Comme souvent l'orc s'était retrouvé dans une taverne à la suite d'un contrat, le vin y avait coulé à flot, et les aventuriers raconté leurs exploits en les exagérant souvent. Certains, aisdés par la boisson, partagèrent aussi leurs bons plans.

C'est comme ça que le lendemain Asbjorn se retrouva à attendre d'être reçu pour un entretient d'embauche où il n'avait clairement pas le profil type... On lui avait dit que le salaire valait autant le détour que l'employeuse...

Le lieu était à l'image que voulait se donner sa cliente : un salon de thé où se retrouvait le gratin de la noblesse. Certainement, l'orc attirait le regard. Contraste renforcé quand sans prévenir, une demoiselle parée de riches étoffes et de fins bijoux vint s'assoir à sa table. Peau pâle et cheveux de jais, chaque détail mettait en valeur ses yeux et ses lèvres rouges.

Pardonnez mon retard... mais une dame doit savoir se faire attendre, n'est-ce pas ?

Haussement d'épaule, l'orc se moque bien de la ponctualité tant que cela n'engendre pas pertes en nature... Et en parlant de nature, la demoiselle qui vient de s'asseoir à ses côtés a été gâtée par cette dernière. Elle le sait sans doute et le prononce par son maquillage.

"En effet, il parait que cela fait parti de leurs privilèges."

Les lèvres rouges s'arquèrent en un sourire plaisant.

Je me garde d'en abuser.

Ecartant une mèche noire, la jeune femme révéla ses origines, sous la forme d'une oreille effilée partiellement masquée par sa chevelure.

Il serait de bon ton de nous présenter, je pense, Monsieur... ?

"Asbjorn, juste Asbjorn."

Simple, efficace. Peut être qu'il devrait se vanter de ses exploits de la même manière qu'il le faisait la veille. Seulement aujourd'hui cela lui semblait moins opportun que la veille d'avoir assommé trois trolls alors qu'il était saoul.

Le sourire devint rire.

Enchantée, juste Asbjörn. Elle tendit une main souple au dessus de la table. Je suis Sibèle. Juste Sibèle.

Sa bonne humeur devint une petite moue qui pinça ses lèvres.

Ne vous moquez pas, je n'ai pas choisi mon nom.

Il y avait là un jeu de mot à saisir, mais il ne le fut pas par notre orc. Il tendit sa grosse patte et serra la frêle main de l'inconnue. Elle avait la peau douce. Les cals meurtrissaient ses phalanges à lui.

"Donc, Sibèle, en quoi consiste votre travail ?"

Le geste de l'orc parut surprendre la jeune femme, qui retira la main avec prudence. Elle le regarda néanmoins avec franchise.

Nous pouvons nous passer des familiarités, si vous... si tu le veux bien.

Elle appuya sa joue sur sa main repliée. Fine et soigneusement manucurée, cette posture en paraissait presque espiègle, inattendue, peut-être. Son sourire s'affina, alors que ses yeux paraissaient jauger son interlocuteur.

Le travail est simple : j'ai besoin d'une escorte.

Ok, on oubliait les civilités. Tant mieux, parce que franchement ça épuisait souvent l'orc à la longue de devoir se souvenir d'où fallait mettre les accords et les signes de politesse.

"Une escorte pour aller de où à où ?"

Les tarifs en vigueurs n'étaient pas les mêmes s'il fallait l'accompagner au marché ou prendre le thé avec un dragon.

D'ici... à là-bas.

L'elfe accompagna ses propos d'un geste vague de la main, mais nuança sa plaisanterie d'un sourire.

Disons simplement qu'il est délicat pour une femme de se déplacer d'une ville à une autre lorsqu'elle est seule. C'est une... sécurité.

Effectivement on ne lui avait pas menti, si il pouvait être payé pour l'escorter sur quelques mètres, c'était tout bénef ! Ah, non, en fait c'était une blague. Il ne lui fit pas l'outrage de ne pas y sourire, mais mis une poignée de secondes à le faire, le temps de la comprendre.

"Je comprends, c'est plus prudent vous avez raison, donc on partirait d'ici pour aller... Ailleurs ? Vous pensez rémunérer comment, à la mission ? Au jour ?"

En nature ? Non, ça il ne le dirait pas.

Bien sûr. Tu seras payé au temps de voyage. En temps et en heures. Au jour le jour si tu le souhaites.

Levant légèrement les yeux, elle mit ses doigts devant sa bouche.

Je parle trop vite. Elle gloussa.

Il pourra y avoir des extras, selon la manière dont tu gères les imprévus.

Des extras ? Il ne put cacher son intérêt, et cela même s'il l'avait voulu. D'ailleurs il voulut demander de quelle nature serait ces extras, mais il se souvint in-extrémis qu'il pouvait être grossier de le faire. l'expérience lui avait appris que ce n'était pas séduisant de demander à une femme si elle lui faisait des avances, bien souvent ce ne sera pas le cas et il passerait juste pour un goujat. Sauf si la femme en question était une prostituée, et Sibèle n'en avait pas les attributs. Ou alors s'en était une de grand luxe ? Il n'en avait jamais fréquenté, il n'était pas certain.

"Quand partons-nous ?"

Avant la nuit.

Tournant la tête, l'elfe avisa la couleur du ciel à l'extérieur du salon.

Maintenant, ce serait bien. Elle regarda à nouveau l'orc, avec un sourire ambigu. A moins que tu ne veuilles profiter de ma générosité pour prendre le thé.

Est-ce que prendre le thé était un nom de code communément admis pour la bagatelle ? Il n'arrivait plus à s'en souvenir. Dans tous les cas en regardant par le fenêtre il se dit que s'ils devaient voyager, il valait mieux le faire de jour. Ce n'était sans doute pas toujours vrai, mais il voyait mal la femme qui lui faisait face essayer de percer des lignes ennemies.

"D'accord, juste un dernier détail, à combien estimes-tu le prix de ce premier voyage ?"

Ok, oui il avait eu l'idée qu'elle vende ses charmes il y a peu, cela avait peut-être influencé sa question.

Premier ? Elle parut réfléchir à cette possibilité. Pourquoi pas, si je suis satisfaite de tes services... Si je le peux, je pourrais à nouveau faire appel à toi.

Avait-elle oublié l'intérêt principal de la question ? Absolument.

En fait à la réflexion, c'était peut-être lui la pute dans cette histoire. Cela ne le dérangeait pas vraiment quand il parcourait l'elfe du regard. Cependant, il n'était pas tout à fait sot, et s'être fait arnaquer une paire de fois lui avait appris que s'il ne voulait pas cogner sur son employeur pour être payé, il fallait bien négocier ses tarifs avant. Remarque cela ne suffisait pas toujours.

"Et en pièces ça ferait combien ?"

Cela fera...

La somme était tout à fait satisfaisante, sinon conséquente, pour un voyage de quelques jours. L'elfe avait répondu sans ciller, comme si débourser autant ne signifiait rien.

C'est le prix de ma sécurité. Cela te convient-il, Absjörn ?

Elle essayait de l'embrouiller et y réussissait sans mal avec ses minauderies et ses jeux de mains. Cette femme n'en était pas à son coup d'essais à n'en pas douter, parce qu'il avait oublié sa question bien rapidement.

"D'accord, allons-y !"

Comme tout aventurier fauché digne de ce nom, il ne possédait plus que ce qu'il portait actuellement sur lui et dans un volumineux sac posé au pied de sa chaise.

Affichant un sourire satisfait devant ces négociations rapidement conclues, la jeune femme suivit l'exemple de l'aventurier. Elle se rendit au comptoir, demandant qu'on lui descende ses bagages. Ce qui fut fait rapidement, et l'orc put constater qu'elle n'était pas vraiment plus chargée que lui.

Je voyage léger. Le ton ressemblait presque à une excuse sous son léger sourire. Veux-tu porter mes bagages ?

Le 'veux-tu' était, il le savait, la manière polie des employeurs de dire 'porte mes bagages si tu veux que je te paie.' et cela ne le dérangeait pas le moins du monde. Il récupéra ses affaires et les ajustas sur son sac à l'aide de sangles pour que cela reste pratique à porter et ne pas se retrouver empêtré dans tout un fatras quand on devait se défendre.

"Bien donc, voilà, je te suis."

Ce détail fut observé d'un œil expert mais rapidement réglé par l'orc. L'elfe ne semblait pas regretter d'avoir fait appel à un mercenaire, aussi préjudiciable que son apparence puisse être pour sa bonne réputation. Les regards suivirent le duo alors qu'elle précédait l'orc hors de la bâtisse, mais elle semblait s'en ficher éperdument. Nulle monture ni attelage, ils atteignirent vite l'orée de la ville à pied. Et l'elfe affichait un grand sourire.

C'est rafraîchissant.

Elle n'avait pas l'air bien apprêtée pour la route et nul attelage ne semblait les attendre. Ce n'était pas la première fois qu'il suivait les idées farfelues d'un client bon payeur. De toute manière si le besoin s'en faisait sentir il la porterait, elle n'avait pas l'air bien épaisse.

"Vous verrez cette nuit, ça le sera encore plus. Vous avez ce qu'il faut dans vos bagages ?"

Peut-être n'avait-elle pas prévu de passer la nuit à la belle étoile mais de se rendre dans une auberge ?

Bien évidemment.

La demoiselle fit à nouveau entendre son rire. Et à nouveau, elle parla vite. Très vite. Je parlais de ce voyage. De marcher. De faire ce voyage en marchant. Avec toi.

"Ah."

Et là elle lui fait du rentre dedans ? finalement c'est bien plus facile de comprendre les femmes qu'il paie plutôt que celles qui le paient. Du coup il se met à marcher un peu au hasard suivant le chemin. Puis au bout d'une paire de minutes il s'arrête, il vient de se rendre compte d'un truc, maintenant qu'ils ont quitté la ville il n'a plus aucune idée de la direction à prendre.

"On va où ?"