Rappel du premier message :

Pasha ne cessait pas de regarder au-dessus de son épaule. C'était devenu une habitude malsaine depuis la dernière fois. Il les avait vu venir de loin. Un humain lambda ne les aurait pas remarqué. L'un s'était déplacé sur les toits, l'autre parmi la masse de peuple en bas. Les deux avaient eu une capuche qui jetait une ombre sur leurs visages, les rendant totalement méconnaissables. Pourtant l'instinct lui avait dicté l'inverse. Pasha savait quand il était suivit. Les semer avait été une tâche difficile dont il n'était malheureusement pas sorti totalement indemne.

Il crispa les doigts au souvenir.

Parfois, comme maintenant, il se surprenait à penser que cette vie de fugitif n'en valait pas la peine. Qui avait envie de vivre sa vie avec tant de paranoïa ? Pourquoi avait-il proposé de fuguer il y a sept ans ? Leur vie serait sûrement bien meilleure sans cette poursuite implacable du Vatican.

Pasha grommela.

Et pourtant, dès qu'il ouvrit la porte de leur appartement temporaire, il changea d'avis. Son regard tomba sur Klaudia, assise à côté du lit où dormait leur fils fiévreux. Un parfait petit mélange de ses parents. Les traits durs du visage de Pasha s'adoucirent en les voyant.  

J'ai trouvé les médicaments. Il souleva le sac en papier qu'il tenait dans sa main.

Les âges des persos:

Pour patienter, le prêtre avait retourné son petit appartement pour retrouver la caisse qu'il avait récemment reçu de ses parents, contenant toutes sortes de vieux objets parmi lesquels il devait faire un tri. Il y retrouva de vieux jouets et quelques livres d'enfant ainsi qu'une lourde et chaude couverture en laine. Les bras chargés, Micha retourna toquer à la porte de la chambre et y rentra en souriant. "Je me disais que votre petit garçon pourrait avoir besoin de ces petites choses."

Pourquoi aurait-il besoin de ça ? Il lui fallait dormir (selon Klaudia) et prendre ses médicaments. Toutes autres choses ne faisaient que prolonger leur séjour ici. Chaque heure passée dans la maison de ce prêtre était une heure de risque supplémentaire. Mais Pasha n'avait rien à dire. C'était plus facile de plier aux demandes de Klaudia que de commencer à discuter ; et en général elle avait raison de toute façon.

"Un plaisir, ma Fille. Ce sont de vieilles affaires. Mes parents font du tri et je devais réfléchir à ce que je comptais en faire. Les offrir à un enfant qui en a besoin leur rend honneur." Il comptait de toute façon amener le reste à un orphelinat. "Votre époux et vous pouvez dormir sans risque. Vous semblez en avoir besoin. Je comprendrais cependant que vous préfériez alterner. Mais sachez que vous êtes en sécurité ici." Il vibrait de sincérité.

Est-ce si criant qu'ils étaient méfiants ? Peut-être la mine éternellement stoïque de Pasha qui pouvait le faire penser mais Klaudia y était habituée ; ça et les regards doux et tendres qu'il portait rien qu'à elle et Feliks. "Nous..." La gêne se ressentait. "Nous ne sommes pas..." Klaudia n'osa terminer sa phrase, terriblement honteuse d'être encore une mère-fille, une de ces femmes qui ont porté des enfants en dehors des liens sacrés du mariage.

Son regard vira vers Klaudia. Que faisait-elle ? Pourquoi en parler ? À un prêtre qui est de plus ! Nous sommes très fatigués, fit-il pour plus ou moins compléter sa phrase. Ce qu'elle avait sous-entendu était déjà trop clair, mais peut-être qu'en changeant de sujet il allait forcer le prêtre à partir.

Pasha posa une main réconfortante sur la tête de Klaudia qui vira doucement vers son dos quand il s'assit à côté d'elle. Essaye de te rendormir après, lui dit son père. Tu as besoin de repos. Apparemment. Et clairement Pasha et Klaudia avaient besoin de parler entre eux sans la présence des oreilles curieuses de leur fils.

Si Feliks avait voulu contester sa sieste imposée, le bâillement qui lui échappa parla pour lui. Son bol terminé, il se fourra sous sa montagne de couvertures, celle toute douce du monsieur contre lui. Klaudia le borda un peu alors que le petit s'endormit rapidement (il devait vraiment être épuisé pour y arriver sans chanson ni histoire). "Tu devrais l'imiter Pasha, tu as veillé toute la nuit."

Plus tard. Il avait sommeil, c'est vrai, impossible de le nier. Même s'il tentait, Klaudia le connaissait trop bien pour tenter le mensonge. Pourquoi tu— Il se coupa la parole pour fixer la porte du regard, comme s'il pourrait apercevoir l'ombre du prêtre derrière. Klaudia semblait le faire confiance, mais pas Pasha. Il baissa encore plus sa voix, qui était maintenant à peine plus forte qu'une murmure. Qu'est-ce qui ne va pas ?

Il se doutait que c'était ça le problème. Le chemin qui les avait mené jusqu'ici n'avait pas été des plus classiques, mais leur situation ne l'était pas non plus. Il ne peut pas nous en vouloir. C'était Lui qui en avait décidé ainsi après tout ; ou c'était l'espoir de Pasha du moins. Le Vatican aurait sûrement un avis très différent.

"Je le sais. Comment aurions-nous fait sinon pour avoir un petit garçon aussi merveilleux ?" Klaudia n'allait pas se le cacher, leur fils était tout ce que des parents -dans leur situation qui plus est- pouvaient rêver : intelligent, sage, curieux et fervent. "Mais c'est à moi que j'en veux. Je me sens parfois indigne de Lui, et de toi."

Le garçon merveilleux était 90% dû à Klaudia. Elle lui faisait souvent la remarque que Feliks lui ressemblait beaucoup, mais il voyait surtout Klaudia dans les grands yeux innocents de leur enfant. Dieu les avait bénit avec sa présence, c'était vrai aussi. Tu n'es pas indigne de moi. Ni du Seigneur. S'Il nous avait permis une vie différente, je t'aurais épousé depuis longtemps.

Dire qu'elle était émue était un euphémisme et sans la présence du prêtre cette fois, elle s'autorisa un baiser doux sur les lèvres du roux. "Et j'aurais accepté depuis longtemps" lui concéda-t-elle. "Tu penses qu'il est trop tard pour ça ? Nous marier ?"

Que dire à ça ? L'enfant était déjà là. Ils ne pouvaient pas faire marche arrière pour ça. Je ne sais pas, avoua-t-il. De toute façon notre situation actuelle ne le permet pas. C'était déjà assez difficile de trouver quelqu'un à qui faire confiance du clergé et rien ne garantissait qu'il n'allait pas simplement les renvoyer dans la rue pour une demande si scandaleuse. S'il ne prévoyait pas pire.

Le manque de réplique immédiat en disait beaucoup sur l'hésitation de Pasha. Il n'aimait pas les imprévus, ni les plans bâclés et la proposition de Klaudia (car s'en était une — il entendait la question sous ses mots) rentrait dans les deux cases. Qu'est-ce que tu penses qu'elle pourrait faire concrètement ? Mieux demander plus de détails avant de briser les rêves de Klaudia de façon trop définitive.

Klaudia. Il voulait lui dire quelque chose de rassurant ayant ressenti qu'il avait dit quelque chose qui l'avait peut-être blessé (et ça n'avait jamais été son intention, évidemment). Mais quoi lui dire ? Il ne pouvait pas faire de promesses car seul Dieu sait quel avenir Il avait préparé pour eux. Quand nous sommes plus à Moscou, commença-t-il, toujours avec hésitation, si Dieu le veut. Loin du Vatican. Peut-être qu'ils pourraient recommencer là-bas.

C'était une forme de promesse, leur Seigneur en témoin. "Je peux te jurer, Pavel...." commença Klaudia en agrippant le devant de sa veste, ses grands yeux bleus comme un ciel d'hiver rivés amoureusement dans les siens. "Que je te trainerai moi-même à l'église s'il le faut pour devenir ta femme dès qu'on le pourra."

Un sourire lui échappa. Tu n'auras pas besoin de me traîner. Peut-être qu'elle devrait le forcer d'y aller sans sa tenue veste-capuche dans laquelle il semblait quasiment vivre en permanence, mais ça c'était un problème bien différent. Il couvrit ses mains des siennes et posa un léger baiser sur ses lèvres avant de continuer. Je te le jure aussi.