Patya, étrangement intimidé malgré un sourire qui remontait bien haut sur ses joues, hocha vivement la tête en signe d’assentiment. La voilà ! s'écria Pyotr en s'élançant vers la carriole afin d'aider sa mère, suivi de près par Dmitri — Maman ! Oleg et Olya se précipitèrent pour s'occuper des chevaux tandis que Kostya resta collé à la jambe de son père. Mikhaïl le souleva et, d'un sourire aimable, invita Père Micha à avaler les quelques mètres qui les séparaient encore de son épouse au ventre rebondi.

"Qu'il soit garçon ou fille, ce sera un don du Seigneur dont je me ferai un plaisir de baptiser." ajouta Micha avec un sourire empli de douceur qui atteignit ses yeux. Il riva son regard sur les enfants qui jouaient avec un petit nostalgique ; sa famille semblait lui manquer. Atrocement en vérité, mais il ne pouvait pas aller contre le chemin que Dieu avait tracé pour lui.

Avant même que son mari n'ait le temps de répondre, Nadejda acquiesça. Et comment ! s'exclama-t-elle avec un sourire ravi. Après huit enfants et sept grossesses, je sais quand je dois m'assoir et quand je peux gambader dans les champs ! Elle mit un poing sur sa hanche sans lâcher Patya de son autre main. Il gloussa, collé à elle. Elle vient de bouger, maman ! Elle approuve ! La main de Nadejda quitta sa hanche pour revenir sur son ventre. Tu as raison, mon grand, affirma-t-elle d'un air entendu.

"Elle ?" releva Micha avec un petit sourire taquin adressé à Patya. "Tu sembles déjà si sûr d'avoir une nouvelle petite sœur. Qui sait ce qu'il en est vraiment..." Il appréciait visiblement discuter ainsi avec certaines de ses ouailles sans que cela ait à voir avec... en fait, si ; la naissance d'un nouveau Chrétien était tout à fait de son ressort.

Patya hocha la tête, à la fois heureux et gêné. Il n'était sûr de rien, c'est surtout que… J'aimerais bien que ce soit une fille, moi aussi, dit-il, soudain un peu timide. Moi 'ssi, moi 'ssi, ajouta Kostya qui ne voyait en réalité pas la différence, mais qui voulait donner son avis quand même. Mikhaïl s'éloigna en s'excusant pour aller séparer les jumeaux dont le jeu était en train de tourner au vinaigre. Un seul en tout cas, s'en mêla Pyotr, un sourire en coin. Ce serait plus simple…

Il m'a tiré les cheveux ! Elle m'a pincé ! clamèrent-ils en chœur. Hep, qu'est-ce que je viens de dire ? les reprit Mikhaïl avec calme. Les deux enfants baissèrent le nez, honteux de leur attitude devant le prêtre. Je n'aurais pas dû le pincer, se repentit Olya. Je n'aurais pas dû lui tirer les cheveux, renchérit Oleg. Tous deux regardaient le Père Micha par en-dessous, la mine basse mais le cœur plein d'espoir. Patya avait tellement vanté sa gentillesse, c'était le momen de vérité.

Devant leur regard par-dessous, Micha haussa un sourcil en prenant bien soin de ne montrer si jovialité ni animosité sur son visage. Les mains toujours rangées dans ses manches, bien droit, le visage impassible, il était l'image même d'une statue. Puis d'un coup, tel un soleil hivernal se réveillant dans un ciel d'orage dont il déliait les nuages, il sourit doucement. "Le premier pas vers le pardon, c'est justement de reconnaître ses torts."

Ils relevèrent doucement la tête tandis que des sourires fleurissaient sur leurs visages. Merci mon Père, dirent-ils, soulagés. Mikhaïl adressa au prêtre un hochement de tête. Dans son regard, une leur disait : Je suis ravi de vous compter parmi nous. Patiek avait raison, murmura Olya en rentrant la tête dans les épaules, dans une attitude gênée. Vous êtes gentil, compléta Oleg en rougissant légèrement.

Micha porta une main au coeur, comme flatté. "Oh mais c'est vous qui est gentils de me complimenter autant. Je ne suis qu'un humble prêtre, jeune et inexpérimenté de surcroît, qui suit de son mieux le Chemin du Seigneur. C'est ce qu'Il attend de tous ses enfants. Alors ne vous battez plus, aimez votre prochain. Surtout quand vous partagez le sang. C'est d'accord les enfants ?" Il avait gardé son ton doux et sincère tout du long.

Trois jours plus tard, Patya ne vint pas à l'école : son épaule s'était couverte de poils alors qu'il ramenait du lait fraîchement tiré. Le liquide immaculé s'était répandu sur la terre battue de la cour tout comme ses larmes dans le tablier de sa mère quelques minutes plus tard. Par sécurité, il resta avec elle tandis que ses frères et sœurs se rendirent dans l'annexe de l'église où se déroulaient les leçons. Effondré, le petit garçon s'efforça de se rendre utile, sur les conseils de Nadejda, pour se vider l'esprit.

Il était inquiet, le Père Micha, malgré ce que lui assurait Motya. Mais il ne voulait pas presser l'enfant. "Tu lui passeras mes vœux de rétablissement quand tu seras rentré alors. Qu'il ne s'agite pas demain si ça ne va pas mieux. La taïga peut être cruelle quand elle amène la maladie." Il se doutait de plus en plus que ce soit autre chose mais ne comptait pas laisser ses soupçons être apparents. Il sourit à Motya. "Va jouer maintenant. Nous nous reverrons au catéchisme cet après-midi."

Essoufflé, blanc comme un linge et le visage défait par les larmes du matin, Patya arriva aux abords du village juste à temps pour voir ses camarades s'égayer à l'extérieur. Il se cacha derrière la maison du vieux Zakharovitch et attendit un peu. Puis il se faufila dans les ruelles jusqu'à la petite église dans laquelle il s'engouffra après avoir vérifié une dernière fois que personne ne pouvait le voir. Il se tint là, sans bouger, la respiration sifflante et les jambes en coton.