juste d'arriver" aurait été complétement inutile, les deux futur-jamais-Guides avaient dû remarquer sa présence avant même qu'elle ne pousse la porte. "Maria" la salua Klaudia avec chaleur. Elle voulait l'accueillir d'une étreinte mais une petite tête brune sortie d'elle ne savait où la devança. Feliks adorait visiblement les câlins de sa pseudo marraine.

Si le visage de Pasha n'afficha pas de sourire ce n'était rien de très étrange. Ses sourires étaient rares et indéniablement réservés à sa famille. Son premier instinct était de demander au nouvel arrivant si elle avait été suivi, mais dans l'esprit de la politesse, il reporta sa question et salua doucement Maria d'un hochement de tête accompagné d'un "bonjour".

La pseudo-marraine accueillit son pseudo-filleul avec joie. "Mais c'est que tu es chou, toi ! Et tu as grandi, non ?" dit-elle en le serrant très fort. Feliks lui donnait presque envie d'avoir un enfant tout de suite. Presque, elle tenait à profiter de son corps de jeune fille encore un an ou deux, au grand dam de son époux. "Kaudia-chérie, qu'est-ce que tu deviens ?" demanda-t-elle ensuite d'un ton discret. "Et bonjour Pasha," ajouta-t-elle.

Ce n'était pas la première fois que le couple changeait de logement mais celle-ci serait différente. "Feliks vient de nous faire une belle frayeur. Il avait de la fièvre cette nuit, tu le trouves encore chaud ?" demanda la maman inquiète, un avis extérieur serait favorable (Pasha était aussi alerte qu'elle sur la santé de leur fils, ça ne l'avancerait pas). "Nous pensons que Moscou n'est pas le meilleur endroit pour qu'il grandisse à l'aise, cette ville est bien trop... malsaine ?" Et dangereuse. Venir à la capitale après leur fuite de Saratov avait été une erreur.

L'ennemi peut-il te trouver si tu te balades droit sous son nez ? Jusqu'à présent Pasha et Klaudia avaient été chanceux, mais vivre sous cette pression constante commençait par prendre le dessus. Le stress, la fatigue, la paranoïa. Non, Moscou n'était pas l'endroit où élever leur fils.

Klaudia retira son gant et posa sa main sur le front du petit garçon avant de tâter le sien.
"Tout va bien, il est aussi chaud que le mien, tu peux te rassurer."
Oh, son amie veut quitter Moscou...
"Vous allez dans une ville campagnarde alors... Ne t'éloigne pas trop et ne choisis pas une ville trop petite non plus. Je te souhaite d'y trouver le bonheur - et de te marier !" Ça, c'est une petite taquinerie, toutes les deux savent très bien avec qui.
"Où allez-vous ?"

"Mais nous comptons bien nous marier !" Elle en rêvait même, être dans un jolie robe blanche, son Pasha à son bras dans une tenue correcte. "Je te veux comme demoiselle d'honneur d'ailleurs. Nous n'avons pas encore décidé ; il faudrait un endroit plus serein, sans toutes ces patrouilles de la Milice vraiment stressantes." Klaudia ne s'était jamais délibérément affichée contre les miliciens mais eux aussi étaient sous les ordres du Vatican. Leurs ennemis étaient légions. "Que nous pussions aussi trouver du travail, le petit aura bientôt sa poussée de croissance..."

Une poussée de croissance ? Son Feliks ? Pasha ne pouvait pas s'imaginer son fils grandir. Il ne savait pas s'il en avait forcément envie. Avec l'âge vient la responsabilité. Il allait devoir l'apprendre à faire bien plus que se cacher sous un lit au moindre sifflement. Ils en avaient que vaguement parlé avec Klaudia, mais le sujet allait devoir revenir sur table très bientôt.

Il n'y a pas de ville sans miliciens.

"Oui, je serais ravie d'être ta demoiselle d'honneur - même si je ne suis plus une demoiselle - et officiellement la marraine du petit !"
Klaudia, étant une rêveuse invétéré, son futur-époux dû la ramener à la réalité. C'est là que Maria posa LA question :
"Comment allez-vous sortir de Moscou ? Par dirigeable ?"
Les dirigeables de son mari à elle ?

Ledit petit-encore-petit se colla un peu plus à Maria, ravi de la voir. Feliks passait ses journées rien qu'avec ses parents et d'autres visages étaient toujours bienvenus. "Ses dirigeable ou calèche. Quel serait le mieux ?" La question était surtout pour Pasha.

Pas qu'il avait véritablement une réponse. Pasha n'aimait pas les dirigeables. Il préférait avoir les pieds sur terre. Un dirigeable était comme une prison flottante. Nulle part où aller.

Il haussa les épaules. Un dirigeable est plus rapide, je suppose... ?

"Ce qu'il vous faudrait, ce serait un dirigeable transporteur d'avions, ainsi vous pourrez brouiller les traces en descendant du dirigeable avant qu'il ne touche le sol !"
Elle laissa le temps aux parents de réfléchir et en profita pour s'adresser à Feliks : "Tu as envie de voler ?"
Aussitôt dit, elle le saisit par les aisselles pour le faire tourner au dessus du sol.
"Ouh, t'es lourd. Tu n'aurais pas un peu grandi ?"

Le gamin fronça les sourcils (en parfaite imitation de son papa). "Suis pas lourd, Mama me porte très bien." Il commençait aussi à avoir du répondant, à savoir si ça serait une bonne ou mauvaise chose. "Mais on peut voler pour de vrai tatie ? Avec les machines hein ?" continua-t-il un peu inquiet. C'est qu'il ne voulait pas de plumes comme les démons lui ! "Uhm... des avions livrés, n'est-ce pas Maria ? Ni moi ni Pavel ne savons piloter" revint Klaudia.

Piloter n'était en effet pas dans sa liste de compétences. Et pourquoi pas le train ? proposa Pasha. Fuir d'un train était déjà plus facile à envisager que de fuir d'un dirigeable. Il y avait plusieurs arrêts... et sinon sauter d'un train en cours de route semblait largement moins mortel que de sauter d'un dirigeable.

"Non, t'es pas lourd mais t'as grandi quand même, si ?" répondit Maria à l'adorable frimousse boudeuse (bien plus adorable que la version adulte).
"Je pensais engager un pilote pour ça ! La nacelle du côté arrière peut s'ouvrir et laisser sortir des avions. Tout l'intérêt est qu'au prochain arrêt du dirigeable, si vous soupçonnez quelque chose, vous partez aussitôt."

Ce qui voulait dire que la vie du pilote serait également incertaine, jamais Pasha ne permettrait quelqu'un de vendre la mèche. C'étaient les démons qui agissaient dans le secret et attiraient les regards de la Milice, pas les enfants de Dieu qui cherchaient une vie simple pour sauver leur enfant. "Je ne suis pas certaine pour le pilote... au moins qu'on sorte de Moscou, ensuite nous pourrons aller où nous voudrons."

Spoiler:

Klaudia le connaissait trop bien. Je n'aime pas non plus l'idée. Faire confiance à une personne de plus... un pacte sur une base d'argent... Non. Il ne préférait pas mettre sa famille en danger pour une solution "rapide".

Maria hausse les épaules. Elle aurait pu conduire le coucou elle-même mais il fallait justifier à son mari pourquoi elle voulait partir en avion au milieu de la campagne.
"Bon, tant pis. Je vous trouverai deux tickets de train."

Hrp : et des faux-papiers !

Il n'y avait pas foule sur les quais. L'heure horriblement matinale y était peut-être pour quelque chose. Feliks s'était rendormi dans les bras de son père, roulé au chaud dans sa couverture. "Comment s'appelle déjà le village une fois à Tomks ? Saint-Bois ?" questionna Klaudia à voix basse, ne voulant pas que Maria ou -pire encore- Pasha ressentent sa nervosité. Elle ressemblait pourtant à une jeune femme des plus ordinaires partie "rendre visite à sa famille plus à l'Est".

Saint-Champ. Il posa ses yeux perçants sur elle comme s'il tentait de détecter une quelconque hésitation, mais Klaudia ne lui rendit pas son regard. Feliks avait encore mal dormi malgré son prompt rétablissement le jour d'avant et le garçon était encore perdu dans un profond sommeil. Il allait certainement être déçu d'avoir raté l'arrivé du train, mais il était encore un peu tôt pour le réveiller.

"Je continue de penser qu'un si petit village n'est pas une bonne idée. Mais si vous vous obstinez, assurez-vous de vite vous intégrer. Les gens vont jaser quand ils sauront que vous n'êtes pas mariés. Alors... je vous ai préparé un cadeau."
Maria sortit une boîte contenant deux anneaux en métal tout simple.
"Est-ce que c'est à votre taille ? Je me suis dit que vous pourriez vous marier en secret avec juste le prêtre et faire comme si vous étiez mariés bien avant."

"Oh Maria !" s'exclama la jeune femme en la serrant dans ses bras. "Tu es notre bienfaitrice, jamais je ne pourrai te remercier assez pour tout ce que tu as fait pour nous." Klaudia prit la boîte aussi délicatement que si elle était en verre et sortit le plus grand des deux anneaux qu'elle présenta à son pas-encore-mari. "Pasha ?"

Son expression était indéchiffrable. Si jusqu'à présent il avait au moins eu la grâce d'être poli et reconnaissant envers Maria, le sentiment s'était évaporé dès qu'elle avait sorti cette boîte. Pasha se sentait insulté. Elle lui avait volé l'opportunité de faire sa demande en mariage comme il le fallait ; entre un homme et sa future femme, en privé, avec un anneau qu'il aurait choisi lui-même. Le tonnerre gronda dans sa tête et l'émotion déborda. Il mordit sa langue, une tentative d'avaler sa colère qui ne marcha pas.

Je vais faire un tour. Il rendit Feliks à Klaudia et partit sans un autre mot.

Feliks gémit quand il changea de main, se réveillant à moitié. Sa mère l'avait attrapé à la va-vite, les anneaux encore sortis. "Je... je ne comprends pas Maria" fit-elle déconfite. "Pourquoi réagit-il comme ça pour des alliances factices ? Il m'a pourquoi dit qu'il souhaitait m'épouser... il n'y a... pas longtemps." Le dire à voix haute était beaucoup plus gênant et la jeune femme en rougit. "Ça veut dire épouser ?" Ah. Les questions d'enfant.