Patya n'était pas sûr de comprendre. Pour lui, tout se faisait dans l'esprit chrétien. Il ne voyait pas très bien quelle fête on pouvait faire autrement. Mais ça, c'est parce qu'il n'avait jamais quitté son village que les gens ne parlaient pas des fêtes païennes autour de lui. On a un petit chœur qui chante tous les dimanches et on fait toutes les fêtes chrétiennes ! Pas toutes, non, évidemment. Mais ça, Père Micha ne tarderait pas à l'apprendre.

Patya posa le baluchon sur le lit en jetant un regard curieux alentours aussi discret que possible. La pièce était... sobre. Il s'était attendu à y trouver des icônes, des tableaux représentant des scènes de la bible et des croix un peu partout. Finalement, ça ressemblait presque aux chambres de la ferme familiale — sauf que chez eux, avec autant d'enfants, c'était un peu le bazar. Il sourit au Père Micha qui semblait content de son nouveau chez lui.

Micha sourit de nouveau au petit garçon. "Et maintenant, si tu me faisais visiter l'église, mon petit ? J'ai vraiment hâte de voir l'intérieur. Y a-t-il un orgue pour accompagner votre chœur ?" Si c'était le cas, il se ferait une joie d'accompagner les chanteurs lors des cantiques et autres chants religieux. Mikhaïl se dirigea vers la portillon qui séparait le presbytère de l'église et invita d'un geste Patya à le devancer pour mener la visite. "A toi l'honneur !"

Patya en aurait presque bombé le torse. Oh oui, on a un orgue ! Il n'avait pas tout compris au pourquoi du comment, mais suite à un généreux don, un bel instrument avait été acheminé jusqu'au village quelques années plus tôt. Aux yeux de Patya, il était immense et merveilleux. Et ce son ! Chaque note donnait au petit garçon l'impression que Dieu parlait dans son ventre. Même si le Père Yakov n'était pas un très bon musicien. Je vais vous montrer ! Il sautille en sortant de la chambre.

Micha était conquis par l'enthousiasme du garçon qui lui rappelait vraiment ses petites soeurs. Les jumelles adoraient l'écouter jouer, quel que soit l'instrument qu'il choisissait d'animer. Il suivit donc Patya sans se départir de son sourire. "Je suis ravi d'apprendre qu'il y a eu de si généreux donateurs. C'est toujours une joie de voir des églises de campagne être ainsi garnies par des fidèles consciencieux."

Le sourire de Patya s'élargit. Il n'en pouvait plus de voir le Père Micha aussi ravi. Il avait envie de faire des pirouettes, lui qui était si déprimé le matin encore. Une trêve bienvenue dans ses idées noires. Une raison supplémentaire, dans son inconscient d'enfant, de porter Micha sous le projecteur réservé aux saints. Ça veut dire quoi, concieucieu ?

Mikhaïl fit bien attention à la marche indiqué et suivit le garçon avec une confiance aveugle. Littéralement. Il n'essaya pas un seul instant de rouvrir les yeux. "Décris-moi l'église, Patya." l'invita-t-il en gardant les yeux clos même une fois à l'intérieur. Il voulait savoir comment le garçon se représentait la Maison de Dieu sans savoir lui-même à quoi elle ressemblait. Essayer de s'imaginer la vision qu'en avait Patya. Il n'y avait rien de mieux pour connaître ses ouailles.

Patya était aux anges. Le compliment lui alla droit au cœur et le plaisir évident du Père Micha devant leur jolie petite église le ravissait au-delà de toute espérance. Il était conquis lui aussi. Et enchanté de voir que le prêtre, à peine arrivé, avait déjà tant de projets ! Il le suivit jusqu'à l'autel et, joignant les mains à son tour, baissa la tête et adressa une petite prière de reconnaissance à Dieu.

Patya acheva sa prière avec une ferveur décuplée par sa peur d'être un démon. Il prononça son « Amen » d'une toute petite voix, puis se tourna vers le Père Micha qui admirait les lieux. Cette simple vision le revigora aussitôt. Son cœur était une vraie montagne russe, ces derniers jours. Il suivit le regard du prêtre, aperçut les autres enfants et rit en leur faisant un grand signe. C'est Rodya, le fils du boulanger, Katouchka, la fille du cordonnier et mon frère Motya !

Mikhaïl sourit doucement vers les enfants et s'avança calmement pour ouvrir la porte de l'église. "Rentrez donc, la Maison de Dieu est ouverte à tous Ses enfants... Mêmes les plus curieux." Son sourire s'était fait taquin et ses yeux pétillaient d'amusement. Il n'était peut-être pas assez sérieux ou sévère mais il aimait découvrir un nouveau lieu, de nouvelles personnes, un nouveau cadre... et s'y intégrer dans la bonne humeur.

Le petit garçon s'amusa des « Bonjours » tous mélangés qui répondirent à l'accueil du Père Micha, puis des questions pêle-mêle de Rodya et Katya qui n'étaient pas timides pour deux sous (« remplaçait-il... », « resterait-il... », etc. comme deux turbulents de neuf et dix ans). Motya, lui, se colla discrètement à son grand frère qui le rassura d'un petit sourire en coin avant de lui prendre la main. Âgé de tout juste sept ans, le bonhomme était aussi effrayé que si c'était lui le zootrope.

Si Mikhaïl capta le regard inquiet de l'enfant qui oscillait entre lui et son grand frère, rien sur son visage ne l'indiqua. Pour autant, les questions fusaient dans le secret de ses pensées quant aux raisons de cette peur évidente. "En effet, je connais quelques astuces que mes sœurs ont eu la gentillesse de me transmettre. Allez donc déjà nous chercher de belles fleurs." Il pourrait réparer le banc plus, en soirée, lorsque les enfants seraient rentrés chez eux.

Motya sursauta tandis que Patya levait un visage souriant vers le prêtre. Super ! répondit-il pour couvrir l'attitude méfiante de son frère. Regardez ! Elles sont belles, hein ? Il en faut combien pour une couronne ? demanda-t-il en montrant son petit bouquet déjà bien garni. Son frère ne disait rien, mais son regard faisait un va et vient constant entre le potentiel démon et son exécuteur. Il tentait malgré tout de faire bonne figure et montra ce qu'il avait ramassé aussi.

HRP :

Motya regarda son frère avec une mine effarée. Là, le Père Micha n'allait jamais croire qu'il ne se passait rien. Patya eut envie de bayonner son cadet avant de lui fourrer la tête dans un sac de farine. Vide hein, juste pour cacher ce visage trop expressif. Pourquoi était-il venu jusqu'à l'église, pour commencer ? Entraîné par les autres, certainement. Patya perdit son sourire et regarda le prêtre dans les yeux. Pas maintenant, répondit-il. Et pas ici, ajouta-t-il avec un regard vers ses amis.