Rappel du premier message :



Le sort de téléportation fut rapide et efficace -cette fois-. A peine le sorcier avait-il quitté l’orc qui l’avait secouru -il préférait ne pas y repenser- qu’il se retrouvait devant la bicoque de son homologue humain. Il était frais, bien habillé, propre, maquillé et surtout -surtout-, comparé à sa dernière visite, il venait demander des comptes et pas de l’aide ! C’était aussi une occasion parfaite de rendre visite à Navi pour se distraire évidemment, mais aussi prendre des nouvelles, bien qu’il ne l’admettrait jamais.

Il toqua quelques coups contre le bois de la porte. Il attendit un peu et la porte s’ouvrit sur ce bel homme qui était surpris de le voir là. Arior passait rarement sans s’annoncer. Le prendre au dépourvus était délicieux, car ça ne laissait pas le temps à Navi de s’apprêter comme s’il allait au bal.

Un sourire en coin, le sorcier laissa tomber aux pieds du mage un long morceau de la plante morte - qu’il avait prit le temps de ramasser exactement dans l’optique de s’en servir pour cet effet de style- dans “splaf” mou qui n’avait rien d’élégant.

- Navi, mon ami ! Pardonne mon passage à l’improviste, mais je te ramène cette chose. Elle doit t’appartenir. Malheureusement, je l’ai un peu abimé. Tu m’en excusera.

Il n’avait absolument pas l’air désolé..

Grosse erreur. On ne peut pas dire à Navi qu'il ne ressemble à rien. Évidemment qu'il ira voir dans le premier miroir sur lequel tombe son regard — et rappelez-vous : il y en a un peu partout. Le mage, l'ex-magnifique, tourna la tête en presque-slowmotion et resta bloqué sur son reflet.

Son reflet ?

Le sien ?

Son cœur monta dans sa gorge et son souffle coupa.

Loupé. La tentative valait le coup. Parce que l'immobilité de Navi n’avait rien de bon.

- Hum… Je vais t’arranger ça. Hein ? D’accord ? Ne panique pas, tout va bien, en un clin d’oeil tu seras de nouveau toi-même. Ah ah.

C’était fou cette capacité qu’ils avaient à inverser leurs rôles en un clin d’oeil…

Mais il était calme. Être calme ne signifiait rien, bien sûr. Contrairement à Arior, Navi était capable d'avaler sa colère et la canaliser pour sa vengeance. Arior pouvait compter là-dessus. Qu'il tremble dans son petit slip de sorcier. Sa revanche sera terrible(ment disproportionnée).

Bon, tu m'aides à nettoyer ? répondit-il tout simplement en rattachant ses cheveux.

Ouh, il n’aimait pas quand il était calme comme ça. Pas du tout. Et oui, il n’était pas rassuré !

- Bien sûr.

Répondit-il tout de même. Il avait l’impression de marcher sur des œufs. Et comme si Navi s’était transformé en un prédateur féroce et sauvage, il se déplaçait dans la pièce de façon à ne jamais tourner le dos. C’est donc à reculons qu’il alla chercher un seau d’eau et des torchons pour essuyer les dégâts.

Mille choses lui traversèrent l'esprit. La moitié d'entre eux concernait des boutades à propos du monstre qu'il était devenu, et l'autre moitié des différentes façons dont il pouvait détruire la vie d'Arior. Les images d'un Arior qui pleurait et qui le suppliait de le prendre pitié lui rendirent le sourire. Il avait tellement d'idées qu'il ne savait pas quoi choisir en premier.

Pour le moment il trouvait déjà très amusant de s'approcher d'Arior en faisant des mouvements totalement inattendus, juste pour le voir sursauter et reculer comme un petit animal qui se méfie de son prédateur.

Hoho ! Encore une idée qui venait de popper.

Le pire, c’est que ça marchait. Arior attendait tellement que le courroux de Navi s’abatte sur lui qu’il sursautait à chaque mouvement un peu brusque de ce dernier. Les choses durèrent un moment ainsi, jusqu'à ce qu’Arior baisse la garde en voyant qu’il ne lui arrivait rien. Une tache résistante refusait de s’effacer sous ses frottements et il baissa la tête pour se concentrer sur elle.

Arior. Il était tellement concentré qu'il n'avait même pas entendu qu'il l'appelait. Arior ! tenta-t-il, plus proche cette fois-ci. S'il devait se répéter encore une fois... il allait lui donner un bon coup de pied aux fesses.

Arior était en train de s’énerver tout seul sur sa tâche. Ok, il avait un peu abusé, un peu surréagit et en guise de revanche Navi s’était un peu amusé à ses dépends en lui faisant peur. Mais comme il s’était arrêté à ça -ouf-, le sorcier avait au moins à cœur de vraiment nettoyer ses dégâts. C’est pour ça qu’il ne l’entendit pas la première fois. Puis qu’il répondit un poil agressivement à la seconde interpellation.

- Quoi ?! Euh… je veux dire… oui ?

Il arqua un sourcil à sa réponse un poil trop violente à son goût, mais décida d'être généreux. Il était déjà satisfait de son futur plan de vengeance de toute façon. Sa victoire allait devenir plus juteuse en restant tout mielleux et gentil avec Arior.

Tu as faim ? demanda-t-il en feignant son innocence. J'ai des balais dans le placard que tu peux ensorceler pour le reste du nettoyage si tu veux prendre une petite pause.

Arior haussa les sourcils. Tant d’amabilité ne ressemblait pas à Navi. Pas du tout. Jamais. Proposer une pause et à manger alors qu’il venait de l’agresser et de pourrir sa maison ? Même Ari sentait le piège à plein nez.

- Non merci. Mais je veux bien t’aider à finir ce sort pour nous délivrer, si tu veux.

Après tout, c’était ça qu’ils faisaient à la base : essayer de contrecarrer ce foutus sort d’isolement !

Genre il allait lui faire confiance avec— hm, et bah pourquoi pas en fait ? Ce serait le test ultime. Inviter Arior dans l'antre interdit qu'était sa cave et lui faire confiance d'avoir appris sa leçon. Oui, oui. Selon son comportement, Navi pouvait ajuster la sévérité de sa punition pour l'atroce souffrance qu'avait causé Arior à sa beauté physique.

D'accord. Navi s'époussetta et invita Arior à se lever d'un geste de la main. Descendons.

Oh. Wahou. Depuis le temps. Depuis toutes ces années qu’ils se connaissaient, c’était bien la première fois qu’Arior avait le droit de descendre dans le laboratoire secret de Navi. Et ça, c’était un événement. Il demanda presque “Vraiment?” mais se retint de peur que Navi ne change d’avis. Il le suivit jusqu’au bas des escaliers pour découvrir la pièce si secrètement gardée par le mage.

Vu la largeur de sa cave, ce n'était plus vraiment une cave. Navi avait "hérité" une vaste caverne remplie de livres et de matériaux. Même lui n'était pas encore complètement au courant de tout ce qui se trouvait dans la cave de Magoras et le bonhomme — soigneusement enfermé dans son bocal — avait pas lâché un mot depuis plus d'un siècle. Têtu.

Navi guida Ari vers la section labo où se trouvaient ses projets en cours. Au centre de la table, les notes qu'il avait prises pour la création de sa potion de confinement.

Voilà les contre-sorts que j'ai déjà testé, expliqua-t-il en pointant une ligne sur le parchemin concerné.

Arior admirait les lieux. C’était inattendu. Grandiose. La face cachée de l’iceberg. Il y avait tellement de bordel matériel que c’en était étourdissant. Il avait envie de poser ses yeux -et ses mains- partout mais fut attiré par le parchemin que lui présentait le mage. Il déchiffra quelques lignes et regarda les contresorts, méditant un moment la recette.

- Hum… tu es sûr de tes calculs ? Le dosage me paraît étrange. Et du n’a pas mis de de pétale de croche-nuit ? ça pourrait faire la différence.

Il parlait en même temps qu’il réfléchissait. La recette lui paraissait incomplète ou bancale par rapport à celle de départ.

Mais non, réfléchis. Si tu ajoutes des pétales croche-nuit avec la dose de vers infernales qu'il y a déjà, ça fonctionnerait comme un neutralisant et la potion perdra son effet.

Mais..... Arior marquait peut-être un point pour les calculs. Navi plissa les yeux en reprenant les mathématiques depuis le début. Avait-il fait une erreur quelque part ? A lui de perdre conscience de son environnement ; il était tellement concentré à refaire ses calculs qu'il ne remarqua pas que mini-Magoras tenta de communiquer avec son conspirateur en frappant contre les parois de sa prison.

Arior restait penché sur la feuille à essayer de comprendre ce qui le chiffonnait dans la formule. Il y aurait dû y avoir plus de bave d’escargots-lave et moins d’herbes iridescentes, ou quelque chose comme ça. Puis soudain touc-touc-touc. Hum ? Qu’est ce que c’était que ça ? touc-touc-touc Ari releva la tête pour chercher l’origine du bruit. Il s’approcha d’une étagère et resta coi devant un des bocaux.

- Mais qu’est ce que… c’est pas vrai… depuis tout ce temps !

Un sourire mauvais fleurit sur ses lèvres et il se saisit du bocal en faisant bien attention. Il le porta à hauteur de ses yeux.

- Incroyable.

Merde. Arior avait raison. Il n'y avait rien de pire ! Il venait de refaire le calcul : il lui manquait des herbes iridescentes et pour équilibrer le tout, il lui fallait plus de bave d’escargots-lave. Alors qu'il attrapa les ingrédients pour faire ses corrections, Magoras complota derrière son dos.

Navi avait jeté un sort du silence sur le bocal il y a bien longtemps, ennuyé d'entendre son ex-mentor l'insulter à répétition. Le barbu tenta quand même de communiquer avec le nouveau visage en articulant avec exagération.

S-o-r-s-m-o-i d-e l-à e-t j-e t-e r-é-c-o-m-p-e-n-s-e-r-a-i !

Arior rigola en voyant le magicien -s’il en était toujours un- grimacer comme un singe pour essayer de se faire comprendre. Pour s’amuser, Arior secoua un peu le bocal pour faire vaciller et finalement tomber le mage miniature. Puis il s’approcha de Navi en lui montrant le bocal.

- Eh, Navi ! Tu gardes ce truc depuis tout ce temps ?! Vraiment ?! T’es complètement fou, mon ami !

Il trouvait ça franchement marrant en fait. Et un peu dingue, c’était vrai.

Il lança un coup d'œil rapide à ce que lui montra Arior avant de perdre intérêt.

Bah quoi ? Il est très bien où il est.

Il avait longuement réfléchi au sort que souffrirait Magoras et sa conclusion avait été : tuer est trop facile, trop simpliste. Magoras avait encore une utilité. Il ne savait pas encore laquelle, mais c'est toujours plus facile de décapsuler un bocal que de faire revenir un mort.

D'ailleurs, il y a encore de la place sur l'étagère, ajouta-t-il avec un petit clin d'œil. Si jamais Arior se faisait des idées.

- Uh, non merci !

Il le regarderait encore plus bizarrement si Navi se mettait à monter une collection de “mini-mage” ! Et il ne voudrait surtout pas en faire partie !

- Je suis juste étonné que tu l’ai gardé. Je pensais que tu l’aurais tué. Ou torturer jusqu’à ce que mort s’en suive. Ou… n’importe quoi d’autre que de le mettre en bocal sur une étagère.

Il haussa les épaules puis alla reposer le bocal.

- Tu n’a vraiment plus rien d'impressionnant là dedans, adressa t-il au prisonnier.

Pourtant faire partie de la décoration dans une cave poussiéreuse... Oui, Navi était certain que Magoras préférerait encore mourir que d'être coincé dans cette situation peu habituelle. Réduit au néant, condamné à être oublié entre un bouquin qui parlait des pratiques d'accouplement de trolls et un bocal rempli d'ailes de papillons.

La torture est si banale. Si peu originale.

Parfois, Navi arrivait presque à lui faire peur. Vraiment. Le sort qu’il avait réservé à Madoras -et c’était mérité- avait vraiment quelque chose de tordu.

- C’était vraiment drôle de le voir essayer de me supplier de le libérer. Moi. Franchement. Il ne tirera donc jamais leçon de ses erreurs ce vieux fou.

Arior était en partie responsable de l’état de captivité du mage, lui demander de le libérer était stupide à souhait.

Tu es la première personne à venir ici depuis un long moment, avoua Navi. Puis, après une petite pause, il ajouta : Mais c'est peut-être juste parce qu'il est raciste. Il t'a peut-être pas reconnu.

Il fallait dire que ça faisait un moment qu'ils n'étaient plus adolescents aussi — oui, oui, surprenant vu les enfantillages auxquels ils s'inscrivaient encore à leur âge. Magoras avait peut-être vu Navi grandir devant ses yeux en miniature, mais cela faisait presque deux siècles qu'il n'avait plus vu la crevette.

- Je n’ai pas tant changé que ça, fit remarquer Arior, ce qui n’était pas faux. Mais il a toujours été idiot de toute façon.

Ce n’était donc pas un mal qu’il en soit réduit à une vie assez minable.

- Alors, ces calculs, ça donne quoi ? Tu as trouvé où ça cloche ?

Peut-être... Pas qu'il était prêt à avouer que Arior avait eu raison sur ses calculs. Puis, il aurait certainement trouvé la réponse tout seul s'il avait eu le temps de repasser dessus.

Il adapta les doses selon les nouvelles formules pour refaire son mélange et augmenta le feu sous le récipient. Ça doit bouillir une petite heure. On verra bien si ça marche après.