Rappel du premier message :



Dear Diary,

Les gens sont d'une hypocrisie lamentable.

La paroisse a organisé une tombola de bienfaisance ce mercredi. Comme prévu, quasi tous les membres de la congrégation ont fait avis de passage. L'événement de charité a débuté ce matin à 8h et finira à 20h avec un concert de violonistes. Il est 16h et ça fait deux heures qu'Oksana attend quelles babioles inutiles elle gagnera avec son ticket acheté trois fois trop cher.

De la charité.

Ils ont intérêt à bâtir des orphelinats en or avec l'argent qu'ils récoltent.

Voilà Monsieur Popov et sa femme. Elle est connue sous le pseudonyme surprenant et originale de 'l'Anglaise' parmi les marchands de ragots. Un nom dû à sa nationalité (évidemment) et qui, du coup, n'est pas utilisé avec amour parmi les cercles de la société.
Il y a aussi Madame Stepanchikova. Veuve pour la cinquième fois. On dit qu'elle empoisonne ses maris pour agrandir sa vaste richesse, mais si c'est le cas elle aurait au moins pu s'acheter une meilleure garde-robe.
Oh et la jeune Annika qui pointe le bout de son nez. Si elle pense que toute cette poudre sur son visage cache l'acné qui est clairement affiché sur son front, elle a bien tort. Pauvre fille.

Il est bien célibataire, confirma Oksana, mais ça ne fait que trente années, pas quarante. Le cauchemar que ça serait pour pauvre Madame Kuznetsova ! Je n'ose même pas m'imaginer son futur état vu son absence d'esprit actuelle.

Entre vous et moi, je pense pas qu'il s'agissait en effet d'un démon, mais vous connaissez la Milice. Oksana était quasi certaine que quelqu'un avait pris sa petite revanche sur la famille Kuznetsov. Quelle idée de prendre un chien aussi. C'était demander des ennuis, non ? Vous en avez, vous ?

N'est-ce pas ? Oksana n'était pas folle amoureuse des animaux de toute façon. Si toutes les jeunes filles supplièrent leur père pour un poney, Oksana l'avait plutôt supplié pour qu'il l'emmène avec lui lors de ses visites en société.

Yeva opina sans rien ajouter à ce sujet, mais cette nouvelle information la confortait dans l’idée qu’il valait mieux garder d’éventuels animaux hors de Moscou. En même temps, elle se creusait la tête pour trouver ce qu’elle pouvait bien ajouter à la conversation. « J’en déduis que vous n’avez pas d’animaux de compagnie non plus ? » Peut mieux faire, sans doute.

Je peux vous avouer que je n'ai jamais eu de l'affinité pour les animaux. Dans le monde qu'elles habitaient ce n'était pas plus mal. Elle s'évitait des ennuis tout naturellement. Heureusement leur présence n'est pas nécessaire en ville. Elle tourna le visage vers son interlocutrice. Vous utilisez encore souvent les chevaux en campagne, j'imagine ?

« Souvent » serait probablement une exagération pour elle qui ne quittait que rarement le domaine familial. À moins qu’on ne compte les promenades qu’elle faisait, en effet à cheval. « Plus qu’en ville, en tout cas. Le terrain et l’environnement s’y prêtent mieux. Mais la voiture reste préférable pour les longues distances ou les trajets plus rapides. »

« Bien sûr. » S’imaginait-elle donc que la campagne était coincée en plein moyen-âge. Bon, d’accord, peut-être un peu… mais il y avait du changement aussi. Il était simplement un peu plus lent.

Oksana s'apprêta à relancer leur petit jeu mais remarqua trop rapidement qu'un certain jeune homme avait décidé de venir perturber leur conversation privé. Oh pitié. Un moustique. Elle cacha son agacement derrière l'éventail et souffla rapidement deux trois mots à Yeva pour l'avertir. Ne l'offusquez pas. Son Père est le Colonel Nikolaev.

Et maintenant il savait qu'elle était marié. Au moins il risquait la laisser tranquille dans l'avenir. Oksana n'avait que peu parlé à Yeva, mais de ce qu'elle pouvait voir elle avait l'air d'être féru des petites règles. Ce n'était pas le genre de femme qui allait tomber dans les bras d'un moustique. Surtout pas marié. Après, les apparences sont parfois trompeuses. Tout le plaisir est pour moi, Madame Bogomolova, répondit-il en prenant sa main dans la sienne. Beurk.

Rien que ça ? Il garda un sourire en coin de lèvres qui se crispa quand il posa un regard glacial sur Oksana. Ils se connaissaient. Ils n'étaient pas amis. Puis-je vous donner un conseil ? Il parlait encore à Yeva, mais Oksana savait déjà quels allaient être ses mots empoisonnés.

C'est maintenant qu'il adressa un sourire à Oksana. Vous voudriez peut-être être vu en meilleure compagnie. Les filles grossières ne sont pas tenues en haute estime. Elle lui rendit son faux sourire. Nous semblons avoir un avis bien différent sur ce qui est grossier, M. Nikolaev.

Heureusement Yeva n'aurait pas l'opportunité de devoir utiliser une voie de secours. La mère d'Oksana avait repéré de loin les possibles soucis qui pouvaient découler d'une conversation entre sa fille et M. Nikolaev et était partie en vitesse rejoindre le groupe pour limiter les dégâts. Oh, bonjour M. Nikolaev ! Quel honneur de vous compter parmi nous ce soir. Oksana s'adressa à Yeva : Madame Bogomolova, je vous présente ma mère, Vera Moiseyeva Morozova.

Yeva parvint à retenir un soupir de soulagement à l’arrivée d’une nouvelle personne dans la conversation, mais le sourire qu’elle adressa à la nouvelle-venue n’en était que plus lumineux. Et elle était reconnaissante à la jeune femme de lui épargner une nouvelle fois de devoir tenter de deviner l’identité de l’inconnue. « Echantée, Madame Morozova. » Au moins si la conversation menaçait à nouveau de déraper, ce n’était pas elle qui devrait jouer les diplomates.

Bien qu’elle n’apprécie pas énormément d’être au centre de l’attention (trop de risques de faire un faux pas), Yeva préférait encore ça à l’hostilité ouverte entre deux interlocuteurs qu’elle ne connaissait pas. « Vivre à Moscou est dépaysant, c’est certain. » Combien de fois avait-elle déjà donné cette réponse ou quelque chose y ressemblant ? Elle avait perdu le compte.

Mais vous avez déjà adopté de bonnes habitudes si vous rejoignez un événement de charité si tôt. Notre congrégation vous plaît ? Ah tiens. Oksana n'avait pas pensé à lui demander s'ils rejoignaient leur église ; elle avait tout simplement assumé que c'était le cas.