Rappel du premier message :


Le mercure affichait -3°C. La ville était parée d'un manteau blanc. Les enfants s'amusaient à s'accrocher aux troïkas qui passaient sans avoir peur de tomber sur le démon du gel, Morosko. Ils rêvaient plutôt de ce que le Ded Moroz allait leur apporter en cadeau de fin d'année.

De son côté, Maksim s'était déjà offert le sien : il avait ridiculisé ce crétin de Borya devant toute sa clique. L'albinos avait utilisé toutes les astuces de Fedor, son professeur, pour faire taire le prétentieux. De son point de vue : Boris l'avait cherché ; du point de vue de Boris : Max l'avait attaqué sans crier gare. Maintenant, Boris était étalé sur le sol à cacher ses larmes et ses amis toisaient le "rat de laboratoire" qui venait de se rebiffer.

"Venez ! J'vous attends !"

"Bien sûr." dit Fedor. "Il arrive que je n'arrive pas à éviter un combat. Et la plupart du temps ils sont plusieurs. J'ai plus de puissance que toi et je peux étaler un homme en un coup, mais ça reste risqué comme tactique. Je préfère gagner, quitte à devoir prendre mon temps. Seul problème, j'ai pas une musculature adaptée pour courir longtemps, j'ai donc une approche un peu différente." explique Fedor qui ignore complètement les difficultés que le petit peu avoir à cause de la douleur. Il a cherché les coups, il les a trouvé, il doit maintenant assumer la douleur et les ennuis qui vont avec.

Maksim ne savait pas si c'était le vent froid, les blessures physiques ou le coup au moral d'avoir déçu son professeur et lui-même en perdant mais il avait les larmes aux yeux. Il fit de son mieux pour les essuyer discrètement et les cacher.
"Qu'est-ce que t'as fait aujourd'hui ? Tu as tué des vrais démons ?"

"Non, je suis en quartier libre alors je me détends et le reste du temps je ne me bats pas contre des démons, je m'entraine à me battre contre des hommes qui agissent comme des démons. Ce qui compte à mes yeux ce sont les actes. Comme quand quelqu'un ne tient pas sa parole de ne pas commencer un combat." Fedor est pragmatique et c'est un soucis qu'il a avec son père qui est profondément croyant malgré son bon sens paysan. Certes Fedor croit en Dieu, mais il a toujours eu du mal avec les prêtres et leur façon de se dépeindre comme les messagers de Dieu.

Max fixait le sol enneigé à la recherche de soutien.
"Mais quand on est méchants, est-ce que c'est pas déjà commencé le combat ?"
Ça lui faisait du mal sans avoir besoin de le toucher. Paradoxalement Maksim supportait bien plus la douleur physique que morale.

"Oeil pour Oeil, Dent pour Dent. Si quelqu'un t'insulte et que tu décides de le frapper, pourquoi est-ce qu'il ne deviendrait pas lui aussi plus violent ? En allant jusqu'à te blesser gravement par exemple. Ensuite tu vas faire quoi ? le tuer ? "demande Fedor de manière assez rhétorique. "C'est à cause de ce genre de réaction que les conflits deviennent incontrôlables. Je ne veux pas que mon enseignement servent à faire grandir des conflits. Je veux qu'ils servent à protéger les plus faibles et toi même. Se protéger ça veut dire ne pas attaquer en premier." insiste Fedor.

Les tuer ? Maksim n'y avait jamais pensé... mais oui, ce serait logique ! Si ceux-là étaient irrécupérables alors autant les effacer de la surface de la Terre définitivement !
"D'accord, j'attaquerai plus le premier."
Il faut que je m'arrange pour faire comme eux, les pousser à m'attaquer. C'est ça qu'il faut !

"Tu vas faire quoi alors ? La prochaine fois qu'ils viendront se moquer méchamment de toi ?" demande Fedor qui est méfiant. Les gamins peuvent être malins. Il lui a déjà expliqué la méthode, il faut pousser l'autre à attaquer, mais sans doute que le petit n'avait pas enregistré cette information au milieu des dizaines d'informations que Fedor lui avait déjà transmis.

"Je n'attaquerais plus le premier. J'attaquerais que s'ils m'attaquent. Œil pour œil, dent pour dent. Et je ferais semblant de fuir s'ils sont tous ensemble." déclare Max avec sa simplicité d'enfant, loin de ses arrière-pensées.

Fedor regarde le gamin avec intensité. "Dis moi ce qu'il y a dans ton coeur." demande-t-il alors. "Pas de mensonges, tu es un enfant tu as le droit de te tromper ou de penser des choses que les adultes ne trouvent pas bonnes ou intelligentes."

Fedor surestimait sans doute l'intelligence de l'enfant qui n'était pas aussi multitâches et capables de projection dans le temps que les adultes.
Qu'est-ce qu'il veut entendre ? Je ne comprends pas.
"Je ne me ferai plus avoir. Je vais devenir fort comme toi. Et si je n'y arriverais pas, je serais fort comme moi je suis censé l'être."

"D'accord, d'accord" l'enfant est bloqué sur le concept de force et oublie que la force est un instrument pour servir la justice et pas sa vengeance personnelle. C'est peut-être normal. Fedor n'a pas beaucoup d'expérience en la matière, il va voir avec les parents du petit. C'est eux qui décideront de la marche à suivre. De son point de vue une erreur c'est normal, la répétition d'erreur serait par contre plus problématique. Mais on n'est pas encore là pour le moment.

Le reste du trajet se passa et la neige tombait e plus en plus fort,une chance que la maison soit en vue. Ce fut la mère qui ouvrit.
"Maks, que t'est-il arrivé ? Tu t'es encore battu ?"

"En effet. Les petits l'ont poussé à bout avec leur attitude et leurs moqueries. Alors il a attaqué le petit chef de la bande. Courageux certes. Mais cela va à l'encontre de mon enseignement." commence Fedor. "Je vous présente toutes mes excuses pour n'avoir pas su correctement montrer la voie à votre fils. Il est jeune, ce n'est pas une excuses, mais c'est plus compliqué quand les autres sont méchants avec lui."

Fedor avait mal choisi la personne à qui présenter ses excuses, ou très bien selon le point de vue. Lyudmila était incapable de s'insurger contre un jeune homme sérieux qui n'avait pas anticipé que la garçon se battrait.
"Vous n'avez pas à vous excusez pour le comportement des enfants, monsieur."
Son urgence fut plutôt de sortir le désinfectant et la pommade. Max ne disait rien, attendant la réprimande qui ne tarderait jamais assez. Le grand-père était assis à côté et allait parler.

Fedor est rassuré. La mère ne l'avait pas incendié c'est déjà ça. Il a peut-être l'air d'un adulte, mais il n'a que 16 ans et "la peur" des figures d'autorité est encore forte chez lui. Il repère le vieil homme dans le coin, c'est déjà un personnage plus compliqué à manier. L'immense jeune homme se tourne vers le grand-père. "Vraiment désolé." ajoute-t-il encore l'air vraiment contrit. Ce n'est pas difficile, puisque c'est sincère.

"Je me doutais que ce genre de choses arriverait... (à Maksim) Dis-moi, bonhomme. Regrettes-tu vraiment ce que tu as fait ?
- …
- Ils n'auraient pas dû se moquer de toi. Je vais en parler à leurs parents. Un jour, vous pourriez être amis malgré tout..
- Jamais ! Je ne serai jamais leur ami !
Peut-être mais en tout cas, Fedor ne veut peut-être plus t'enseigner ce qu'il fait si tu t'en sers si mal. Réfléchis-y avec lui. Je vais régler ça."
Et Lev s'en va.

Nul doute qu'un ancien de la milice qui se déplace pour parler avec des parents devrait calmer certaines ardeurs. En tout cas c'est ce qui arriverait dans la campagne de Fedor où les miliciens sont rares mais puissants. Moins que les prêtres cependant.

"Tu as entendu bonhomme, faut réfléchir. Alors comment tu vois les choses ?" demande Fedor curieux de voir comment réfléchi le petit. Il s'attend à tout.

"J'ai pas gagné, encore."
C'était à peu près la seule certitude de Maksim mais le reste lui échappait encore. Il comprenait qu'il devait agir d'une manière qui lui laisse le beau rôle et rende ses adversaires impuissants en se faisant passer pour la victime tout en les asticotant, exactement comme ils faisaient. Œil pour œil, dent pour dent. Il devait être plus malin pour avoir enfin justice !

"Ca, on a tous vu. Moi directement et ta famille en regardant tes bleus et tes bosses." explique Fedor. "Comment tu vas faire en sorte que je continue à t'apprendre ?" demande le grand jeune homme. Il ne va pas laisser le petit s'en tirer à bon compte.

"Ca ne me dérange pas que tu te battes, tant que tu es dans ton bon droit. Ce qui veut dire que tu te défends contre une agression physique, ou que tu protèges quelqu'un d'autre contre une agression physique." explique le grand jeune homme. "Si tu comprends ça, alors nous pouvons nous entendre. Oeil pour oeil, dent pour dent. C'est ma loi." réexplique Fédor. C'est simple, et si la société ne peut pas vraiment fonctionner sur cette loi, il peut parfaitement en faire usage à titre privé.

"D'accord."
Au fond, c'était simple. S'ils se moquaient de lui, Max répliquerait par des moqueries et tant pis s'il est encore tout seul, il y aura bien un moment où il pourrait retourner la situation à son avantage.

"Maintenant il faut te soigner, un bon combattant sait quand il est nécessaire de se reposer." explique simplement Fedor. "Pour le reste tu n'as pas assez mis à profit ton endurance. Après à courir, c'est la meilleur des défenses et cela te permet de choisir le moment et le lieu de ton combat. Ca peut faire toute la différence." les bagarres de gosses sont aussi cruelles que celles des adultes et souvent les enfants ne s'embarrassent pas avec des questions d'honneur.

"Oui !"
La mère revint, elle était si discrète que Max ne l'avait pas entendu rentrer pour ramener le désinfectant et la pommade cicatrisante. Elle appliqua le produit et Max fit de son mieux pour contrôler sa réaction face à la douleur.
"C'est bien, tu es courageux, Max. Je vous remercie, Fedor, pour votre aide."

"C'est normal, c'est aussi de ma responsabilité. Si je lui apprends des choses, il doit les employer de manière adéquate." dit simplement Fedor. "Ce ne sont que des enfants, les bagarres sont encore sans grand conséquences." il regarde le petit qui joue au grand en prenant sur lui de ne pas gémir de douleur. Ca le fait sourire parce qu'il fait exactement pareil encore aujourd'hui. Pas question de montrer aux vétérans qu'il est en souffrance.