Rappel du premier message :



Dear Diary,

Les gens sont d'une hypocrisie lamentable.

La paroisse a organisé une tombola de bienfaisance ce mercredi. Comme prévu, quasi tous les membres de la congrégation ont fait avis de passage. L'événement de charité a débuté ce matin à 8h et finira à 20h avec un concert de violonistes. Il est 16h et ça fait deux heures qu'Oksana attend quelles babioles inutiles elle gagnera avec son ticket acheté trois fois trop cher.

De la charité.

Ils ont intérêt à bâtir des orphelinats en or avec l'argent qu'ils récoltent.

Voilà Monsieur Popov et sa femme. Elle est connue sous le pseudonyme surprenant et originale de 'l'Anglaise' parmi les marchands de ragots. Un nom dû à sa nationalité (évidemment) et qui, du coup, n'est pas utilisé avec amour parmi les cercles de la société.
Il y a aussi Madame Stepanchikova. Veuve pour la cinquième fois. On dit qu'elle empoisonne ses maris pour agrandir sa vaste richesse, mais si c'est le cas elle aurait au moins pu s'acheter une meilleure garde-robe.
Oh et la jeune Annika qui pointe le bout de son nez. Si elle pense que toute cette poudre sur son visage cache l'acné qui est clairement affiché sur son front, elle a bien tort. Pauvre fille.

Personne ne me vient à l'esprit. C'est un peu loin, non ? Combien d'heures en train ? Ou jours. Il faut dire que les cours de géographie ne l'avaient jamais vraiment intéressé. Enfin, les autres cours n'étaient pas très intéressants non plus. Oksana avait toujours été préoccupé avec des choses que beaucoup trouvèrent des "frivolités" (notamment ses parents).

« Un jour et demi de train, à moins que le machiniste ne décide de pousser une pointe de vitesse. » Chose qui arrivait plus souvent qu’on ne l’imaginait. Il n’était pas rare que la fierté d’un machiniste pour « sa » locomotive l’entraine dans des concours de vitesse l’opposant aux autres qui empruntaient la même voie.

Les hommes et les courses. Son père aussi adorait sortir sa voiture hors-prix pour montrer à quel point il pouvait se tuer aussi rapidement que ses amis. Surtout à la campagne, là où il y avait beaucoup de place. Toujours mieux que les chevaux, mais pas le délire d'Oksana. Ah ! Maintenant que j'y pense. Il y a un couple de jeunes mariés... M. et Mme. Oblonsky. Ils n'avaient pas les heu... ressources pour un voyage de noces plus poussé que la campagne.

Pavel hocha la tête d’un air entendu. « Je vois. » Au moins, il savait maintenant quoi faire de ces tickets. Yeva, elle était perplexe face au désamour de l’autre jeune femme pour la campagne. C’était maintenant la deuxième fois qu’elle montrait clairement qu’elle ne la portait pas dans son coeur.

Bon, l'occasion pour parler du lot de Yeva ne se présentait pas. Oksana était donc obligé de prendre les choses en main (comme tant de fois, si vous lui demander). Et vous donc ? Adieu la discrétion. Oksana allait droit au but. Qu'allez-vous faire de votre lot ?

« L’utiliser, sans doute. » D’autant plus que quelqu’un venait de remarquer que sa garde-robe laissait à désirer. Heureusement pour les deux femmes, Pavel avait plus l’habitude d’interpréter les messages formulés à demi-mot. « J’ai cru vous entendre vanter les mérites des tailleurs donateurs de ce lot. Êtes vous une habituée de leur atelier ? »

Yeva n'avait pas compris le sous-entendu — qu'avait pourtant été très clair ! Que Dieu bénisse son mari qui semblait avoir vu à quel point la question était transparente, lui. Tout à fait. Je pourrais vous accompagner si vous avez besoin d'un avis... hm... extérieur.

Elle dénotait tant que ça que l’autre femme estimait qu’il lui fallait de l’aide extérieure pour se vêtir ? Yeva sentit la main de Pavel serrer doucement la sienne. Un encouragement ? Elle ne le connaissait pas encore assez bien pour interpréter correctement tous ses messages silencieux, mais décida de courir le risque de se tromper. « J’en serais ravie. Ce sera l’occasion de faire plus ample connaissance. » Loin des regards désapprobateurs de Nikolaev et ceux de son genre.

Bien, elle avait pris l'appât qui pendillait un peu trop visiblement devant son visage. Oksana n'avait pas été très délicate mais Yeva ne comprenait clairement pas encore son entourage. Elle serait ravie de lui apprendre les ficelles du métier. (Et oui, bon, d'accord. C'était également une excuse parfaite pour se procurer une nouvelle robe. Sa mère n'allait pas pouvoir lui refuser la visite si elle le faisait pour aider une campagnarde à mieux comprendre la vie en ville, n'est-ce pas ?) Que faites-vous ce vendredi ?

Etant donné que Yeva était arrivée en ville trop récemment pour s’être fait de nombreuses connaissances, son agenda était plutôt vide en dehors des événements mondains où son mari était invité. « Je n’ai encore rien de prévu vendredi. » Peut-être aurait-elle dû minauder, prétendre qu’elle avait une vie extrêmement occupée mais qu’elle ferait ce qu’elle pouvait pour se libérer… Mais ce genre de réflexions stratégiques ne lui venait pas encore à l’esprit, et même si c’était le cas, elle aurait été bien incapable d’être crédible.

Et bien maintenant si ! Elle afficha un sourire satisfait. Je vous contacterai plus tard pour les détails. Elle n'avait aucun doute quant à la simplicité de trouver le numéro de téléphone des Bogomolov.

C’était… presque facile, finalement, de faire des rencontres. Si facile qu’une autre que Yeva en aurait peut-être même été soupçonneuse, mais elle ne voyait pas le mal partout. Pas encore, du moins. « Je me réjouis d’avance. » Et cette fois, elle n’eut pas à se forcer pour ponctuer sa réponse d’un sourire.

C'est le genre de phrase qu'Oksana prononçait fréquemment avec une grosse dose de sarcasme mais Yeva semblait complètement honnête. Ou bien elle était grande actrice, ou bien elle se réjouissait vraiment. Tant d'innocence. Si Oksana voulut encore répliquer quoi que ce soit, elle n'en eut pas la chance. Les lots ayant été dévoilés, le début du concert de charité fut enfin annoncé. Je ferais mieux de rejoindre ma famille pour le concert.

« Et nous ferions bien de rejoindre nos places. Ce fut un plaisir, Mademoiselle Morozova. » Pavel ponctua la dernière phrase en s’inclinant légèrement. À l’autre bout de la salle, les musiciens finissaient d’accorder leurs instruments, dans la cacophonie habituelle des débuts de concert tandis que les généreux donateurs de la paroisse convergeaient vers les sièges.

Mais de même. Elle inclina la tête vers Pavel et adressa un sourire en coin à Yeva. Elles avaient passé un trop court moment sur les ragots décidément. Oksana allait pouvoir profiter de leur rendez-vous plus isolé pour se lâcher si l'innocente campagnarde le permit. Elle prit place à côté de son frère pour le concert qui, si charitable, était peu impressionnant. Pas que quelqu'un se plaindrait en public.