Rappel du premier message :

Quelque part dans les monts Krokdor se trouve encore aujourd'hui une montagne rouge parsemée de neige. Cette montagne n'est pas n'importe quelle montagne, c'était alors la résidence principale d'un dragon, un grand et majestueux dragon rouge qui soufflait le feu et tonnait le grondement de la colère. Ce dragon fort menaçant avait un ami, aussi étrange cela fut-il. Il avait pour ami un dragon-fée blanc exilé de sa colonie, un prince banni. Ce dernier avait erré sur les terres désolées à la recherche d'un but ou d'une raison de vivre. Prêt à se laisser mourir de faim, le dragon rouge l'avait nourri et plus que cela, il lui avait redonné goût à la vie.

Je vous passe les détails mais les deux dragons se quittèrent bons amis. Le grand dragon rouge était retourné chez lui, dans sa montagne et le petit dragon blanc avait emménagé à la citée légendaire des elfes pour apprendre à soigner. Le temps passa, le dragonnet blanc apprenait vite et repensait souvent à son ami en se demandant ce qu'il devenait. Ainsi, Fotafilis, c'était le nom du dragon-fée, entreprit un long voyage de la citée des elfes à la Montagne Rouge.

Fotafilis se détourna.
"La vengeance est une épée à double-lame qui se retourne contre son porteur… En humiliant en retour, tu encourages le cycle vicieux de la haine et un autre dragon te tuera ensuite. Tu ne pourras pas éternellement rester le plus fort. Si tu te perds en chemin, je ne te considérerais que comme un Hiisi de plus. Un Ennemi."
Ses mots percuteraient-ils le cœur glacé du dragon au rictus mauvais ?

Voir Fotafilis se retirer de sa présence lui fit quelque chose au coeur. Pas à son Coeur de Feu, mais à ce qu'il cachait dessous, et sous toute la carapace de son Arrogance ; son air mauvais se délia en une grimace dont il ne connaissait pas le sentiment. "Je ne suis pas dans la Bonté, Fotafilis, mais dans l'Equilibre. Ce qui est dû sera dû. Mais je ne sombrerai pas, si c'est cela qui t'inquiètes."

Fotafilis plissa les yeux, se sentant légèrement insulté sur son intelligence.
"Si tu rétablissais l'équilibre par devoir, ton sourire ne serait pas aussi mauvais. Je te soupçonne de confondre équilibre avec despotisme."
Il laissait le bénéfice du doute à son compagnon mais c'était très inquiétant qu'il n'ait lui-même pas conscience de confondre devoir avec égoïsme.
"Qui définit l'Equilibre du monde ?"

Il était étrangement calme, malgré la condamnation de Fotafilis, ce qui l'étonna au plus grand point. Viholvä soupçonnait que la Bonté qui imprégnait cet endroit apaisait son Indignation. "Je ne parlais pas de l'Equilibre du Monde." Il renifla un air de vapeur, un peu amusé à cette idée. "C'est le travail du Miroir de Guldin." Et c'était si ennuyeux... mais il se doutait que le dire à ce Moment précis ne ferait que conforter son Ami dans l'idée de sa Malveillance. "L'Equilibre dont je parle est la Balance de ce qui est donné et ce qui est dû en retour. Pour la Bonté, comme pour la Malveillance. Oeil pour oeil, croc pour croc."

La loi du Talion, c'est en effet bien loin de la bonté !
Fotafilis n'était plus une créature du bon, du moins il ne s'en sentait plus digne mais son échine se hérissa en comprenant la nature de la moral absente de Vilhovärakuuna.
"Quelle est la différence avec l'Égoïsme ?"
Le dragon-fée était curieux de la connaître, vraiment.

"L'Egoïsme ne sert que les Intérêts du Coeur qui le porte." répondit sèchement Viholvä. "Pourquoi me questionnes-tu ainsi ? A rendre la Pareil au Don, ne suis-je donc qu'Egoïste ?" La Blessure avait frappé en plein dans la Mollesse de son Coeur. "Quand j'ai trouvé une Forêt maudite par le sang de milliers, qu'ai-je gagné à rétablir son Equilibre, si ce n'est que des mois d'un Blot ? Et ce Nom que tu m'as laissé Lier, ne l'ai-je pas rendu sans t'Asservir à mon Eternité ?" Il se redressa d'un pas raide, les oreilles basses ; la Glace lui mordait les entrailles. "Qu'importe... Il est habituel que Viholvärakuuna soit associé à la Déception."

Fotafilis songeait à l'absurdité de la situation. C'était un dragon-fée qui allait dire à un dragon d'ignorer les ordres de sa mère. Un dragon-fée sans colonie, qui a fuit les siens, d'où lui venait cette opiniâtreté ? À quel ordre obéissait-il ?
Je suis une erreur. Ma logique est défaillante."

Les oreilles du dragon se redressèrent et il posa un regard surpris sur Fotafilis. Un reniflement expulsa de la vapeur de ses naseaux. "Tu es Toi, et c'est bien suffisant. TU as participé à un blot et sauvé une Forêt maudite. TU as eu le Courage de choisir TON Destin. TU es le premier et seul Ami de Viholvärakuuna. Ce n'est pas une Erreur, ce n'est pas une Défaillance. C'est TON Identité, Fotafilis, et c'est ton bien le plus précieux." Après sa tirade, il haletait légèrement en de chaudes bouffées.

Le dragon-fée avait tant de choses à répondre au chante-mage mais un détail focalisa son attention :
"Viholvärakuun, est-ce que ton feu vient de se renforcer à l'instant ? Me parler pour me réconforter en serait la cause ?"
À la base, ils étaient là pour trouver un contre-poids aux Malédictions, les Hiisis mais s'ils pouvaient contrer la Malédiction du cœur de glace, ce serait encor mieux.

Le dragon cligna des yeux, une fois, puis deux, et trois pour faire bonne mesure, et cacher le fait qu'il était à court de mots. Fotafilis avait-il raison ? Viholvä étudia l'Emotion qui alimentait son Feu et fut tellement saisi qu'il trébucha de quelques pas ; ce Feu-là n'avait rien de Mauvais, ni de Vengeur, aucune Hargne, nulle Malédiction. Il ne voulait pas Détruire un Ennemi ou Ravager par sa Colère. Que voulait-il ? Il ne connaissait pas cette Emotion. "Peut-être est-ce le cas..." finit-il par avouer.

"Qu'as-tu ressenti à cet instant ? J'ai remarqué que tu appuyais particulièrement le pronom de la deuxième personne du singulier."
Parler d'identité y avait-il contribué ? Ou était-ce l'Emotion dans sa voix ?

"Je me suis Agité contre les Ennemis qui pourraient te Calomnier ainsi." Le dragon s'arrêta soudainement en dardant la langue d'un air dégoûté ; le fiel du Mensonge y attardait son Goût. Qu'était-ce cette Folie ? Les naseaux frémissants, un peu perdu, Viholvä étudia plus attentivement ce Feu qui flambait dans son Coeur. "Non... je m'Aveugle, ce n'est pas de la Colère... Mais qu'est-ce alors ?" Ses oreilles s'agitaient d'Incompréhension. "Je voulais... je voulais que tu cesses de te rabaisser, Fotafilis... Est-ce cela, le Réconfort ?"

Fotafilis allait répondre qu'il n'avait aucun ennemi dont la calomnie le blesse mais le pouvoir du chante-mage s'en chargea à sa place.
"Oui, c'est en effet du réconfort. Tu as pensé à ton prochain et tu as cherché à le réconforter."
Pourquoi donc ? D'où vient ce besoin de réconforter autrui ? D'où vient la compassion, l'empathie chez une espèce dénuée de sentiments de groupe ? Fotafilis se garderait d'y apporter une réponse.

"Mon prochain ?" Viholvä darda de la langue, les naseaux grimaçants. "Tu me prêtes trop d'intérêt pour autrui. Je n'ai pensé qu'à mon Ami." Le dragon-fée verrait peut-être son aveu d'honnêteté pour de l'Egocentrisme - cela en était certainement - mais à l'échelle des Dragons, le concept d'Amitié était déjà... étrange, incongru, peut-être même inconvenant.

"Autrefois, je ne pensais qu'à mon amie uniquement mais maintenant elle n'est plus. J'ai finalement réalisé que le monde ne se limite pas à ces quelques fils éparses, bien plus encore sont à portée d'ailes. C'est pourquoi j'ai décidé de procurer mes dons à tout le monde, sans distinction."
Peut-être Viholvä réalisera cela mais pas ce jour-là.
"Qu'importe, nous pouvons nous contenter de ce sentiment pour trouver un Hiisi bénéfique. Essaye de me viser avec de la chante-magie."

"Je suis un dragon." maugréa Viholvä avec une moue tordant son museau. "Pour ceux de mon espèce, mon Coeur contient déjà trop de Tendresse, et confine à la Honte." C'était sans doute-là la plus grande des barrières qui l'empêchaient de saisir le concept des Mots Bénéfiques.

Fotafilis n'avait jamais vraiment ressenti de honte, plutôt de désorientation et de déception de lui-même.
"La Honte n'a pas sa place dans un Cœur Juste. Le meilleur remède à la Honte est l'Humilité, une Simplicité sans aucune Prétention. Une Honnêteté à tout épreuve. "Je suis ce que je suis. Qu'importe ce que vous pouvez dire de moi, j'existe tel que je suis et je n'en ressens aucune honte car tel est mon destin." Être, en toute simplicité, accepter son Impuissance."

Une grimace tordit le museau du dragon, mais il écouta attentivement la suite, avant qu'un Mot Honnis n'arrive dans le discours de Fotafilis. Il se tendit lorsque la Vague d'une Vieille Rage le bouleversa du bout de la queue à ses oreilles agitées. Viholvä retint pourtant les flammes du Volcan que son Ami avait malencontreusement réveillé ; il ne savait pas, et ne pouvait pas savoir, à quels Echos il s'associait. Le dragon chassa les Voix des Hiisi qui voudraient prétendre le contraire. "Viholvärakuuna n'a rien de l'Impuissance." grinça-t-il entre ses crocs serrés, les griffes enfoncées dans le sol. Les Mots lui manquaient pour s'expliquer.

Vraiment ?
"À t'entendre, on dirait que c'est mal."
Tout être vivant devient impuissant à un moment de sa vie, prétendre le contraire serait... être dans l'erreur.

Le dragon ferma les yeux pour se Concentrer sur son Moi Intérieur qui menaçait de chavirer dans le raz-de-marée provenant de ses Souvenirs. Ses frères et sa soeur. Pire encore, sa mère, qu'il aurait aimé ne jamais avoir déçu. "Accepter son Impuissance, c'est accepter d'être broyé par le Destin. Un Chante-Mage ne peut être soumis à l'Impuissance. Il hurle un Chant de Pouvoir et surmonte toutes ses Faiblesses, ou il meurt comme un Rien, et ne méritera que l'Oubli."

Et s'il récitait une vieille leçon... et bien, cela ne regardait que lui.

"Ce n'est pas que l'Impuissance que de s'en remettre à l'Ääni." renifla le dragon. "C'en est que d'accepter qu'il n'y ait aucune Solution à un Problème donné et d'arrêter de ce fait de la chercher."

Fotafilis désespérait de ne pas maîtriser davantage la rhétorique. Les Mots étaient un moyen si inefficace et si imparfait.
"C'est là justement tout le paradoxe de l'humilité. Une fois l'impuissance acceptée, elle n'a plus aucun pouvoir sur l'Ego. Il ne s'agit que de s'en remettre à l'Ääni. Je pense qu'avec cet outil que tu seras seul dragon Chante-Mage à avoir, tu deviendras le plus Puissant et le plus Sage."

La queue s'agita un moment, songeuse, à l'instar des oreilles du dragon perdu dans ses pensées. "Peut-être..." concéda-t-il au bout de sa longue réflexion. "Je vais y songer plus longuement." Le processus pourrait prendre des années à aboutir mais Fotafilis avait planté une graine dans son esprit.

Ils étaient venus ici pour appeler des Mots bénéfiques en employant les bons mots et le cœur maudit du dragon s'était réchauffé quand il avait voulu le réconforter. Ils devaient essayer encore, ils ne pouvaient pas abandonner si vite, l'Ääni ne les avait pas menés ici pour si peu. Le dragon-fée laissa donc un peu de temps à son ami pour réorganiser ses pensées. Il décida donc d'observer de plus la faune de cette étrange terre de bonté.