Rappel du premier message :

Quelque part dans les monts Krokdor se trouve encore aujourd'hui une montagne rouge parsemée de neige. Cette montagne n'est pas n'importe quelle montagne, c'était alors la résidence principale d'un dragon, un grand et majestueux dragon rouge qui soufflait le feu et tonnait le grondement de la colère. Ce dragon fort menaçant avait un ami, aussi étrange cela fut-il. Il avait pour ami un dragon-fée blanc exilé de sa colonie, un prince banni. Ce dernier avait erré sur les terres désolées à la recherche d'un but ou d'une raison de vivre. Prêt à se laisser mourir de faim, le dragon rouge l'avait nourri et plus que cela, il lui avait redonné goût à la vie.

Je vous passe les détails mais les deux dragons se quittèrent bons amis. Le grand dragon rouge était retourné chez lui, dans sa montagne et le petit dragon blanc avait emménagé à la citée légendaire des elfes pour apprendre à soigner. Le temps passa, le dragonnet blanc apprenait vite et repensait souvent à son ami en se demandant ce qu'il devenait. Ainsi, Fotafilis, c'était le nom du dragon-fée, entreprit un long voyage de la citée des elfes à la Montagne Rouge.

Les petits faons ne leur prêtaient plus du tout attention et se bichonnaient entre eux dans la bonne humeur et l'insouciance.

Viholvä renâcla, un poil méprisant. Il était un Dragon, par tous les Mots ! Et il était Viholvärakuuna fils de Valkulohikäärme, le grand Chante-Mage ! Sa Voix aurait la Puissance d'anéantir cet endroit s'il le voulait.

Tiens, c'était intriguant. "Je me demande ce qui protège ces lieux des mal attentionnés. Ce doit être une Magie puissante."

Hum… pas nécessairement. Peut-être est-ce le fait d'une divinité."
La magie était plus concentrée à certains endroits et pouvait être responsable de phénomènes qui échappaient à la logique humaine.

Les oreilles du dragon s'agitèrent avec intérêt. L'ennui le taraudait à observer des faons se léchouiller le museau et il n'était pas contre une petite chasse aux mystères. "Allons chercher !" dit-il d'un air guilleret à son Ami en se levant d'un pas vif ; ennuyé, vraiment.

"Attends un instant, mon Ami ! L'Ääni ne nous a-t-il d'ore et déjà conduit au bon endroit ? Nous sommes exactement là où nous devons être."
Il n'était guère convaincu mais Viholvä l'était vraiment, il devait aller jusqu'au bout de son idée.

Un petit rire amusé secoua le dragon, sans aucune trace de moquerie. "Si l'Ääni se contentait de m'emmener exactement là où je dois être, la recherche de la Vérité serait d'un Ennui considérable." Ses oreilles s'agitèrent de bonne humeur. "Là où devons être est cette Forêt du Bon. A nous d'y trouver ce que nous y cherchons."

"... L'ennui ne me gêne nullement."
Fotafilis n'aimait pas du tout ce genre de magie incertaine. La divination lui posait déjà souci là-dessus. Elle était floue et parfois même contradictoire. Si sa téléportation se faisait au mètre près il n'y arriverait jamais. Un mètre est une bien plus grande distance pour un dragon-fée que pour un dragon de feu.

"Ton Esprit doit être bien reposé, si l'Ennui ne le taraude pas." commenta Viholvä avec bonhommie. "Le mien ne cesse d'Errer dans le Passé et l'Avenir, et dans les Possibilités du Présent. C'est parfois... exténuant." Mais il appréciait néanmoins cette Recherche perpétuelle qui rythmait son Existence. Son Eternité serait réellement longue et répétitive sans qu'aucun Papillon inconnu ne vienne l'égailler. Et il humait la fragrance de cette Inconnu dans l'air. Ses naseaux s'évasèrent alors qu'il dardait de la langue. "Je Sais où nous devons aller."

Il était amusant de constaté que l'esprit de Fotafilis, destiné à ne vivre qu'un siècle ou deux prenait davantage son temps que celui d'un dragon quasi immortel. Comment ce dernier avait-il trouvé la piste de "ce qu'ils cherchaient", Fotafilis ne le savait et renonçait à comprendre. Par bien des aspects ils étaient si différents, issus de deux mondes en tout point divergent. Viholvärakunna appartenait au monde de l'infiniment grand et Fil de l'infiniment petit.

Le vent d'Ääni, qui s'amusait jusqu'alors à jouer avec sa boucle d'oreilles au gré de petites brises, prit soudainement des voltes plus dynamiques qui poussèrent le dragon en avant. "Suis-moi, Fotafilis ! Le vent nous Guide !" s'exclama Viholvä avec un enthousiasme renouvelé. Il serpentait avec une légèreté qu'il n'avait plus éprouvé depuis longtemps, comme ce lointain dragonnet qui s'émerveillait d'un monde qu'il ne connaissait pas encore.

Fotafilis était contrarié d'avoir l'impression de n'aider en rien le dragon mais il cru remarqué que son Ami n'était pas si enjoué d'habitude. Il fallait remarquer que leurs interactions avaient été jusque là centrées sur des besoins impérieux et non une exploration sans prise de tête. La dragon rouge gagnerait à poursuivre ce genre de projets.

Le vent d'Ääni semblait jouer avec eux, à les faire tournoyer entre les arbres sans queue ni tête, mais Viholvä devinait que c'était plutôt la Forêt qui se jouait d'eux, et elle arrivait même à perdre le vent d'Ääni. Le dragon cessa alors sa course pour se lover sur une pierre au soleil, une griffe tapotant son menton. "Nous sommes face à une énigme. Une puissante Magie règne sur cette Forêt, Fotafilis. Elle s'amuse avec nous, à nous égarer, mais je ne sens pas de Refus dans tout cela. Aurais-tu une Idée ?"

"Mmh..." Le dragon se gratta à nouveau le menton. "Non, la Magie de la Forêt ne nous repousse ça. Nous devons juste répondre à ses Critères pour avancer." La question sur les Hiisi le surprit et il papillonna des yeux un moment avant de répondre. "Ce sont des démons créés par l'Energie Maléfique des émotions négatives. A chaque fois qu'une Personne, en de rares cas un Animal, émet ces émotions : Haine, Colère, Souffrance, Terreur, et j'en passe, un Hiisi est créé. Et les Hiisi d'un Chante-Mage sont parmi les plus Puissants des Mille."

Il en fallait de la patience pour changer la façon de penser d'un dragon multicentenaire.
"Donc, pour créer son contraire, il faut éprouver des émotions positifs telles que la joie et le partage ou l'empathie, n'est-ce pas ? Peut-être devrions-nous retenter de chante-parler."

Mais le dragon ne semblait toujours pas convaincu. Il secouait la tête avec les naseaux palpitant sous l'effet de sa profonde concentration. "Non... Non, je n'ai perçu jamais l'action d'un Mot Bénéfique, alors que les Hiisi pullulent. Il nous manque quelque chose."

Fotafilis commençait à se demander si Viholvärakuuna n'y mettait pas de la mauvaise volonté.
"As-tu déjà réellement essayé d'appeler ces Mots Bénéfiques ? Les Hiisis te semblent sans doute naturels car tu les appelles depuis si longtemps que tu ne te rappelles pas combien ils étaient insaisissables au début ? Comment était-ce la première fois que tu as appelé un Hiisi ?"

Viholvä se sentait légèrement vexé. A vrai dire, n'importe qui d'autre que Fotafilis, qui avait le statut d'Ami, aurait déjà subi sa colère. N'avait-il pas vu quand il avait essayé, et échoué, à chanteparler aux Mots Bénéfiques ?

Son humeur dégradée prit un nouveau coup à la prochaine question qui remuait une vieille blessure, ce que Fotafilis ne pouvait pas deviner. Le dragon trompeta quelques salves de vapeur avant de se décider à marmonner : "Je ne l'ai pas appelé, je l'ai généré."

"Je doute que ça ait été chose aisée. Si la Chante-magie était aussi facile, les Chantes-mages pulluleraient comme les Hiisis, n'est-ce pas ?"
Fotafilis n'était pas psychologue mais il espérait tout de même titiller l'envie de se démarquer du dragon rouge. Relever un défi apportait toujours quelques satisfactions.

A cette remarque, le dragon se rengorgea aussitôt en reniflant une vague de vapeur hautaine. "Evidemment ! C'est bien pour cette spécificité qui fait que les dragons forment les meilleurs, et le plus grand nombre des Chante-Mages." Il était bien heureux de ne pas avoir à révéler son Humiliation lorsqu'il avait appelé des Hiisi par sa propre Colère, sous les yeux de sa Mère.

Passer du pusillanime au bravache faisait tourner leur affaire en rond. Fotafilis voulait de tout cœur que son compagnon comprit que pour progresser, il lui fallait regarder ses faiblesses de front.
"Alors, il ne te manque que de la persévérance pour générer son contraire. Attèle-toi donc à la tâche."
Sans ambages, quoi qu'avec un minimum de tact, Fotafilis lâcha ces mots, le regard clair et droit.

Viholvä renâcla de mauvaise grâce. D'un côté, il souhaitait relever le Défi et montrer au dragon-fée ce qu'il valait comme Chante-Mage. D'un autre, il se sentait toujours aussi Perdu quant à ce type de chantesort.

Mais Fotafilis l'avait invité à la Persévérance et le dragon se redressa pour chantemager tel qu'il lui avait été demandé.

"Ma Voix chante les Mots du Bon
Qui dans le Ciel voltent la Joie
De Tendr'Amour versent la Terre
Qu'en Vol irisé vous Chantez !"

Une grimace succéda à son Chant. Il sentait qu'il n'avait pas la Connaissance des Mots prononcés. Il se tourna donc vers Fotafilis avec une mine contrite.

Est-ce que Viholvärakuuna savait ce qu'était l'Amour pour l'inclure dans son chant ? Fotafilis en doutait fortement. Le marabout repensa à une théorie pour calmer les esprits.
"Il faut dédié la création de ce mot bénéfique à un but, sinon le Cœur n'y sera pas. Imagine que tu adresses ce chant directement à une version plus jeune de toi qui a besoin d'être réconforté. Dans tes moments de peine, qu'aimerais-tu entendre ?"

Les oreilles du dragon s'agitèrent d'embarras. Il voulait rétorquer qu'un jeune Lui n'avait pas besoin de Réconfort - quelle idée ! Et il désirait tout autant essayer de Comprendre ce qui lui échappait manifestement. Viholvä n'eut pas le temps de Choisir entre les deux options : comme en écho aux Paroles de Fotafilis, une Voix intangible s'éleva tout autour d'eux :

"Dragon au Chant de grand Pouvoir
Ta Voix est Forte et Entendue
Mais de ton Coeur, Clé est Perdue
Sache que s'Offrent les Oiseaux."

Une moue tordit le museau du dragon. "Si la Clé est Perdue, comment pourrais-je Réussir ?!" gémit-il de frustration.

De quelle clé parlais-tu ? se demanda Fotafilis. Le dragon blanc devinait bien que la clé était figurative.
"Une clé perdue peut être retrouvée. Et l'aide d'autrui peut y aider. Sinon, la compassion peut aider à vivre sans. Les choses Imparfaites sont tout ce qui existent dans le Vrai monde, non celui des Idées. Tu es Imparfait Viholvärakuuna et ta Valeur n'en est pas affectée. Tu as de la Valeur."
Ces paroles d'encouragement pouvaient-elles l'aider, ne serait-ce qu'un peu ?

"Je ne suis P..." Son hurlement outragé se bloqua dans sa gorge encombrée de fumée alors qu'il sentait les relents du mensonge lui courir sur la langue. Le dragon grondait sourdement, l'oeil enflammé, avant de rectifier hargneusement : "Si je suis Imparfait, c'est car je suis sur le Chemin de la Perfection. Et je ne laisserai pas cette Imperfection devenir ma Fatalité !"