Rappel du premier message :



Le sort de téléportation fut rapide et efficace -cette fois-. A peine le sorcier avait-il quitté l’orc qui l’avait secouru -il préférait ne pas y repenser- qu’il se retrouvait devant la bicoque de son homologue humain. Il était frais, bien habillé, propre, maquillé et surtout -surtout-, comparé à sa dernière visite, il venait demander des comptes et pas de l’aide ! C’était aussi une occasion parfaite de rendre visite à Navi pour se distraire évidemment, mais aussi prendre des nouvelles, bien qu’il ne l’admettrait jamais.

Il toqua quelques coups contre le bois de la porte. Il attendit un peu et la porte s’ouvrit sur ce bel homme qui était surpris de le voir là. Arior passait rarement sans s’annoncer. Le prendre au dépourvus était délicieux, car ça ne laissait pas le temps à Navi de s’apprêter comme s’il allait au bal.

Un sourire en coin, le sorcier laissa tomber aux pieds du mage un long morceau de la plante morte - qu’il avait prit le temps de ramasser exactement dans l’optique de s’en servir pour cet effet de style- dans “splaf” mou qui n’avait rien d’élégant.

- Navi, mon ami ! Pardonne mon passage à l’improviste, mais je te ramène cette chose. Elle doit t’appartenir. Malheureusement, je l’ai un peu abimé. Tu m’en excusera.

Il n’avait absolument pas l’air désolé..

Arior soupira et trouva un siège où se percher. Il croisa les jambes et posa son regard sur Navi.

- Une heure… qu’est ce qu’on fait pendant ce temps ? Un jeu ?

Ben quoi ? Quitte à s’occuper… autant faire quelque chose d’amusant. Quelque chose où il pourrait battre Navi si possible.

La proposition fit rire Navi. "Un jeu," répéta-t-il comme si c'était quelque chose de très amusant. Gamin.

Il passa sa queue de cheval au-dessus de son épaule et s'étira. Non. Je vais prendre un bain et tenter de réparer les dégâts que tu as causé. Va plutôt ensorceler les balais et les serpillères si tu veux pas continuer de nettoyer à la main.

Le sorcier leva les mains paume ouvertes, en signe de paix et de reddition.

- Très bien, je m'occupe du reste du nettoyage. Vas prendre ton bain. Je suis sûr que tu as plein de trucs miraculeux pour... enfin bref. A tout à l'heure.

Il n'avait pas voulu mentionner de nouveau "les dégâts" ça risquait de faire grincer des dents Navi. Il remonta au rez-de-chaussée et s'appliqua à mettre toutes les objets inanimés au travail pour faire place nette.

Il avait plissé les yeux, mais Arior avait été assez intelligent pour ne pas s'attarder plus que ça sur le sujet sensible. Même un bain — bien que relaxant — n'était finalement pas suffisant pour le faire oublier l'état de ses cheveux. Heureusement il était un mage appliqué aux sujets des apparences. Un petit mélange de teinture et le tour était joué. Rien de très grave, au final... mais... l'idée que ça aurait pu être pire... Erf, ça lui donnait la nausée !

Une petite heure plus tard, Navi rejoignit Arior qui semblait de son côté également avoir fini le nettoyage. Tout commençait à se rétablir ; il ne manquait plus que le déconfinement.

Une heure, c’était long, quand il n’y avait rien à faire. Les balais, torchons et autres serpillères avaient été ensorcelées et avaient fait correctement leur travail. Plus un bout de verre ne traînait sur le sol et presque toutes les tâches avaient disparu. Ari avait bien envie d’un thé mais il avait trop peur de tomber sur quelque chose d'inattendu en guise d’infusion. Il s’était donc seulement servi un verre d’eau. Puis il avait pris un livre et s’était instruit jusqu'à ce que Navi réapparaisse. Ari leva la tête de son bouquin.

- La potion devrait être prête, non ?

Autant éviter de demander s’il avait réussi à ravoir ses cheveux.

Oui, elle devrait. On la teste ? demanda Navi, la tête légèrement inclinée. Arior avait l'air bien à l'aise soudainement. C'était peut-être qu'une impression, mais il ne s'était dans tous les cas pas gêné de se servir. Ou tu peux rester, hein. Visiblement tu te sens déjà bien chez toi. Il descendit quand même vers la cave pour récupérer la quatrième version de sa potion. Il se doutait que Arior avait envie de passer une éternité enfermé dans sa maison ; et Navi n'avait certainement pas envie de l'accueillir si longtemps !

Arior haussa un sourcil mais n’eut pas le temps de répondre que Navi était déjà en bas. Et bien, quoi ? Il soupira et l’interpella lorsqu’il remonta.

- J’avais une heure à tuer pendant que tu étais dans ton bain. Je n’allais pas juste… attendre. Si ? Ne me dit pas que tu es vexé parce que je t’ai pris un peu d’eau et emprunté un livre !

D’ailleurs, son estomac gronda légèrement, rappelant que ça faisait un moment qu’il n’avait pas mangé et que l’eau, c’était bien, mais ça ne remplissait pas la panse.

Je te taquine. Si ça marche, je t'offrirai même quelque chose pour la route.

Et il avait refait les calculs donc il n'y avait pas de raison pour que ça ne fonctionne pas. Chose dites, chose faite : il décapsula sa potion et la versa, comme les autres, au pied de la porte. Le même genre de fumée qui avait débuté le confinement apparut et se dispersa en quelques secondes à travers toutes les issues de la maison. Navi n'avait qu'à donner un léger coup à la porte pour qu'elle s'ouvrit. Il afficha un sourire satisfait en se tournant vers Arior.

Le sorcier poussa un soupir de soulagement. Un gros soupir. Bon sang, enfin libre ! Et il ne deviendrait pas une immonde chose poilue ! La vie était vraiment belle, n’est ce pas ?

- Parfait ! Fiou ! Nous voilà enfin libre de nous séparer pour les, disons… au moins 18 prochains mois ! déclara t-il.

Comme si le temps qu’il venait de passer avec Navi était bien suffisant pour couvrir une aussi longue période. Alors qu’il savait pertinemment qu’il reviendrait avant. Parce qu’en définitive, il venait assez souvent voir Navi.

Mh-hmm...

S'il ne semblait pas convaincu des propos d'Arior c'est parce qu'il avait tendance à montrer l'inverse de ce qu'il disait. Aujourd'hui, par exemple, Navi ne l'avait pas invité — Arior s'était incrusté, comme d'habitude, sans lui demander son avis.

Attends, avant de s'éclipser comme un voleur dans la nuit... Laisse-moi te donner un casse-croûte. J'ai entendu ton ventre.

Il se déplaça vers la cuisine.

- Tu essaies de me faire grossir, avoue.

Arior le taquinait. Mais il appréciait le geste. Il n’aurait pas demandé à Navi, mais là c’était lui qui le proposait après que son traître d’estomac vide se soit fait entendre alors… Il n’allait pas craché sur ce qu’on lui offrait.

Si tu veux gagner en musculature il faut bien manger un peu. Tu es une asperge.

C'est un talent dont on ne parlait pas souvent, mais Navi était un excellent cuisinier. L'amour pour les mélange d'ingrédients ne se limitait pas seulement aux potions. Son intérêt pour la cuisine avait peut-être commencé sous l'ombre négatif de son enfance, obligé à faire les repas pour Magoras, mais il avait commencé à apprécier au fil des années.

Tu veux quoi ? Tu as une préférence ?

Ari n’était pas difficile en termes de nourriture. Tant que ça avait bon goût, évidemment. C’était bien l’une des rares choses sur lesquelles il n’était pas tatillon, d’ailleurs. Mais en mission, dans des donjons ou autres explorations, il avait souvent dû se contenter de peu. Voir manger des choses qui ferait vomir Navi rien qu’à les voir.

- Non, fais moi la surprise.

Lui dit-il avec un sourire, comme un défi de lui offrir quelque chose de vraiment bon.

Carte blanche. Tant mieux. Il allait pouvoir y mélanger sa potion de vengeance en masquant parfaitement le goût. Navi s'activa, préparant un repas succulent pour Ari, qu'il emballa dans du beau papier avant de lui tendre le paquet.

Mange pas tout d'un coup.

Ari attrapa son repas. Et ça sentait vraiment très bon. Il fit un clin d’oeil à Navi en s’éloignant vers la porte.

- Non, je vais prendre le temps de déguster ! Allez, j’ai déjà passé trop de temps ici ! A bientôt, Navi !

Un petit geste de la main et il traversait enfin cette porte. Il respira à plein poumons à l’extérieur, puis s’avança sur le chemin. Il croqua dans son casse-croute et c’était délicieux. Un léger sourire aux lèvres, il se dit que Navi avait été sympa. Puis, il se dit que Navi avait été sympa. Il s’immobilisa alors qu’il arrivait au bout du chemin. Pris d’une panique soudaine, il se retourna vers la maison.

Navi avait déjà fermé la porte. Pas besoin d'attendre l'effet pour s'extasier devant sa réussite. Il savait qu'Arior allait manger ce qu'il lui avait offert et il savait quel en serait l'effet ; le voir sous les yeux ne serait qu'un bonus.

Qu’avait pu faire Navi ? Arior laissa tomber le met comme s’il lui brûlait les doigts. Qu'avait-il fait ?! Furieux, il fronça les sourcils. D’un pas décidé -et énervé- il rebroussa chemin et fonça vers la maison. La porte était fermée mais il cria pour qu’il l’entende à travers le bois.

- NAVI QU’EST CE QUE TU AS - Crooâ !

Avant qu’il puisse finir sa phrase, s’en était fini d’Arior. Fini du terrible sorcier. Fini du bel elfe noir. Là, perdu dans les drapés des vêtements tombés au sol, se tenait un minuscule batracien.

Même lui n'aurait pas pensé que son retour serait si rapide. L'estomac d'Arior avait grondé plus fort que prévu (ou peut-être l'odeur de sa nourriture avait présenté une trop grande tentation). Quoiqu'il en soit, quand Navi rouvrit la porte, il fut confronté au délicieux effet de sa potion. C'est avec un sourire aux lèvres qu'il se mit accroupi devant la petite grenouille noir aux tâches bleues, son visage encadré par ses mains.

Tu ne pensais quand même pas que ton crime allait rester sans conséquences, si ? Pauvre petit con

La petite grenouille batailla contre les tissus lourds pour sortir sa tête et faire face à Navi. Qui se moquait de lui. Il allait le tuer. Il allait sérieusement le tuer. Un jour. Quand il serait redevenu un foutu elfe !

- Croa-croa-croooooaaa !

Il insultait Navi. Même si ce salaud ne pouvait pas comprendre. Alors il sauta dans sa direction. Puis il lui sauta sur la main. Et commença à lui donner des coups de langues ! Avec un peu de chance, il était venimeux !

Non mais l'imbécile pensait vraiment que lui lécher la main allait faire quelque chose ? Ça marchait peut-être avec ses beaux paladins, mais Navi trouvait ça juste dégueulasse. (Dans ce sens-là, ça marchait peut-être...) Il se redressa, grenouille à la main, et l'emporta à l'intérieur.

Qu'allons nous faire de toi maintenant, hmm ? On te trouve un beau petit terrarium ? souffla-t-il en le regardant avec des faux yeux doux.

Arior savait certainement qu'il serait capable de l'y garder enfermé pendant plus d'un siècle vu le sort de Magoras.

Un quoi ?! Oh non. Non, non et non ! Sûrement pas ! Être l’animal de compagnie de Navi jusqu’à la fin de ses jours ? JAMAIS ! Il était peut-être une grenouille, mais il était aussi un grand sorcier ! Changé ou pas, il devait pouvoir avoir accès à sa magie ! Alors il fouilla, chercha, en lui, ce sentiment particulier, ces sensations, ces picotements… et les dessins bleus de son dos s’illuminèrent alors qu’il hurlait par télépathie dans la tête de Navi.

- NAVI !!! RE-TRANSFORME MOI TOUT DE SUITE !

Oh ? Plus malin qu'il en avait l'air, l'Ari. Les princes qui avaient souffert le même sort à la demande d'une partie concernée n'avaient pas été aussi chanceux.

Tout de suite ? répondit-il à voix haute. Certainement pas. Je suis dans tous les cas incapables de te redonner ta forme elfique. Mais un mage accompli, comme tu l'es, aura sans doute aucun problème à trouver la solution par lui-même.

Il déposa la grenouille sur sa table basse et s'installa sur son canapé les jambes croisées.

Et il essaya. Fort. Vraiment. L’air se flouta autour de lui, crépita, se brouilla et… il ne se passa rien. Parce qu’il était une minuscule grenouille. Et qu’il manquait de puissance.

- JE TE HAIS !

C’était un fait. Une conclusion.

- Fais quelque chose ! Je t'interdis de me laisser comme ça !

Il soupira, mais se leva quand même avec ce sourire désolé qui annonçait rien de bon. Très bien. Ne bouge pas. Navi disparut dans sa chambre et revint quelques instants plus tard avec quelque chose en main. C'était trop petit pour voir de quoi il s'agissait de loin, mais quand il déposa l'objet sur la tête de la grenouille, tout devint assez clair : une petite couronne en argent.

Le faciès d’une grenouille n’a rien de mobile ou d’expressif. Pourtant, c’est vraiment un air blasé qui s’afficha sur la tête de la grenouille.

- C’est une blague ? Ça n'a vraiment rien de drôle !

Non, vraiment rien. Youpi, il était une grenouille avec une FOUTUE COURONNE ! ça lui faisait une belle jambe !