Rappel du premier message :


Le mercure affichait -3°C. La ville était parée d'un manteau blanc. Les enfants s'amusaient à s'accrocher aux troïkas qui passaient sans avoir peur de tomber sur le démon du gel, Morosko. Ils rêvaient plutôt de ce que le Ded Moroz allait leur apporter en cadeau de fin d'année.

De son côté, Maksim s'était déjà offert le sien : il avait ridiculisé ce crétin de Borya devant toute sa clique. L'albinos avait utilisé toutes les astuces de Fedor, son professeur, pour faire taire le prétentieux. De son point de vue : Boris l'avait cherché ; du point de vue de Boris : Max l'avait attaqué sans crier gare. Maintenant, Boris était étalé sur le sol à cacher ses larmes et ses amis toisaient le "rat de laboratoire" qui venait de se rebiffer.

"Venez ! J'vous attends !"

"Il ne devrait pas y avoir besoin de se battre…" marmonna Ludmila juste assez pour que Max et Fedor comprennent.
Max ne dit rien, il pensait à ce que son père dirait, lui n'était pas aussi compréhensif que son papy, ni aussi doux que sa maman.

"Pour sur." confirme Fedor. "Mais les enfants sont cruels entre eux et les adultes le sont encore plus. A ce jour c'est mieux d'apprendre à se défendre que de rester passif." affirme le jeune homme taillé dans un roc. De toute façon il se voit mal être soumis face à l'adversité et il est clair que la soumission n'est pas dans le caractère du petit non plus. Alors autant lui donner les armes pour se défendre et affirmer son caractère. D'une manière ou d'une autre il trouvera toujours des ennuis ce gamin. Rien qu'à cause de son physique particulier.

Il avait la moitié de son âge mais Ludmila ne répondit pas davantage, gardant ce qu'elle pensait pour elle. Elle avait déjà dit à son fils ne jamais agir cruellement et de tendre la main mais ses paroles n'allégeaient pas son fardeau.
"Fedor, je peux apprendre quoi maint'nant ?"
En attendant de guérir.

"La patience ?" propose Fedor qui a conscience que même pour lui c'est compliqué ... alors pour un gamin de 7 ans. C'est juste improbable. Mais pour le coup il ne sait pas encore comment le père réagira et s'il sera autorisé à continuer ses leçons. "Ca va dépendre de la décision de ton père aussi." ajoute-t-il ensuite histoire d'être parfaitement clair.

Là, Maksim ouvrit grands les yeux d'effaremment. Si son grand-père pardonnait ses erreurs, que sa mère se contentait d'un silence culpabilisant, son père lui pouvait glacer son âme d'un seul regard et agir. Il ne le punissait pas physiquement, jamais, mais il l'accaparait de devoirs et de sanctions. Là il refuserait que les cours se poursuivent ou pire.
"Faut pas !"

"Comment ça il ne faut pas ?" s'étonne Fedor. "Je laisse ta mère et ton grand père décider de la conduite à tenir concernant ton père. Je ne veux pas intervenir dans les affaires familiales, mais par principe je suis contre le mensonge, et ne pas dire une bêtise qu'on a commise c'est aussi un mensonge d'une certaine façon."

"Mais-- Mais… Il va m'en vouloir !"
C'était déjà d'agir parfaitement sans faire d'histoire. Ce serait impossible de rattraper une bêtise ! Puis plus de Fedor, c'était sûr de sûr. Dès que quelque chose lui faisait plaisir, ça lui était enlevé.

Fedor hausse les épaules. "Apprendre à devenir un homme c'est apprendre à assumer les conséquences de ses erreurs." dit-il simplement. C'est un peu valable à tout âge en fait. Il connait pas mal de gars qui reprochent toujours tout aux autres et qui n'assument jamais que leurs choix aient été parfois mauvais.

Les mots se coincèrent dans sa gorge. Maksim avait les larmes aux yeux ; c'était la deuxième fois ce jour-là. Il n'était pas encore un homme, il restait un petit garçon de sept ans qui découvrait tout juste le fait que le monde ne tournait pas autour de lui. Alors comprendre la notion de responsabilité à son âge c'était espérer beaucoup. Il lui faudrait encore d'autres revers comme cela avant de comprendre la leçon un jour.

Visiblement le petit n'était pas prêt à affronter son père et les décisions de ce dernier. Fedor ne savait pas quoi faire avec un enfant qui était au bord des larmes. Il se tourna vers la mère et lui lança un regard d'appel à l'aide. Clairement il était dépassé dans cette situation.

La mère vint au secours de Fedor.
"As-tu mal quelque part, Max ?
- Nan.
- Tu es fatigué alors. Tiens, goûte un peu pour reprendre des forces."
Elle partit, laissant Max fixer le sol en paix, avant de revenir avec des biscuits faits maisons, un régale pour les papilles.
"Désirez-vous un thé, Fedor Ianovitch."

"Avec plaisir" confirme Fedor qui est content de voir une porte de sortie. Gérer les enfants qui pleurent ce n'est pas sa tasse de thé. Et il ne voit pas comment aider le petit dans cette affaire qui ne le concerne pas directement. Dans le sens qu'il n'estime pas avoir à donner son point de vue sur la conduite à tenir vis-à-vis du père de l'enfant. C'est une affaire au sein de la famille. Il est juste concerné parce que le petit use des techniques qu'il lui a appris pour se battre. D'un autre côté il se battait déjà avant.

Max faisait de son mieux pour contenir le tourbillon d'émotions au sein de sa tête. Il se servit donc des biscuits tandis que son professeur attendait son thé.
"Quel thé vous ferait plaisir ?"

"Quelque chose de sucré." dit-il simplement. Il n'est pas grand fan d'amertume et quand il boit du thé c'est toujours un truc fruité ou sucré. Pendant ce temps il regarde le petit qui se remet doucement. Très doucement. Dur dur d'être la victime de harcèlement et de ne pas avoir le droit de se battre pour se défendre. Bientôt il sera assez fort pour décider de comment il doit réagir. Mais c'est encore un peu tôt.

La mère partit donc.
"Fedor, comment je te reverrai demain ?"
Le petit ne se faisait pas d'illusions, son père le conseillerait à résidence un moment ou lui interdirait de revoir son professeur. Il faudrait beaucoup de cajoleries pour le faire changer d'avis…

Fedor hausse à nouveau les épaules. "J'en sais rien petit. Ca dépend plus de moi ça." explique-t-il alors. "C'est ta mère et ton grand-père qui verront comment gérer les choses avec ton père. Pour moi ce n'est pas si grave, mais je suis pas ton père et c'est pas mon rôle de décider ce qui est grave ou pas. Les valeurs morales sont inculquées par tes parents en fonction de leur croyances personnelles dans ce domaine. Il est clair que ta mère est contre toute forme de violence par exemple. Il ne m'appartient pas de juger. J'ai mon avis que je lui ai donné. Je ne peux rien faire de plus."

En un mot : jamais.
Si l'adulte ne voulait pas faire d'efforts, voilà ce qui allait se passer. Et s'il ne voulait pas faire d'efforts c'était parce qu'il…
"T'en as rien à faire de moi" constata-t-il en fronçant les sourcils.
Il se leva avec l'attention de s'en aller dans sa chambre, laisser l'adulte tranquille. Pourquoi retarder l'inéluctable et risquer de s'attacher davantage ?
Adieu.

"Pourquoi aurais-je passé autant de temps à t'entrainer si j'en avais rien à faire ?" demande Fedor curieux de comprendre le cheminement de pensée du gamin. L'espace d'un instant il a l'impression qu'il est censé régler tous les problèmes du petit. Ce n'est pas son rôle. C'est celui de ses parents. Lui est simplement là pour le guider sur la voie du combat à mains nues. Et faire en sorte qu'il suive cette voie avec dignité. Même s'il est un peu jeune pour comprendre le concept.

La main sur la poignée, Max s'arrêta, considérant un instant la question.
"Tu t'ennuyais ?" répondit-il avec encore une note d'agacement dans la voix.
Il en fallait plus pour apaiser le garçon. La froide rationalité et le manque d'émotion de son tuteur contribuait à maintenir sa défiance intacte.
De l'autre côté de la porte de la cuisine, la mère attendait avec la théière, hésitant à se montrer. Si elle interrompait la discussion là, la situation ne s'en porterait pas mieux.

"Je ne m'ennuie jamais petit. Je ne fais que ce qui me plait quand je rencontre des gens intéressants avec qui le faire." répond toujours tranquillement Fedor. Ce n'est pas une situation propice à lui faire perdre son calme, il faut la peur de mourir, pour vraiment le faire réagir. Peut-être une femme, mais ce n'est pas encore arrivé.

Alors… il en a quelque chose à faire de moi ?
"Voici le thé ! Maksim, veux-tu aussi goûter ? Tu es grand maintenant."
La mère avait bien choisi son moment pour réapparaître. Maksim hésitait, ne sachant s'il devait considérer Fedor comme menteur ou sincère. En attendant, sa mère attendait une réponse.
"D'accord !"
Il se rassit à côté du géant de seize ans.

Le petit semble s'être clamé. Sauvé par le thé. Il remercie la mère d'un regard et sourit doucement. Ce n'est pas un grand sourire, il ne sait plus vraiment sourire comme lorsqu'il était enfant. Il souriait de tout son cœur, mais depuis qu'il a découvert la noirceur du monde adulte il a du mal à sourire ainsi à nouveau. Il aimerait être aussi simple que son père ou que ces camarades de combat. Mais il semblerait qu'il réfléchisse trop. Enfin d'après son officier. Ce dernier désire d'ailleurs lui donner du galon dès que possible. Fedor n'est pas vraiment chaud à l'idée de commander des gens.

La mère servit un thé réinfusé pas trop longtemps au petit. Ce dernier se débrouille pour l'apprécier comme un grand, ne se plaignant pas de son manque de goût.
"Qu'allez-vous faire cet après-midi, Fedor Ianovitch ? Mon mari ne rentrera pas avant plusieurs heures."
Le père Bounine travaillait beaucoup.

"C'est mon quartier libre. Sans doute que je vais continuer à me balader en ville. Je viens d'un endroit beaucoup plus petit." explique-t-il un peu gêné. Il doit paraitre un peu comme un pequenot. Ce qu'il est techniquement parlant. Il vient bien de la campagne. Cependant il n'est pas simple d'esprit pour autant. Juste curieux d'un monde différent que celui qu'il a toujours connu jusqu'à présent.

Maksim voulait accompagner Fedor pour le guider dans la ville mais il savait déjà que ça ne lui serait pas accordé. Ce n'était pas parce que son grand-père ne lui avait pas crié dessus qu'il n'était pas puni.
"C'est une bonne idée. Il y a beaucoup de choses à voir."