Je lève les yeux au ciel. Il est encore couvert. Ce qui signifie qu'il risque encore de pleuvoir, et alors, ce sera foutu. J'accélère encore le pas, même si on avançait déjà dans la végétation à un rythme soutenu. Je jette un oeil en arrière, pour voir si William suit toujours. Oui, il suit toujours. De mémoire, il m'a jamais lâchée. Ça fait environ une journée qu'on est sur la piste de ce crevard. Il nous a troqué un chargeur universel, une dynamo supposée pouvoir alimenter tout ce qui a une batterie. On lui aurait bien piqué, s'il avait pas eu deux potes et trois fusils. Donc ça m'a coûté un paquet de clopes neuf. Le problème... c'est que sa dynamo, c'est de la merde.

Donc en plus d'avoir les glandes, j'ai plus de clopes. Autant dire que ça va chier. Heureusement, la terre est encore humide. Je ne suis pas vraiment pisteuse, mais je sais parfaitement différencier la démarche d'un mort de celle d'un vivant. La trajectoire est régulière, le pas profond. Je suis sûre que ceux sont eux. Selon ma loi, il n'existe qu'un seul châtiment pour ceux qui essaient de nous la mettre à l'envers. La mort. Pour un paquets de clope, ouais. C'est ça, la fin du monde. Et puis, c'est une question de principe. Je me fous qu'ils soient trois : ils ont cherché la merde avec les mauvaises personnes. Le jugement approche, il approche à grands pas, et il a un marteau dans la main. C'est pas celui de la Justice, mais il saura rendre le verdict.

William suivait Alma d'un pas décidé, refusant qu'elle voit en lui un fardeau. Les clopes, c'était un sujet très sensible pour lui, et la, il avait perdu toute envie de faire preuve de clémence. D'un coup de poignet, il secoua son dernier paquet, pour n'entendre qu'une seule cigarette s'y balader. Il la fit glisser hors de son emballage, avant de l'allumer et de tirer dessus. Il rattrapa sa coéquipière, avant de lui tendre. "C'est la dernière, alors apprécie la."

Au simple son du briquet, mon cœur a manqué un battement. Puis, j'ai senti l'odeur enivrante du tabac. Je me retourne, pour me retrouver avec une clope sous le nez. Une clope. Il lui en restait une. Je la prends sans hésiter et tire une large bouffée dessus. Mes doigts crispés sur le filtre frissonnent, mes lèvres aussi, si bien que la fumée s'échappe de façon tremblotante entre mes dents qui s'entrechoquent. " Merci. " Une taffe. Pas plus. Je fumerai quand nous aurons récupéré ce paquet.

William reprit la cigarette entre ses doigts avant de la terminer. Si Alma voulait fumer plus, elle ne se serait pas gênée, alors il partit du constat que ce n'était pas le cas. Tandis qu'ils continuaient leur route, le jeune homme entendit des rires au loin. C'était eux... Ça ne pouvait être qu'eux. Il tapota alors à l'épaule de la norvégienne, pour lui faire signe de la main dans la direction des voix. Les probabilités qu'elle n'ait rien entendu était faibles, mais pas inexistantes. "Tu veux faire ça comment ?" chuchota-il alors.

Ouais, c'est eux. C'est forcément eux. Et même si c'est pas eux, ça va chier quand même. Je sens ma main qui se resserre sur le manche de mon marteau, si fort que j'ai peur de le briser dans ma poigne. La colère bouillonne en moi, chacun de mes gestes se fait violent, nerveux. Je fais signe à William de faire silence, le temps qu'on s'assure de la provenance des rires. Ah ouais, ça s'marre bien, hein... Plus pour longtemps. Je m'accroupis, me retourne vers William : " T'as quoi sur toi ? "

William posa alors son sac à dos au sol avant d'en faire l'étalage. Le jeune homme se plaisait à transporter un véritable arsenal artisanal sur lui, quand bien même ce dernier n'était composé que d'objets transformés pour blesser et dont la solidité laissaient à désirer. Au menu : du tuyau, deux trois briques, ou encore un lance-pierre bricolé d'un élastique et d'un morceau de ferraille. Cependant, son arme fétiche était une batte en fer à moitié tordue qu'il gardait dissimulée sous poncho. Il la saisit avant de répondre : "Et toi, tu prends quoi ?"

Des briques, un lance-pierre, un marteau... En face, deux fusils à double-canon, et une carabine. Ouais... Les armes, ça a de la gueule, ok. Mais c'est quand même mieux quand c'est chargé. Et les munitions, c'est rare. Je doute qu'ils en aient. Pas beaucoup, en tout cas. Moi aussi, j'ai un pétard. Ça fait une éternité qu'il ne reste qu'une balle dedans. Celle des grandes occasions. Celle sur laquelle tu graves un nom. Là, il sert surtout de déco à ma ceinture. Donc aujourd'hui, mes munitions, ce sera des briques. " T'as déjà vu un mec se prendre un parpaing dans la mouille ? "

"Pas vraiment, non." William referma alors son sac. Il tourna alors sa casquette pour la porter vers l'arrière. C'était sa façon à lui de dire que ça allait chier, et surtout, ça dégageait grandement sa visibilité. "Bon, on fait quoi du coup ? Ils sont trois, et d'aprés mes souvenirs, ils étaient armés. Perso, j'pense à la jouer fine... faut les effrayer, les séparer, ou les prendre à revers. T'en penses quoi ?"

Concentré comme il l'est à analyser le terrain, William ne le voit pas, mais je le regarde vraiment chelou. Il a encore fait son truc avec la casquette. Il fait toujours ça quand il se chauffe. Il a l'air un peu con, mais c'est marrant. C'est son truc, je respecte. Enfin bref. " On a qu'a leur jeter un max de trucs dans la tronche, sans jamais se montrer, et jamais du même endroit. Toujours en mouvement, dans les fourrés. Ils finiront pas essayer de nous allumer, au pif... Si leurs armes sont chargées. "

"Hum... Pourquoi pas." Le jeune homme resta stoïque, quand bien même il trouvait l'idée mauvaise. "Cependant... je pense qu'on va plus s'épuiser pour rien en plus de risquer de prendre une balle perdue. On jette pas une brique comme on jette un caillou, non ?" Il se gratta alors la tête. "Écoute, c'est risqué, mais je peux faire l’appât. Je pense pas qu'ils aient bien pu voir ma gueule la dernière fois, surtout dissimulée par ma casquette. Alors je les approche, l'air naïf, cherchant de l'aide, pendant que tu te faufile derrière eux. Je te laisse imaginer la suite. "

Bon, c'était peut-être une idée de merde. J'ai rarement les meilleures idées. Les plus expéditives, en revanche, ça ouais. William, il est plus dans la finesse. C'est un malin, le type. De nous deux, le stratège, c'est lui. Pourtant, quand j'entends son plan, j'ai envie de me marrer. Pas parce qu'il est naze, non... " Attends... Tu vas vraiment enlever ta casquette ? Bah merde, si j'avais su j'aurais amené le champagne. " Ouais, j'ai essayé de faire de l'humour, ouais. " Risqué, ça l'est. Mais bon, c'est ton idée... Démerde-toi pour pas me clamser dans les pattes. "

"J'ai jamais parlé de l'enlever, mais là, quand elle est à l'envers, on voit mon visage." Elle est bête, ou quoi ? "Je me fiche que ce soit mon idée, je veux juste savoir si elle est bonne. Si t'estimes que comme ça, on a les meilleures chance de s'en sortir gagnants, alors on y va, si t'as pas confiance en ce plan, je préfère que tu le dise maintenant. Sinon, c'est parti." William se redressa, il n'attendait plus que le feu vert d'Alma pour se mettre dans son personnage.

Wow, pas si vite ! Je me redresse, lui mets une main sur l'épaule pour le retenir. " Attends ! Mais les mecs ont vu tes fringues et ta casquette quand même, tu crois vraiment qu'ils vont être assez demeurés pour pas te reconnaître, juste parce que tu la mets à l'envers ? A ta place, j'enlèverai et ta casquette, et aussi ta veste. J'veux dire, tu vas te pointer devant trois mecs armés quand même, autant essayer de diminuer un max les chances qu'ils te reconnaissent, non ? "

Tss. "C'est mort." Il fit alors passer son sac devant lui avant d'y trifouiller. De là, il sortit un bonnet vert kaki, qu'il s'empressa d'échanger avec sa casquette. Enfin, il retira son poncho imperméable qu'il posa contre un tronc d'arbre. Son sac, il comptait le garder sur lui, déjà car il était à lui seul une arme de par son poids, et surtout par ce qu'il éveillerai chez ses enfoirés l'envie de le dépouiller, et donc, de baisser leur garde. "Ça ira, tu penses ?"

Je comprendrai jamais son délire, je crois. Je m'en fous, en plus. En tout cas, ce bonnet, ça lui fait carrément une autre tête. J'ai beau le regarder, j'vois rien qui m'choque. Ça devrait passer crème. " T'es bien. Ça va le faire. Donc moi... J'arrive par derrière... " Et ensuite ? Chais pas. Vais improviser. Avec mon marteau et... cette brique. Et un William. Ces trois trucs réunis suffiront à fumer trois types.

"Ok, un dernier petit détail..." Il dégaina alors un petit couteau suisse de sa poche de pantalon, pas vraiment de quoi tuer un homme, mais ça peut quand même piquer. Il se coupa alors dans le creux de la main, avant de se barbouiller la tête de sang, un peu par ci, un peu par là. Il prit un air déconfit avant de se lancer à la rencontre de ses adversaires du jour. Il s'approchait d'eux en boitant, quand il lança un faible : "Ai...aidez moi... Au secours...". Les trois hommes se retournèrent, l'un d'entre eux pointant directement son fusil sur le londonnien. Allez, fais vite Alma...

Les trois hommes prenaient apparemment une pause, près d'un gros rocher. C'est bien eux. Je reconnais ce gros dégueulasse, avec sa face jaunie par le tabac, et ses cheveux qui ont baigné dans la friture. Ses deux potes sont là. Plutôt grands, plutôt costauds. L'un d'eux a pointé son fusil vers William, les deux autres se sont juste retournés. Est-ce que cette arme est chargée ? Je dois me dépêcher. Lentement, faire le tour, regarder où je m... Ah merde ! Mes lacets ! C'est trop risqué... les lacets défaits... je dois d'abord...

Alors qu'il continuait d'essayer gagner du temps, un des hommes s'approcha de William. Apparemment peu disposés à l'aider, ils comptaient cependant bien le lester de tout ses biens, comme prévu. Toujours tenu en joue par le gaillard armé, William s’exécuta et retira son sac. Bordel, tu fous quoi ?! Elle va quand même pas me laisser crever là... Non, je dois lui faire confiance. "C...c'est tout ce que j'ai..." dit-alors le jeune homme, désignant son sac encore dans sa main. Putain, c'est maintenant ou jamais.

Plus je m'approche, et plus mon corps se tend. Ces enfoirés sont en train de dépouiller William. Je le savais, des crevards. J'aime quand j'ai aucune raison d'avoir des remords. Je le sens, ce rictus, qui déforme mon visage. Je ne peux pas m'empêcher de sourire. Rien que de penser aux sons que ça va faire. La douleur dans les cris, la peur dans les regards. C'est ça. C'est ça que j'aime. Une fois derrière le type du milieu, j'envoie ma brique dans la tronche du mec de gauche, celui au fusil. Le temps qu'il se la prenne, j'explose un genou de notre cible avec le marteau. Dommage, un seul hurlement. Le mec de gauche s'est écroulé.

Alors qu'un cri s'échappa de la forêt, William, lui, ne perdit pas de temps. Il saisit l'homme qui se tenait en face de lui par la nuque, avant de lui asséner un grand coup de boule du haut de son mètre quatre-vingt dix, a la suite de quoi il lui assena un plat du pied au niveau du genou droit. "Tiens, fils de pute, même si j'étais au bord de la mort, je me rabaisserai pas à demander de l'aide à un déchet comme toi..." L'homme, a genou en face de lui, implorait pour sa pitié. "C'est pas à moi qu'il faut essayer d'acheter ta vie, mais plutôt à celle qui est derrière toi."

Une brique, un marteau, et un William. C'est tout. Pendant que cette enflure d'escroc se tord de douleur par terre, je ramasse son fusil, avant de pointer le canon sur sa tronche. Clic. Je m'en doutais. " Tsss. " Je jette l'arme par terre. " Vous êtes des merdeux en fait. Vous préférez nous escroquer, parce vous êtes incapables de nous buter. Minable. " Lentement, je me dirige vers le gus que j'ai assommé avec la brique. " Moi, quand je veux prendre un truc à quelqu'un... " Je lève mon marteau, au-dessus du crâne d'un type inconscient, sans défense. " Je lui arrache de mes propres mains. " Et je frappe. Encore. Encore. Et encore.

Putain, c'est dégueulasse... pensait William, témoin du spectacle qui s'offrait à lui. Il aurait pu l'arrêter, en lui attrapant le bras au vol, ça aurait fait une magnifique scène dramatique... mais non. Non, ce chatiment, ils l'avaient mérité, ils avaient voulu jouer, et hélas, avaient perdus. Le jeune homme asséna un coup du tuyau en fer qu'il venait d'extirper de son sac sur le pauvre type qui se tenait agenouillé devant lui afin de l'assommer. Il faisait confiance à Alma pour finir le boulot. Il s'appuya alors contre un arbre, l'attendant patiemment.

J'aurais pu m'arrêter. Le type était mort depuis longtemps. Mais ça me fait un bien fou. C'est les petits moments de bonheur, comme ça, qui me donnent la force de continuer. Une vraie boucherie. J'espère que notre ami n'en a pas perdu une miette. J'ai hâte de voir sa tronche, quand je vais me traîner jusqu'à lui, le marteau encore dégoulinant du sang de son pote. J'ai hâte de croiser son regard. Celui, terrifié, d'un enfant qui fait face au monstre qui vivait sous son lit. Rien que d'y penser, j'éclate de rire. J'essaie d'essuyer le sang sur mon visage avec mon bras, mais ça ne fait que l'étaler davantage. Je dois faire peur.

D'un peu plus loin, William observait le macabre spectacle dont Alma était la principale protagoniste. Le pauvre gus avait pris tellement de coups de marteau que même sa propre mère ne l'aurait pas reconnu. Putain, mieux vaut qu'elle soit de mon coté mine de rien. "Alma, il avait nos clopes sur lui celui là ?" dit-il en désignant le cadavre au sol. Sans attendre la réponse, le jeune homme se dirigea vers ce dernier pour aller le dépouiller de ses dernières possessions.

" Ah ouais tiens, c'est con, j'ai pas eu l'occasion de lui demander. Jette un oeil ouais. " J'observe le dernier type encore conscient, notre escroc. Il est pitoyable. Il ne me regarde même pas, son regard ne décroche pas de mon marteau. Je sais exactement ce qu'il se passe dans sa tête. Ce qu'il ressent. Encore deux pas, et il va se pisser dessus. Et bim, ça a pas loupé. C'est marrant comme, face à la peur et à la mort, un homme perd toute dignité. Je lui colle le marteau sous le menton, redresse son visage. " Nos clopes. " Sans se faire prier, il extirpe un paquet abîmé de sa poche... Deux clopes. Il reste que deux putains de clopes.