Rappel du premier message :



Le sort de téléportation fut rapide et efficace -cette fois-. A peine le sorcier avait-il quitté l’orc qui l’avait secouru -il préférait ne pas y repenser- qu’il se retrouvait devant la bicoque de son homologue humain. Il était frais, bien habillé, propre, maquillé et surtout -surtout-, comparé à sa dernière visite, il venait demander des comptes et pas de l’aide ! C’était aussi une occasion parfaite de rendre visite à Navi pour se distraire évidemment, mais aussi prendre des nouvelles, bien qu’il ne l’admettrait jamais.

Il toqua quelques coups contre le bois de la porte. Il attendit un peu et la porte s’ouvrit sur ce bel homme qui était surpris de le voir là. Arior passait rarement sans s’annoncer. Le prendre au dépourvus était délicieux, car ça ne laissait pas le temps à Navi de s’apprêter comme s’il allait au bal.

Un sourire en coin, le sorcier laissa tomber aux pieds du mage un long morceau de la plante morte - qu’il avait prit le temps de ramasser exactement dans l’optique de s’en servir pour cet effet de style- dans “splaf” mou qui n’avait rien d’élégant.

- Navi, mon ami ! Pardonne mon passage à l’improviste, mais je te ramène cette chose. Elle doit t’appartenir. Malheureusement, je l’ai un peu abimé. Tu m’en excusera.

Il n’avait absolument pas l’air désolé..

- C’est facile pour toi de dire ça ! Tu es CHEZ TOI et tu ne risques pas de te transformer en MONSTRE à tout moment !! Je voudrais bien te voir dans ma situation, tiens ! Enfermé dans un bordel avec tes vêtements en train de disparaître !

Si, à ses yeux la comparaison était tout à fait valable et logique.

Bon, cette histoire de poils semblait vraiment lui tenir à coeur. Il était à deux doigts d'une crise de panique. Et s'il lui avouait qu'il avait menti ?

..... nah.

Il avait beau compatir avec l'anxiété qu'Arior pouvait ressentir, Navi était d'avis que c'était complètement mérité. Comment allait-il apprendre à arrêter de toucher aux affaires des autres s'il arrêtait la leçon par pitié ? Il faut être dur avec les gamins !

Tu veux un thé ? Un relaxant ? Un sédatif ?

- Vas au diable ! Comme si j’allais ingurgiter n’importe quoi d’autre qui vienne de toi !

Sûrement pas ! Jamais ! Sauf s’il voulait mourir. Ou se transformer en monstre hideux, comme maintenant !

- Secoue toi et libère nous, bon sang ! Où je fais exploser toute la maison !

Il en était probablement capable. Même s’ils exploseraient sans doute en même temps que la bâtisse.

Soupire. Qu'est-ce que tu penses que je suis en train de faire ? Il replaça le bouchon sur la bouteille de la prochaine potion test et la secoua pour combiner les nouveaux ingrédients. Tu penses que je veux que tu restes ici à jamais peut-être ? J'ai pas envie de voir tes jambes poilues non plus.

Il ouvrit la bouteille dont sortit un petit nuage de fumée rose puis versa le contenu encore une fois contre sa porte d'entrée.

Poilues ? Ses jambes ?!!! Pris de panique, Arior manqua de s’évanouir sous le choc d’imaginer son corps velu. Il se précipita vers une chaise, s'y assit lourdement et se pencha pour remonter le bas de son pantalon. Qui était pris dans sa botte. Une lutte acharnée avec celle-ci débuta alors. Il fallait la retirer, vite ! Il fini par l’envoyer valser à travers la pièce. Elle s’écrasa contre la porte et manqua de tomber sur la tête de Navi. Arior, enfin libéré, remonta le tissu pour observer sa jambe. Encore imberbe. OUF !

Tant que les choses étaient calmes, Navi se moquait de ce que faisait Arior. A moins qu’elles deviennent trop calmes ; là, c’est clairement suspect. Pas moyen que l’autre reste calme pendant très longtemps de toute façon. La preuve : sa chaussure puante qui atterrit non loin du visage de Navi. S’il ne fait pas demi-tour pour étrangler la crevette c’est bien parce qu’il a la patience d’un ange.

Alors, tu as déjà besoin d’un rasoir ?

Arior lui lança un regard noir, mauvais à souhait.

- Non, merci, tu peux les garder pour retirer les poils immondes qui poussent sur ton visage tous les matins !

Il se leva et traversa la pièce pour récupérer et renfiler sa botte. Avec un peu de chance, la potion de Navi était ratée ou ne ferait pas d'effet sur lui. Il était un elfe après tout, pas un troll ! Sa beauté ne saurait être fanée une pauvre potion. N'est ce pas ? Il se rassurait comme il pouvait.

Encore une remarque à propos de sa barbe inexistante. Pas grave. Arior attaquait comme il pouvait ; même ses insultes semblaient avoir besoin d'un peu d'aide. Ce n'était pas de sa faute. Juste un problème d'intelligence et d'inventivité.

Bon, si celle-ci ne marche pas non plus je devrais réfléchir à une autre solution demain, annonça-t-il soudainement.

Demain ? Navi venait-il vraiment de dire "demain" ?!

- Hors de question que je passe la nuit ici !

Qu'il assiste à sa déchéance ?! Qu'il le voit devenir immonde pendant la nuit ?! JAMAIS !

- TOUT DE SUITE NAVI ! Pas demain, pas dans 3h, ni même dans 30 minutes ! Ouvre cette porte MAINTENANT !!

Il bouillait de rage. Il était sur le point d'exploser. Ou plutôt de faire exploser. Vraiment.

Calme-toi, répondit Navi qui, lui, était complètement serein. C'était qu'un blague. Tu deviendras pas un troll poilu. Et ouais. Juste comme ça. La perspective d'avoir un Arior qui flippe toute la nuit — bien que marrant — était juste trop lourd à supporter.

Une… blague ? Arior le regardait avec des yeux fous et il commença à rire. Une blague. Vraiment ? Navi se foutait de lui depuis tout ce temps ? Son rire augmenta en puissance et roula hors de sa poitrine sans aucun contrôle. Complètement hystérique. UNE BLAGUE. BORDEL DE - le rire se stoppa aussi brutalement qu’il avait commencé.

- JE VAIS TE TUER ABRUTI !

Les moments où Navi prend au sérieux son jumeau maléfique sont plutôt rares. Quand Arior part dans ses éclats de rires diaboliques par contre... même lui commence à se sentir un peu nerveux. Juste un peu.

L'important à retenir c'est que ça aurait pu être une potion pour troll !

S’il y avait bien une chose qu’Arior avait du mal à digérer, c’était qu’on se foute de lui. Surtout quand il tombait dans le panneau comme un débutant.

- J’espère que ta petite blague t’as bien fait marrer, gros débile. Parce que là, tu vas beaucoup moins rigoler.

Et le regard noir du sorcier ne présageait rien de bon.

Répondre "oui" n'était sûrement pas une bonne idée. Navi aimait bien explorer les limites de la colère d'Ari, mais il n'était ni suicidaire, ni masochiste. Le seul bémol : il aimait encore moins les menaces. (Puis, soyons honnêtes, aucun des deux ne serait prêt à dire "désolé" ! Mourir dans d'atroces souffrances serait encore préférable à avouer leurs erreurs.)

Je vois pas pourquoi... C'est ta propre faute. Tu avais besoin d'une petite leçon.

- Je vais t’en donner une, moi, de leçon.

Marmonna t-il dans sa barbe alors que son énergie magique commençait à crépiter autour de lui. Le tiroir de la coiffeuse de Navi s’ouvrit et les fioles s’élevèrent lentement dans les airs. Celles contenant les produits de beauté du mage. Mais aussi celles contenant les colorations. Arior bougea l’index et une première fiole fusa pour aller s’exploser contre le mur, frôlant la tête de Navi.

Arrête ça immédiatement ! tenta Navi dans sa meilleure voix de maman fâchée. Ça marche moyennement quand on n'est pas une maman. Encore moins quand Arior a perdu son zen.

Le mage protégea son visage, ses cheveux, sa tenue (les choses importantes) et fuit vers la cuisine en criant.

Loin de s’arrêter là, avec un sourire mauvais, Arior enchaina de plus belle ! Il catapulta tour à tour toutes les fioles en visant le mage, le ratant de peu à chaque fois. Le verre brisé, les mixtures et les couleurs repeignirent tour à tour les murs, les meubles, le sol.

- Viens te battre comme un homme au lieu de te cacher, vermisseau putride !

Tu vas nettoyer ma maison entière sur tes petits genoux dénudés, crevette abêtie ! hurla-t-il depuis derrière un placard.

Sa belle coiffure commençait à se défaire dans cette excitation. Si Arior arrivait à le toucher avec ses teintures il allait devoir passer des heures à se laver, recoiffer et se rhabiller. Quel temps perdu !

- Dans tes rêves ! Je te rends la monnaie de ta pièce !

Navi l’avait cherché. Il était responsable de l’humeur massacrante de Arior. Il avait joué avec ses nerfs, s’était amusé à ses dépends. Il était bien normal qu’il en paie un peu les conséquences !

- Cesse de te cacher, lâche !

Tu n'es pas toi-même ! Enfin... il était absolument lui-même. Il était juste lui-même à 200%. C'était une potion d'orgueil, idiot ! (Et de charisme, mais il n'avait pas besoin de le savoir.) Tu ne penses pas clairement. Tes pensées sont sous l'influence de l'émotion. Comme les femmes durant... durant... Comment dire ? La saison des fraises.

Arior se calma un peu en entendant ces mots. Une potion d’orgueil ? Oh. Ceci expliquait cela… En quelque sorte. En tout cas, ça expliquait sa réaction en apprenant l’histoire des poils et de la perte de cheveux. Son égo n’avait déjà pas besoin de ça au naturel, mais alors là, la perspective de porter atteinte à l’intégrité de sa beauté l’avait vraiment fait dérailler. Il reposa magiquement les quelques fioles qui flottaient encore.

- Oh. Je vois.

Il... s'est calmé ? Il semblerait. Navi ne l'entendit plus crier et il avait cessé de lancer ses objets (dangereux et fragiles) partout dans la maison. Pourtant, Navi resta bien caché derrière son placard. On ne sait jamais avec Ari ; parfois le feu est coupé sous la soupe au lait, et parfois il se calme juste le temps de lui préparer un sale coup (comment ça c'est plutôt lui ça ?).

C'est bon, t'as fini ?

A vrai dire, il était toujours un peu énervé. Mais savoir qu’il n’était pas lui-même avait quelque chose d’apaisant. Enfin… disons qu’il prenait sur lui pour paraître “lui même” et pas un “lui détraqué par une potion”.

- Oui. C’est bon. Tu peux sortir.

Je vaux mieux que ça, se disait-il. Mieux que paraître minable et fou parce qu’il ne se maîtrisait pas.

- Tu devrais quand même mieux étiqueter tes potions.

Vu que mes clients, souligna-t-il encore, savent ce qu'ils achètent — étant donné que c'est créé pour eux — il n'y a pas de raison d'être plus explicite. Les voleurs qui touchent aux potions qui n'ont pas été prescrites pour eux méritent leur sort.

Comme Ari, au final. Mais s'il y avait une victime dans cette histoire (une vraie !), c'était Navi. Sa maison était terriblement amochée. Et pas seulement ça. Quand il osa enfin sortir de sa cachette, c'est avec les cheveux à moitié décoiffés qu'il revint devant Arior. Les mèches vertes qui se baladaient librement parmi le lila n'avaient pas encore été remarquées.

Mais Arior les remarqua, lui. Oups. Déjà, Navi avait une sale tête, échevelé comme il l’était. Mais si en plus il remarquait sa bêtise… Non, mieux valait qu’il le remarque une fois que le sorcier serait loin d’ici !

- Tu es un peu… tu sais… il fit un geste pour désigner sa tête. Tu veux que j’y remédie, avant de faire une syncope en te voyant dans un miroir ? En guise de réparation. Pour le ménage.