Rappel du premier message :


La ville de Voronej, chef-lieu de l'oblast du même nom, jonction entre Moscou, Rostov-sur-le-Don et l'Ukraine, célèbre pour son école militaire, est avant tout une ville. Une ville où grandissent de jeunes enfants, calmes parfois, turbulents le plus souvent.

Ainsi les parents de Maksim devaient composer avec ses premières rebellions ouvertes. Ce n'était pas parce qu'il n'avait pas eu de pielmeni au déjeuner qu'il était parti en courant, c'était… un tout. Il voulait prouver au monde qu'il existait et qu'il avait des désirs propres. Et quand les mots ne suffisaient pas, il réagissait à l'instinct plus que de raison.

Ignorant totalement volontairement les injonctions de ses parents comme "ne monte pas sur le muret", "ne cours sur le muret", "reviens avant de te faire mal", Max faisait donc tout l'inverse. C'était un garçon de sept ans assez turbulent après tout. Il était aussi assez myope et refusait de porter ses lunettes. La suite était simple à deviner : il a glissé et est tombé dans l'eau froide du fleuve.

Fort heureusement, il avait quelques notions de natation et parvenait à garder la tête hors de l'eau mais combien de temps ?

"Je ne sais pas exactement. Le Lieutenant nous a dit que ça allait durer plusieurs mois. C'est vague." répondit Fedor amusé par l'enthousiasme de l'enfant. Maintenant il n'est pas vraiment sûr que les parents acceptent. Sans doute qu'ils visent un avenir moins violent pour leur enfant. Enfin c'est sans doute ce qu'il souhaiterait pour ses enfants s'il avait de l'argent.

La notion de temps était très vague pour Maksim, un mois lui paraissait une éternité, l'occasion de devenir ce qu'il voulait être. Le grand-père apparait enfin avec une bassine vide.
"Lyudmila m'a dit que le bain est presque prêt, encore cinq minutes.
- Papy, Fedor veut me montrer comment me battre ! Je peux, diiis ?
- C'est vrai ?"

"Je peux lui apprendre les rudiments du Stenka. C'est un art traditionnel après tout et je suis sûr qu'il est aussi pratiqué ici lors des festivals." acquiesça Fedor. C'est plus simple de convaincre des parents avec une tradition qu'avec une technique de combat militaire. Enfin c'est ce qu'il pensait en tout cas.

Le grand-père marqua un instant d'hésitation et regarda les yeux brillants de son petit-fils si enthousiaste à l'idée d'apprendre.
"C'est d'accord.
- Oui ! Merci papy !
- Mais uniquement la théorie ! Tu es trop jeune pour te battre. Je tiens à ce que tu n'uses de la violence que pour défendre la justice, sans faire preuve de cruauté ! Et que cela ne doit pas empiéter sur tes études, mon garçon."
Maksim soutint le regard sans difficulté, il était très bon à l'école, presque le meilleur de sa classe.

La théorie ? Ca n'existe pas uniquement la théorie et l'ancien le sait. On va dire qu'il ne veut pas que le petit s'entraine violemment avec d'autres enfants. Le maitre d'arme c'est différent.
"Ton grand-père a raison. La violence est un moyen de régler des problèmes, mais si un cœur mauvais en use, alors elle devient un outil pour harceler les plus petits et ça c'est mal." renchérit Fedor. "Comme je te le disais, n'oublie jamais pourquoi tu choisis une voie, il y a un idéal fondateur a ta décision." il avait encore usé de concept trop complexes pour un gamin de 7 ans.

"harceler", "fondateur" ? Voilà que l'adulte recommençait avec ses mots compliqués, déjà que Max n'avait pas compris le mot "empiéter". Il acquiesça tout de même, conscient que Fedor attendait de lui obéissance et soumission, ce qui n'était pas cher payé pour de l'attention et de bons conseils. Il pourrait toujours arrêter si ça ne lui plaisait plus.
"D'accord !"

Fedor savait qu'il n'avait pas utilisé les bons mots, mais le gamin faisait comme s'il avait compris. "Profite pas de ta force pour faire de mauvaises choses." résume-t-il finalement. Cette fois le gamin devrait comprendre complètement. "Sinon je ne t'enseignerais plus."

Le garçonnet comprit cette fois, du moins il crut comprendre du haut de toute son innocence.
"Je peux frapper ceux qui se moquent de moi à cause de mes yeux !"

"Non." répondit Fedor. "On ne frappe les gens qui usent de moqueries. On se moque d'eux. Œil pour œil, dent pour dent." explique-t-il ensuite. "Après si jamais ils t'attaquent parce qu'ils ne supportent pas tes moqueries, alors tu peux te défendre."

Lev avait très peu réagi sur le coup mais son visage trahissait du chagrin qui s'atténua en écoutant la réponse de Fedor. Maksim quant à lui resta stupéfait devant ce non catégorique. Ce ne fut qu'une minute après avoir digéré les explications qu'il comprit : il ferait comme d'habitude mais avec plus d'acharnement pour les ridiculiser avant de les humilier.
"Je ferai ça !
- Le bain est prêt, monsieur."
C'était Luydmila qui revenait de la salle de bain.

"Oh, merci." répondit Fedor en prenant la direction d'où venait la mère de Maksim. Mais il se retourna avant cela. "Tu connais la meilleure arme contre les moqueries ? L'indifférence." dit-il avant de reprendre sa route vers un bain chaud bien mérité.

"Indifférence ?
- C'est lorsque l'on n'écoute pas la personne, précisa Lev.
- Oh… Eh, Fedor ? Je peux t'accompagner au bain ?"
Max se baignait encore parfois avec son grand-père, un peu moins souvent avec son père qui n'avait pas le temps et ne prenait que rarement des temps de relaxation dans la salle de bain.

"Il ne faut pas écouter les imbéciles. En plus ça les énervent quand tu fais comme s'ils n'existaient pas. Mais ce qui est vraiment important, c'est que toi tu ne sois pas blessé par les moqueries. Après tout, est-ce que ce sont des gens importants pour toi ? Non. Sinon ils ne se moqueraient pas. Ne t'occupe pas d'eux." expliqua Fedor. "Vient... même si on va être un peu serré." Faut dire qu'il a une grande carcasse Fedor.

Maksim but les paroles pleines de sagesse de Fedor, il essayerait de les mettre en pratique dès que possible pour ne pas les oublier. Il précéda le colosse dans la salle de bain. De l'eau fumante attendait dans la baignoire, sa mère n'avait pas fait la fine bouche. Le garçon prit un bol de l'eau et s'arrosa avec avant de sa savonner, c'était tout de même mieux de se décrasser avant de mariner dans l'eau.

Fedor se conforme aux moeurs en vigueur. Il se décrasse avant de rejoindre la baignoire. Pour le coup il est toujours propre, il ne supporte pas être sale, le sang des batailles a déclencher une forme de répulsion envers la saleté. Ce n'était pas encore compulsionnel, encore moins une phobie, mais Fedor mettait un point d'honneur a être propre et à sentir bon. L'eau chaude déclencha des sensations de soulagement dans son corps encore refroidi par les eaux du fleuve, l'espace d'un instant c'est même douloureux. "Diantre, ça fait du bien."

Une fois Fedor installé, Maksim se glissa dans le petit espace d'eau d'où ne dépasse pas le futur colosse. S'il n'avait pas autant souffert du froid grâce à son impérativité, il se détendit complètement dans l'eau chaude.
"Dis Fedor, t'as des parents ? Un père, une mère ? Est-ce qu'ils sont aussi grands que toi ?"

"Bien sur que j'ai des parents, mon père est plutôt grand, mais c'est mon grand père qui était immense. Je ne me souviens plus de lui mais on me compare souvent à lui." explique le grand bonhomme. "On m'a expliqué que parfois on ressemble plus à ses grand-parents qu'à ses parents. Je ne sais pas pourquoi par contre."

L'eau chaude faisait vraiment du bien et il commençait à réellement se détendre après tout ce qui s'était passé. Il n'avait que rarement la chance de pouvoir prendre un bain depuis qu'il s'était engagé. Et après de difficiles entrainements il devait faire avec une bassine d'eau chaude. Pas toujours d'ailleurs.

Les yeux de Maksim se fermaient doucement sous l'effet de la chaleur du bain. Il essayait de visualiser sa future taille d'après celle de son père et de son grand-père. Il espérait tenir plus du grand-père pour le coup car il lui semblait qu'il faisait quelques centimètres de plus mais ça n'avait rien à voir avec Fedor. Il avait déjà les cheveux blancs…
"C'est comment chez toi ? Tout le monde fait le stenka alors ?"
La machine à questions n'allait pas s'arrêter de sitôt.

"Non, pas tout le monde. Mais c'est très populaire... enfin je veux dire que les gens aiment, parce que c'est traditionnel." explique Fedor qui constate que la fatigue commence à pointer le bout de son nez chez l'enfant. Normal, le stress et le froid ont accumulé de la tension et maintenant qu'elle a disparu c'est la fatigue qui fait son apparition. Lui même ressent les mêmes effets que l'enfant. Mais il est entrainé à y résister. Cependant il est loin d'avoir la résilience que les vétérans démontrent en matière de résistance à la fatigue.

"C'est comment chez toi, t'as dit ? Est-ce que c'est grand ?"
Le garçon commençait à sommeiller. Il trouvait la ville trop clôturée, étouffante avec son agitation mécanique et ses regards suspicieux.

J'habitais la campagne, fils de paysan tu comprends. Mais au nord, en Sibérie, il fait très froid là bas. Heureusement la nature est très belle et on peut marcher des jours entiers sans croiser personne. expliqua Fedor. "Parfois ça me manque." mais comme il avait quitté la maison familiale en mauvais terme avec son père. Il n'avait pas envie d'y retourner pour le moment.

Pour le coup, paysan ne plaisait pas à Maksim, trop routinier, trop ingrat.
"Ton père t'aime bien ?"
Parfois Souvent, Maksim avait l'impression que son père ne l'aimait pas, à cause de ses yeux encore.

"Mon père m'adorait, jusqu'à ce que je décide de ne pas devenir paysan. C'est pas drôle la vie de paysan, moi je voulais découvrir le monde. Alors je me suis engagé dans l'armée. Depuis il ne me parle plus. Ca passera. J'imagine." les liens du sang sont plus forts que tout. Enfin il espère en tout cas. "Et toi ? Ca se passe bien avec ton père ?"

Maksim eut un petit sourire en trouvant Fedor si semblable à lui.
"Non, j'arrive pas à le faire sourire. Je veux qu'il soit fier de moi mais ça marche jamais. Chais pas quoi faire."
Max pouvait enfin se confier à quelqu'un. Il prit ce risque avec une légère appréhension malgré l'eau du bain qui était sans doute responsable de ce relâchement.

Fedor soupire avec un air compréhensif. "Si j'avais la solution miracle, je l'utiliserais moi-même. Soit toi-même, c'est le seul conseil que je peux te donner. Un père devrait toujours être fier de son fils si ce dernier respecte les valeurs familiales ET reste fidèle à ses propres idéaux.... les idéaux c'est tes points de vue sur la vie, les valeurs morales, et ce genre de chose. Tu es un peu jeune pour avoir les tiens, mais ça viendra. Les idéaux de ton grand-père me semblent un bon départ du peu que j'ai vu. Hésite pas à l'écouter."