Rappel du premier message :


La ville de Voronej, chef-lieu de l'oblast du même nom, jonction entre Moscou, Rostov-sur-le-Don et l'Ukraine, célèbre pour son école militaire, est avant tout une ville. Une ville où grandissent de jeunes enfants, calmes parfois, turbulents le plus souvent.

Ainsi les parents de Maksim devaient composer avec ses premières rebellions ouvertes. Ce n'était pas parce qu'il n'avait pas eu de pielmeni au déjeuner qu'il était parti en courant, c'était… un tout. Il voulait prouver au monde qu'il existait et qu'il avait des désirs propres. Et quand les mots ne suffisaient pas, il réagissait à l'instinct plus que de raison.

Ignorant totalement volontairement les injonctions de ses parents comme "ne monte pas sur le muret", "ne cours sur le muret", "reviens avant de te faire mal", Max faisait donc tout l'inverse. C'était un garçon de sept ans assez turbulent après tout. Il était aussi assez myope et refusait de porter ses lunettes. La suite était simple à deviner : il a glissé et est tombé dans l'eau froide du fleuve.

Fort heureusement, il avait quelques notions de natation et parvenait à garder la tête hors de l'eau mais combien de temps ?

"Non tu n'avais pas encore dit merci. Sans doute le choc." il n'a pas dit la peur panique. Le choc c'est bien pour l'égo. Même celui d'un gamin de 7 ans. "Normalement il doit y avoir des hommes qui pratiquent ça. Mais dans mon village on commence à s'entrainer vers 13 ans pour les plus motivé. Avant on imite simplement les adultes entre nous." dit-il en faisant un clin d'oeil au petit. Ils se rapprochaient de son manteau. Enfin c'est ce qu'estimait Fedor.

"Tu peux me montrer ? S'il te plaît ?" demanda Maksim, loin de son attitude farouche habituelle avec les inconnus.
L'idée de devenir plus fort l'emportait sur la peur d'être trahi et malmené par excès de confiance.

"Quand on sera au chaud et avec des vêtements secs." répondit le grand bonhomme qui n'a pas de problème avec le concept. C'est une tradition ancrée dans les campagnes russes. C'est important les traditions. Plus que la foi à ces yeux. Mais il ne le dit pas. Pour le coup il a plus peur des prêtres que des soldats adverses.

"D'accord."
Restait à ne pas laisser l'adulte lui glisser entre les doigts avant.
"On fait une promesse ?"
C'était important la parole, la chose la plus sacrée qu'enseignait la Bible, avant même le pardon ! Et Max y croyait dur comme fer.

"Je ne fais pas de promesse à la légère. On avisera plus tard." dit-il en employant à nouveau le mot compliqué. Il repéra son manteau et bifurqua pour le rejoindre. La température était loin d'être plaisante et une fois devant il se baissa pour le récupérer. Puis il se tourna vers le gamin et entreprit de passer le manteau autour des épaules du petit. C'est là qu'il prit conscience des yeux rouges de ce dernier. "Démon ?" pensa-t-il soudainement.

"Tu as les yeux rouges petit." si ces derniers tournaient subitement dans une couleur normale... le démon était mort. La voix de Fedor était devenu aussi froide que les eaux du fleuve.

Maksim avait relâché sa garde… et voilà les conséquences. Son "héros" le jugeait mal rien qu'à voir ses yeux ! Max était peut-être myope mais il sentait la défiance à des kilomètres.
"Oui, et ? C'est de naissance. Tu veux voir mon certificat de sang ?"
Il avait passé le test des scientifiques, au moins deux fois. Heureusement qu'il ne l'avait pas sur lui par contre parce qu'il se serait retrouvé noyé ou perdu dans la Voronej.

"Non. Pas la peine." il était rassuré, un démon qui aurait perdu le contrôle sur la couleur de ses yeux n'aurait pas le cran de mentir ainsi ? n'est-ce pas ? Il n'avait en tout cas pas le coeur à penser que le petit méritait la mort. "J'ai les cheveux très très clairs de naissance, on m'embêtait avec ça, sans doute moins que pour tes yeux."

Maksim ne défronça pas les sourcils, même si la petite révélation du colosse était touchante et qu'il lui avait donné son manteau pour se protéger du vent. Il se contenta de fixer Fedor en silence, attendant visiblement quelque chose, une parole ou une réaction.

Fedor était déjà passé à autre chose. "Ca va ? tu n'as pas trop froid ?" demanda-t-il ensuite en fouillant les poches de son manteau pour sortir sa petite trousse de survie. Les basiques d'un soldat. Bougie, briquet, fil de pêche, hameçons, petit couteau, petite scie, etc...

Il prit la bougie et le briquet. Et regarda le petit en attendant une réponse.

Non, ça n'allait pas mais ce n'était pas le froid du vent qui l'avait glacé ainsi.
"Je t'ai fait peur. T'as cru que j'étais un de ces démons ?"
S'il connaissait le mot "pathétique", nul doute qu'il l'aurait employé.

Fedor haussa un sourcil. "Peur ?" comment un gamin pesant 30 kg tout mouillé en est-il arrivé à la conclusion qu'il lui avait fait peur. "J'ai en effet pensé un instant que tu étais un démon. Ca te pose un problème ?" questionna Fedor.

Max fusilla l'insensible en face lui. Hors de question de pleurer, il avait l'habitude de toute façon. Puisque l'adulte lui posait la question, il aurait une réponse :
"Oui ! Les démons, c'est le mal !"

"En effet. Et comme tu as une particularité qui attire l'attention, forcement les gens ont certainement tous tendances à réagir comme moi. C'est une réaction logique. Instinctive." commença Fedor. "Ce qui est important c'est ce qui se passe ensuite. Est-ce que je t'ai insulté, frappé ou est-ce que je me suis reculé pour mettre de la distance entre nous deux ?" questionna le grand bonhomme. "Non. Parce que passé le moment de surprise j'ai compris que ma réaction était instinctive, mais pas forcement bien fondée. Mais je ne vais pas m'excuser non plus pour avoir eu un réflexe de sauvegarde. "

Maksim n'avait rien compris, trop d'informations. Il resta en silence, l'air d'attendre que son interlocuteur finisse son looooooooooong discours avec plein de mots compliqués comme "instinctif", "tendance, "particularité", "distance", "sauvegarde".

Devant l'air perdu du gamin Fedor comprend qu'il a été bien trop compliqué. Son lieutenant a perçu en lui un homme intelligent et lui donne une éducation qu'il n'a pas reçu. Il apprend vite.
"C'est normal de réagir comme je l'ai fait." résuma-t-il. "L'important c'est que je m'en fous de la couleur de tes yeux." tente-t-il de manière plus simple. Brutale ?

Hein ?
Max avait presque tout compris, hormis un mot. C'était un garçon avec une bonne éducation même s'il n'en donnait pas l'air. Une éducation assez intellectualisée, dirait-on, proscrivant les gros mots et privilégiant beaucoup l'étude de la Bible (même si la mise en pratique laissait à désirer et que l'enfant était un peu trop tourmenté).

"Tu as pas trop froid ?" demanda Fedor qui n'avait pas eu de vrai réponse. Le non événement de la couleur des yeux du gamin prenait une ampleur qu'il jugeait démesuré. Sans doute que c'était important pour le petit et qu'il en avait marre de ce type de réaction. Il ferait mieux de durcir son coeur, ça se pouvait qu'empirer. Fedor allume la petite bougie avec difficulté. "La technique c'est de s'agenouiller et de d'avoir le manteau qui protège la bougie. explique Fedor en tendant cette dernière vers l'enfant.

Maksim ne nia pas qu'il avait froid maintenant qu'il s'était arrêté de trotiner. Il regarda la bougie avec curiosité, s'étonnant de se réchauffer avec une si petite flamme. Il obéit donc pour mettre en pratique le conseil. À sa surprise, ça marchait bien.
"Ça veut dire quoi "je me fous" ?"

"C'est un verbe, pas très beau, pour dire que la couleur de tes yeux n'a aucune importance pour moi." explique Fedor. Il entreprit ensuite de regarder autour de lui pour voir s'il y avait quelque chose à bruler. Il faudrait s'éloigner un peu en direction de la forêt. Autant se rendre en ville. Il préfère donc attendre un peu que le petit se réchauffe. En attendant il se refroidit, mais ça lui rappelle ses entrainements. Il va survivre. "Je ne vois pas de bois sec." dit-il un brin déçu.

Oh ! Alors, il n'avait contre ses yeux ? Cela changeait tout dans l'esprit de l'enfant. Il observa son environnement pour se rappeler comment rentrer à la maison quand il entendit une voix familière.
"Excusez-moi, n'auriez-vous pas vu un petit garçon aux cheveux blancs il y a peu ?"
Papy !
Max se tourna pour faire de grands signes à un vieil homme aux cheveux plus blancs que gris.
"MAKSIM ! Où étais-tu ? Je t'ai cherché partout !"
Aucun reproche dans sa voix, seulement le soulagement.

Dès qu'une forme fit son apparition Fedor se focalisa dessus. Mais rapidement il comprit qu'il n'y avait aucun danger. C'était une personne d'un certain âge et son visage était plus anxieux qu'autre chose. Sans doute de la famille du petit. Quelques instant plus tard cela se confirme.

"Il prenait des cours de natation accélérés." dit simplement le grand homme du haut de toute sa stature avec sa voix rassurante. Pour un ancien, il devait être évident que malgré son physique impressionnant et son assurance il était encore un jeune homme. Très jeune en fait. Mais pas sûr que le vieil homme soit pour le moment en état de faire une tel analyse.

Le vieil homme était tendre avec le petit retrouvé mais son maintien droit trahissait ses années de service dans la milice. Sans doute qu'il ne mit pas longtemps à faire le lien entre la déclaration de Fédor et l'état de leurs vêtements.
"C'est vous qui l'avez repêché ? Je vous en remercie infiniment, jeune homme ! C'est mon unique petit-fils. Venez chez nous vous sécher correctement. Vous être notre invité."

"Je ne dis pas non. Je préfère éviter de rentrer au camp dans cet état." confirme le grand bonhomme en souriant. "Mettons nous en route, il fait frisquet." euphémisme pour ne pas dire qu'il se gelait les b... pieds comme jamais. Le vieil homme a l'air propre sur lui et droit dans ses bottes.

Maksim lâcha son grand-père pour marcher à ses côtés. Il rechignait à lui tenir la main devant l'autre adulte mais le grand-père insista plus fort, ce qui était compréhensible après la frayeur qu'avait fait le garçon en s'enfuyant.
"Suivez-moi. Alors, comme ça, vous êtes de l'école militaire ?"
Il parlait de l'école de la ville et Maksim tendait l'oreille car il avait déjà envie de rejoindre cette école quand il serait plus grand et costaux.

"Non, mon régiment est de passage pour entrainer les cadets. Moi j'ai terminé mes classes déjà." expliqua Fedor qui avait finalement appris la raison pour laquelle son régiment était venu ici. "Et vous monsieur ? vous étiez soldat ?" demanda Fedor parce que ça lui paraissait logique. Il jeta un coup d'oeil au gamin qui voulait jouer au grand. Et sourit tranquillement. "Vous avez de la graine de soldat là."