Dear Diary,

Les gens sont d'une hypocrisie lamentable.

La paroisse a organisé une tombola de bienfaisance ce mercredi. Comme prévu, quasi tous les membres de la congrégation ont fait avis de passage. L'événement de charité a débuté ce matin à 8h et finira à 20h avec un concert de violonistes. Il est 16h et ça fait deux heures qu'Oksana attend quelles babioles inutiles elle gagnera avec son ticket acheté trois fois trop cher.

De la charité.

Ils ont intérêt à bâtir des orphelinats en or avec l'argent qu'ils récoltent.

Voilà Monsieur Popov et sa femme. Elle est connue sous le pseudonyme surprenant et originale de 'l'Anglaise' parmi les marchands de ragots. Un nom dû à sa nationalité (évidemment) et qui, du coup, n'est pas utilisé avec amour parmi les cercles de la société.
Il y a aussi Madame Stepanchikova. Veuve pour la cinquième fois. On dit qu'elle empoisonne ses maris pour agrandir sa vaste richesse, mais si c'est le cas elle aurait au moins pu s'acheter une meilleure garde-robe.
Oh et la jeune Annika qui pointe le bout de son nez. Si elle pense que toute cette poudre sur son visage cache l'acné qui est clairement affiché sur son front, elle a bien tort. Pauvre fille.

Mais que voilà ? Un visage qu'elle ne reconnut pas. Si elle n'avait pas été aussi parfaitement familiarisé avec les personnages des cercles de la haute société, Oksana aurait pu la confondre pour une vulgaire citoyenne. Les simples citoyens n'ont pas les moyens de participer à cette tombola. Oh, ils peuvent faire acte de présence, ça oui, mais vu les prix exorbitants des billets, ils ne s'approcheront à peine des tables de vente. Allons dire bonjour.

À l’annonce du prix des billets, Yeva faillit s’étrangler de surprise. Il y a pas si longtemps, elle et sa famille auraient pu manger pendant deux mois pour une telle somme. Heureusement, elle commençait à bien maîtriser la tactique du sourire poli qui ne laisse rien paraître, assez pour ne pas paraître au mieux ignorante, au pire intruse dans ces cercles. Au moins, cet argent irait à ceux qui en avaient le plus besoin.

Vous pensez qu'ils en font quoi de tout cet argent ? demanda discrètement Oksana, ses lèvres légèrement rougies cachées par son éventail. Elle s'était glissé à côté de Yeva au lieu de la saluer et avait le regard posé sur un autre billet. Le numéro 0245.

Elle est trop gentille à s'excuser comme ça alors qu'Oksana n'avait pas pris le temps de se présenter à son tour. Elle ne put cacher un sourire amusé. Oksana Vasilevna Morozova, répondit-elle en retour. Vous me corrigerez si je me trompe, mais... Quel était le nom de cette famille déjà ? Oksana n'avait que vaguement suivi les actualités économiques, mais le nom de famille de cette jeune femme lui parla. Ah oui ! Anciennement Volkynskya ? On peut toujours tenter.

Tout à fait. Le retour de sa famille à Moscou devait signifier une amélioration dans leurs capacités financières. Pas qu'elle était au courant des détails ou même des circonstances du départ des Volkynsky, mais c'était une supposition aussi bonne qu'une autre. Et vous êtes ici en visite ou bien c'est un départ plus permanent ? Il me semble que votre famille n'est pas domicilié à Moscou, si ?

Non, toujours pas, répondit madame Kuznetsova avec une pointe de déception dans sa voix. Je ne comprends pas. Je les avais sur mon nez et maintenant elles n'y sont plus. C'était si dur de pas rigoler. Je suis sûre que ça vous reviendra. Autre chose maintenant. Mon amie ici aurait besoin de vous acheter un billet.

Hah ! Si Madame Kuznetsova lui fit la remarque c'est sûrement parce qu'elle galérait à trouver un bon parti pour son fils. C'est toujours plus facile de pousser la faute sur les femmes plutôt que de regarder la vérité en face et de conclure que son fils n'avait rien d'attirant. Bien au contraire ! Le mariage est sacré, Madame, et le diable a une telle emprise sur les jeunes hommes... Elle papillonna des cils comme une grande actrice.

Décidément, il y avait des sous-entendus qui se perdaient quand on ne connaissait pas sur le bout des doigts toute l’actualité des personnes présentes. Yeva notait chaque bribe d'information dans un coin de sa tête dans l’espoir de pouvoir assembler les pièces du puzzle plus tard. Pour le moment, elle préférait observer sans intervenir : c’était plus informatif et moins risqué.

M'oui, répondit la vieille, peu convaincue. C'est quand même dommage. Dans mon temps on était mariés à 17 ans. C'est intéressant tout ça mais Oksana avait aucune envie de passer sa soirée auprès de Madame Kuznetsova. C'était moins marrant maintenant que Yeva lui avait raconté où se trouvaient ses lunettes. Merci pour votre aide, en tous cas, finit-elle pour signaler la fin de cette conversation. Et que Dieu vous bénisse pour votre bonté.

Oh non, elle aide simplement pour la vente. Elle adore se sentir utile. Tiens, ça lui fait penser... Vous connaissez absolument personne à Moscou alors ? Il lui semblait que les Kuznetsov étaient assez connus, mais peut-être pas en dehors de la ville. Oksana se demandait si c'était de même pour sa propre famille.

Au contraire, le visage d'Oksana s'illumina. C'est parfait ! s'écria-t-elle (un peu trop fort même). On va pouvoir jouer à un de mes jeux préférés. Elle guida Yeva plus loin par le bras afin de pouvoir s'isoler dans un coin plus calme.