La ville de Voronej, chef-lieu de l'oblast du même nom, jonction entre Moscou, Rostov-sur-le-Don et l'Ukraine, célèbre pour son école militaire, est avant tout une ville. Une ville où grandissent de jeunes enfants, calmes parfois, turbulents le plus souvent.

Ainsi les parents de Maksim devaient composer avec ses premières rebellions ouvertes. Ce n'était pas parce qu'il n'avait pas eu de pielmeni au déjeuner qu'il était parti en courant, c'était… un tout. Il voulait prouver au monde qu'il existait et qu'il avait des désirs propres. Et quand les mots ne suffisaient pas, il réagissait à l'instinct plus que de raison.

Ignorant totalement volontairement les injonctions de ses parents comme "ne monte pas sur le muret", "ne cours sur le muret", "reviens avant de te faire mal", Max faisait donc tout l'inverse. C'était un garçon de sept ans assez turbulent après tout. Il était aussi assez myope et refusait de porter ses lunettes. La suite était simple à deviner : il a glissé et est tombé dans l'eau froide du fleuve.

Fort heureusement, il avait quelques notions de natation et parvenait à garder la tête hors de l'eau mais combien de temps ?

Fedor était en quartier libre, son régiment en route pour la frontière au sud, et lui était encore en plein apprentissage. Certes il avait terminé ses classes, mais il n'avait pas encore vécu "le front", et donc n'avait pas reçu son "baptême du feu". Il n'était pas spécialement impatient, au fond de lui la peur était bien présente. Bien sûr il était déjà immense pour son âge et monstrueusement fort, généralement les gens se trompaient sur son âge d'ailleurs.

Le fleuve à côté de lui était un poil impétueux et soudainement il remarqua quelqu'un entrain de se débattre dans les flots. N'écoutant que son courage il s'élança.

Maksim agitait les bras en vain, le courant l'emportait en plein milieu du fleuve, l'éloignant terriblement des rives à peine distinguables. Il avait certainement semé ses parents. L'eau entrait avec acharnement dans sa bouche et le garçon la recrachait avec le même acharnement. Ses cheveux blancs se démarquaient bien sur la surface sportive du fleuve.

Rapidement Fedor rejoignit ce qui semblait être un enfant. Tant mieux, ramener un adulte c'était beaucoup plus compliqué. Il agrippa donc le gamin et entreprit de le rejoindre le rivage. Pendant ses classes ont lui avait appris à faire preuve de vigueur dans cette situation. La victime d'une noyade était souvent dans un état de panique tel qu'elle devenait dangereuse pour son sauveteur. Fedor ne laissa que peu de chance à l'enfant de se débattre. La force du jeune homme dépassait déjà celle de la plupart des adultes, dans ce domaine là Dieu lui avait fait don d'un talent particulier.

Maksim était en effet incapable de penser correctement. Tout ce qu'il savait était qu'il était en danger et devait se tirer de là. Il avait peur que l'inconnu ne l'emportât dans le fond de l'eau et se débattait avec toute la force qui lui restait après sa bataille contre le fleuve. Il essayait de crier mais manquait de souffle et toussait la moitié du temps.

Fedor luttait contre les flots, même si ce n'était qu'un gamin le presque noyé se débattait comme un diable. Le serrant fort contre lui, le militaire nageait en direction du rivage. Sans lutter contre le courant, comme on lui avait appris il y a peu.

Après un âpre combat contre les éléments ils finirent par rejoindre la rive. Exténué le grand bonhomme s'écroula sur le dos à peine arriver sur le rivage un peu boueux du fleuve. Il respirait fortement et peinait à reprendre sa respiration. Un coup d'œil au gamin lui assura qu'il était en bonne santé et n'avait pas besoin de premier secours. Parfait.

Maksim avait recraché l'eau qu'il avait avalé et avait assez de force pour se tenir à quatre pattes. L'eau sale du fleuve ruisselait de ses cheveux et de ses vêtements et quand cela fut fini, d'autres eaux se mirent à couler, l'enfant pleurait. Une telle frayeur était trop pour un enfant de sept ans. Il réalisait qu'il avait failli mourir et qu'il était en train de pleurer alors qu'un grand garçon ne pleurait pas et cette idée ne l'aidait pas du tout à se calmer.

Toujours pantelant Fedor décida de jeter un oeil sur le petit. Les cheveux étaient un peu comme les siens, mais plus argentés. Etrange pour un petit. Pour le reste le contre-coup venait d'arriver et il pleurait. Preuve que le reste allait bien.

"C'est quoi ton nom petit ?" demanda le grand bonhomme.

Le petit fit de son mieux pour chasser les larmes de ses yeux rouges.
"Mak... Sim. Et t-- vous ?"
Il tremblait encore et réalisa ensuite qu'il avait froid.

"Fedor" dit l'homme en se levant. "Lève toi. Tu vas prendre froid autrement." ordonna le géant. A 16 ans il faisait déjà 1m90 et ses larges épaules démontraient combien il était taillé pour des travaux de force. Il prit le temps de regarder autour de lui. Ils s'étaient un peu éloignés de la ville quand même. Mais rien d'insurmontable. "On va remonter jusqu'à ma veste et mes chausseurs" expliqua le grand bonhomme. "On va trottiner pour rester au chaud. Ensuite on avisera." peut-être qu'il faudra allumer un feu. Ou plus simplement rejoindre la ville.

Maksim regarda le géant nommé Fedor jusqu'à s'en dévisser le cou. Il se demanda s'il deviendrai aussi grand que lui quand il serait grand. Il se redressa comme un grand parce qu'il n'était pas une poule mouillé mais ses réflexions furent écourtées par le vent sur ses vêtements trempés. Marcher pour avoir des vêtements secs.
"D'accord. C'est quoi avisera ?"
ah, zut, il allait encore se faire disputer par ses parents !

Fedor se mit en route à une vitesse d'escargot selon ses propres critères, mais il se doutait que le petit aurait déjà du mal à suivre. "Cela veut dire qu'en fonction de la situation on prendra une décision. Si tu as trop froid et que la ville est trop loin, j'allumerai un feu. Sinon on rejoindra la ville." expliqua Fedor. "Tu habites loin ?" demanda-t-il ensuite.

Remis de ses émotions, le petit Maksim se mit à trotter, pour se réchauffer, voir s'il pouvait distancer l'adulte et l'impressionner par sa résilience.
"Sept, rue du bouleau. Y a un parc avec un lac à côté !" répondit Max, fier de pouvoir répondre aussi bien.

"Je ne connais pas la ville, donc ça ne me dit pas si c'est loin. Combien de temps de marche ?" demanda alors Fedor. Il aurait du demander ça directement en fait. Mais il a perdu l'habitude d'interagir avec les enfants. Les adultes comprennent plus vite... quoique. Certains de ses camarades sont un peu lents à la comprenette. "Comment as-tu fini dans l'eau ?" C'est peut-être pas important, comme ça peut être capital en fait.

L'enfant ne sut que répondre puisqu'il ignorait où il se trouvait. Heureusement, il pouvait répondre à la seconde quest-- Il se détourna pour cacher son air gêné.
"Peux pas."
Pas l'envie, surtout.

"Ca m'étonnerais que tu ne puisses pas." rétorqua le géant. "Les hommes assument leurs erreurs dans la vie. Seuls les lâches les dissimulent." énonça le grand bonhomme en trottinant toujours sereinement. Le rythme était nonchalant si on comparait avec les entrainements de son régiment. Il avait du mal avec la course à pied à cause de son physique. Le seul endroit où de nombreux autres camarades le supplantaient aisément. C'était très frustrant pour lui.

Maksim était suffisamment intelligent pour reconnaître la véracité de ces propos.
"Chuis pas lâche, d'abord ! Et je suis pas un homme…" ajouta-t-il sur une note un peu plus terne.

"Explique moi alors. J'ai besoin de savoir." ordonna Fedor d'une voix autoritaire. Il avait visiblement une patience limitée. Sans doute par manque d'habitude, mais aussi parce qu'il était trempé. Pas vraiment sa passion de nager dans des flots tourmentés et ensuite de devoir attendre avant de pouvoir se réchauffer.

Le ton autoritaire marcha et Max consentit à répondre.
"Chuis tombé." Sans préciser d'où, ni pourquoi. "Mais je voulais pas ! Chuis désolé !" explosa-t-il avec honte.
Il était à deux doigts de se remettre à courir pour évacuer sa frustration. Il voyait bien que l'adulte à côté était très costaux, difficile à désarçonner. Double-peine, il ne le connaissait pas et ne pouvait pas lui renvoyer les coups par des piques verbales.

"Ah. C'est tout." Fedor était rassuré en admettant que le petit ne racontait pas d'autres mensonges. "Ca arrive, c'est pas bien grave." commenta-t-il ensuite. Tant que le petit n'était pas un voleur en fuite ou un gamin avec des ennuis. Dans les deux cas il aurait certainement fallu désamorcer une situation et il n'était pas très fort pour ça. Enfin si... une fois les autres KO les situations étaient soudainement relativement plus calmes. Mais d'expérience, cela ne réglait pas tous les problèmes.

"C'EST TOUT" ?!! Pas plus de remontrances que ça ? N'était-ce pas déjà une faute extrêmement grave d'avoir désobéi, de s'être couvert de ridicule ou d'avoir incommoder quelqu'un par sa boulette ? Maksim ouvrit des yeux ronds et pour le coup, il était impossible de manquer leur couleur rougeâtre.
"Ça arrive," répéta-t-il comme un perroquet interloqué.

Visiblement le gamin était surpris du manque de réaction de Fedor. "Je suis pas ton père petit. Je suis un soldat. Et pour moi ce n'est pas grave ce qui vient d'arriver. J'étais juste inquiet que tu sois poursuivi pour une raison ou une autre." explicita le géant qui trottine. Il avait déjà cette voix profonde mais rassurante quand il ne mettait pas une pointe d'autorité ou d'intimidation dedans. "Quand j'étais petit je me battais tout le temps, mon père me punissait ensuite. Toi, soit tu es maladroit, soit tu aimes grimper un peu partout."

Fedor avait vu juste : Maksim avait la bougeote.
"Tu te battais ?! Tu devais tout le temps gagner ! Dis, c'est vrai ? dit-il en sautillant, oubliant sa honte de tout à l'heure. Comment fait-on pour gagner à tous les coups ?"

"Je suis née plus grand et plus fort que les autres. Mais ensuite je me suis beaucoup entrainé." expliqua Fedor. "C'est important de savoir se défendre, ou même attaquer. Tant qu'on le fait pour de bonnes raisons bien sûr" se reprend-il ensuite. N'est-il pas entrain de donner un mauvais exemple au petit ? Il haussa les épaules et décida que non. "J'ai commencé en pratiquant le Stenka"

Le stenka, Max en avait entendu parler sans jamais en avoir vu : il s'agissait d'une technique de combat très respectable pratiquée en festival. Et le jeune garçon décida qu'il devait convaincre cet étranger de lui apprendre.
"Où apprend-on le stenka, Fedor ? J'ai dit merci pour m'avoir sauvé de l'eau ? Merci beaucoup !"
Il joignit les mains en signe de prière, regardant son sauveteur.