Rappel du premier message :



Soupe tomates boulettes, lasagnes bolognaise, salade tomates mozarella… Tous des plats qu’Eibhlín connaissait par coeur pour les avoir préparés un nombre incalculable de fois depuis qu’elle avait été engagée à l’hôtel. Et pourtant, elle n’avait jamais réalisé à quel point les tomates semblaient omniprésentes dans le menu (à l’exception des desserts).

« Il faut que vous arrêtiez de mettre des tomates partout ! »

C’est fou comme une petite phrase sans queue ni tête retrouvée dans ses notes (elles-mêmes très décousues) refusait de lui sortir de la tête. Une phrase qui n’était d’ailleurs pas d’elle, mais d’un fantôme non-identifié qui avait pris le contrôle de sa plume il y a une dizaine d’années. Elle n’avait pourtant pas l’habitude de chercher un sens profond dans ces gribouillis fantomatique… mais peut-être qu’elle devait en effet suggérer à la direction de varier les ingrédients sur la carte, ne fut-ce que pour offrir plus de diversité aux allergiques. Mais plus tard : pas en plein coup de feu, alors que la majorité des résidents de l'hôtel venait de passer commande et qu'elle se noyait dans les plats à préparer.

Gilroy s'y attendait. Fichu secret professionnel.
"Je n'ai pas l'attention de quitter l'hôtel pour ça, soyez rassurée. Je viens pour les fantômes, ceux qui produisent des lumières surnaturelles, des odeurs bizarres, des bruits effrayants et apparaissent parfois dans le couloir avec des vêtements ringards. Et ils font bouger aussi les objets et les cassent ou alors ils manipulent l'eau de la fontaine, ça marche aussi."

C’était assez spécifique pour donner l’impression qu’il voyait bel et bien ce qui se passait dans l’hôtel, mais étaient-ce ses propres observations, ou se basait-il sur une compilation de rumeurs ? « Si vous cherchez les coins hantés, je suis étonnée que vous n’ayez pas choisi l’Ecosse. » Une région plus réputée pour ses vieilles bâtisses hantées que l’Irlande. « Vous faites chasseur de fantômes dans votre temps libre ? » Son ton contenait suffisamment d’humour pour qu’on ne l’accuse pas de trahir les secrets de l’hôtel, tout en étant assez aimable pour ne pas sembler se moquer de l’homme.

Gilroy scrute la figure devant lui tandis que l'épouse et le petit frère le laisse agir en toute tranquillité.
"Nous cherchons un fantôme particulier qui réside à cet hôtel. Il soupire. Vous n'êtes pas une voyante, je vois."
Il lui reste une mini-piste à explorer en guise de consolation mais il laisse une seconde à son interlocutrice, Eibhlin, la cuisinière de prendre une initiative.

« Tiens donc, quel fantôme ? » S’il lui sortait « La Dame Blanche » ou autre fantôme classique des romans fantastiques, elle saurait qu’il n’était qu’un fan de paranormal en quête de sensations fortes. Mais s’il s’agissait d’un fantôme qu’elle connaissait… Eh bien, elle serait vite fixée.

Les yeux de Gilroy vont furtivement vers Aodh. Le pauvre garçon ne maîtrise pas du tout son don, si tant est qu'une telle chose fut possible sans la supervision d'un autre médium. Si seulement leur mère était encore en vie !
"Un fantôme qui a séjourné sur l'île et qui a marché dans cet hôtel. Une femme ou peut-être un fantôme lié aux… papillons."
Le dernier mot lui a coûté un effort.

L’un était très vague, l’autre très spécifique. Au moins ni l’un ni l’autre ne sonnaient comme des clichés d’amateurs de thrillers, donc Eibhlín leur accorda le bénéfice du doute. « Ce n’est pas vraiment la saison des papillons… Vous avez plus de précisions sur cette femme ? » Parce que oui, l’hôtel comportait assez de fantômes pour qu’il faille être plus précis.

Some dance to remember
Some dance to forget...

Gilroy cherche de l'aide auprès d'Aodh, ce sont ses visions à lui. Rapporter les détails ne feraient que brouiller les pistes.
"C'est une femme avec des cheveux courts et un foulard sur la tête. Elle parle souvent des fantômes."
C'était son leitmotiv "les fantômes", "les fantômes".

Ca, c’était plus précis. Un fantôme qui parlait de fantôme, jolie ironie. Mais Eibhlín en connaissaient d’autres qui le faisaient… dont un dont elle se doutait qu’il n’avait pas remarqué sa propre mort. Mais là n’était pas la question. « Ca me dit peut-être quelque chose… » Mais où pouvait-elle bien se trouver en ce moment ? Et quand l’avait-elle vue pour la dernière fois ?

Les yeux de Gilroy s'éclaircissent. C'est la première membre du personnel qui ne nie pas tout en bloc. Même Daniela retient son souffle.
"Vous ne vous rappelez pas de plus ? Attendez, vous êtes voyante ?"
Les voyants sont rares, même si l'hôtel a tendance à les attirer.

C’est qu’il semblait tenir à ce fantôme ! Eibhlín se creusa la tête… mais il faut dire que ce n’étaient pas les rencontres avec les fantômes qui manquaient quand on habitait dans cet hôtel ! Elle fut toutefois interrompue dans ces réflexions par un début de fou-rire : « Oh, voyante, ça fait tellement pythie mystique. » Elle secoua la tête, amusée, avant de se refaire plus pensive : « Je suis presque sûre que j’ai vu une femme correspondant à votre description près de la fontaine un de ces jours… »

Gilroy n'a pas le même humour que Eibhling puisqu'il lui renvoie un regard blasé quand elle se met à parler de pythie.
"La fontaine ? Nous y sommes allés hier et il n'y avait rien..."
Le rouquin se met à cogiter.

Eibhlín haussa simplement les épaules en réponse au commentaire de l’autre. Parce qu’elle avait la bouche pleine et elle était bien élevée. Ce n’est qu’une fois qu’elle eut vidé sa bouche qu’elle répondit : « Aucune idée si elle y est souvent, c’est simplement le dernier endroit où je l’ai vue, je pense. » Le « je pense » était important dans cette phrase : quand on croise une multitude de fantômes tous les jours, on perd un peu le fil de qui on a vu quand et où. Tiens, en parlant de la fontaine : elle était étrangement calme ces derniers jours. Seamus serait malade ? Bizarre, pour un fantôme.

Elle ne semble l'avoir aperçue que par hasard il y a un moment indéterminé, rien de vraiment concret.
"Est-ce que vous pourriez nous avertir si vous la recroisez s'il vous plaît ? D'ailleurs… Vous n'avez pas répondu à ma question, êtes-vous capable de converser avec les fantômes ?"
Elle pourrait donner des conseils à Aodh pour leur parler sans se mettre en danger. Comment le lui demander de manière à ce qu'elle accepte ? Le tact n'est pas le fort de Gilroy.

« D’accord. » Elle se prendrait sans doute un savon de ses employeurs s’ils l’apprenaient, mais il n’y avait pas de raison qu’ils l’apprennent. Eibhlín voulait bien rassurer les clients peu habitués au paranormal, mais nier l’évidence face à des habitués ne servait qu’à frustrer tout le monde. « Et ça dépend de ce que vous appelez ‘converser avec les fantômes’. Si j’en croise un, oui, je peux parler avec, mais c’est tout. Le spiritisme et autres invocations, ça n’a jamais été mon truc. » Sauf quand les fantômes décidaient de s’inviter eux-mêmes dans sa plume.

"Nous cherchons encore. Ce n'est pas facile sans connaisseur pour nous guider."
Le ton et le regard de Gilroy trahissent un léger abattement. Eibhlin peut comprendre qu'ils n'ont pas eu la vie facile jusque là, comme des enfants abandonnés en pleine forêt. Est-ce que cela réveille chez elle un instinct maternel ?
"Merci en tout cas. Nous n'allons pas vous déranger plus longtemps."
Il se lève, prêt à repartir réfléchir à la suite de son enquête jusqu'au soir.

Ce n’était pas de la mauvaise volonté de la part d’Eibhlín : elle aurait été ravie d’aider, mais elle était au mieux une medium médiocre. Sa technique de prédilection pour éloigner les mauvais esprits consistait à leur balancer de l’argenterie dessus jusqu’à les faire fuir. Mais elle connaissait quelqu’un de bien plus calée qu’elle dans ce domaine, et elle se leva en voyant son interlocuteur partir : « Je connais quelqu’un d’autre qui en sait plus, je peux vous amener à elle si vous voulez. C’est aussi un cliente de l’hôtel. » Cliente plus ou moins permanente, d’ailleurs.

Un feu vert d'espoir se rallume dans dans les yeux de Gilroy. Il fait à nouveau face à son interlocutrice, prêt à ne rater aucune miette de sa réponse.
"Oui, faites donc. Nous serions ravis de rencontrer cette personne. Dès que vous voulez !"

Son dessert terminé, Eibhlín récupéra son assiette : « Je vais ranger ça en cuisine et je vous amène à elle. Enfin, à condition qu’elle soit dans sa chambre. » Ce qui était tout sauf garanti vu l’heure, mais c’était un début. Elle ne perdit pas de temps et lava, rinça et essuya rapidement l’assiette avant de la ranger dans un placard, puis revint vers le trio qu’elle avait laissé dans la salle à manger.

La petite famille attend donc que la cuisinière finisse sa besogne pour la suivre. Ils espèrent de tout cœur que la mystérieuse potentielle guide soit présente et assez aimable pour les aider, là où la mère des garçons auraient pu le faire si elle avait eu la chance de vivre plus longtemps.

Une fois revenue, Eibhlín fit signe à la famille de la suivre. « Je ne sais pas si elle sera dans sa chambre, mais si ce n’est pas le cas elle sera probablement là pour le repas du soir. Elle habite de manière plus ou moins permanente à l’hôtel. » Tout en parlant, elle commença à diriger le petit groupe vers la chambre en question.

"Comment est-elle ?" demande Gilroy, curieux de connaître le moindre indice susceptible de la reconnaître au cas où cette fameuse personne manquerait à l'appel ce soir.

Ah oui tiens, un description pouvait être utile. « Dame Faélàn est probablement la cliente la plus âgée de l’hôtel pour le moment. Elle porte toujours des gants et elle a deux chats. » Cette description ne lui faisait sans doute pas justice, mais les gants et les chats étaient ce qui sautait aux yeux en premier lieu. Pour le reste, Eibhlín aurait eu bien du mal à décrire fidèlement la Dame, capable d’avoir la dignité d’une Lady un instant et l’espièglerie d’un farfadet le suivant, le tout en étant une des personnes les plus aimables qu’elle connaisse.

Gilroy hausse les sourcils. Le nom lui est familier. La manie des gants ne lui parle pas…
"Mamie Faélàn ? Elle a des chats maintenant ?"
Aodh et Daniela en revanche n'ont pas de souvenir de cette femme à chats.

« Mamie Faélàn » ? On croyait entendre Swann. « Vous la connaissez ? » L’île était un petit monde après tout, et l’hôtel plus encore. Ce n’était donc pas forcément étonnant, et c’était bien pratique s’ils ne trouvaient pas immédiatement la Dame.

Sans rire.
"Non, j'ai dit cela au hasard et pas du tout parce que j'ai grandi sur l'île. Plus sérieusement, je l'ai connu il y a longtemps. Aodh ne s'en souvient pas et Daniela a mis les pieds sur l'île pour la première fois de sa vie il y a moins d'un mois. Bon, eh bien, nous allons attendre ce soir en espérant qu'elle se montre. Les fantômes sont plus actifs au crépuscule d'ailleurs. Merci encore, madame Blake."

I had to find the passage back to the place I was before