Quand orc veut, orc peut. Ou pour ainsi-dire, il peut essayer.

Ne me demandez pas comment Asbjorn avait entendu parler de Viholvärakuuna, il ne s’en souvenait pas non plus. Il se rappelait deux choses à son sujet, il ne devait pas mal prononcer son nom, et opterait donc pour un vouvoiement salvateur, et il avait un immense trésor. Bien entendu, la nature de ce trésor ne l’avait pas marqué le moins du monde…

Dans l’esprit simplet du Hulk en cape et en épées, si un dragon gardait un trésor, il devait s’y connaître en trésors. Aussi pourrait-il peut-être le renseigner sur l’origine de l’anneau qu’il portait autour du cou ! C’est sûr et c’était-même certain ! On lui avait dit que ce serait dangereux, il avait traduit en ‘amusant’.  

Quand il avait quitté l’auberge où il séjournait, il avait un grand sac à dos et beaucoup d’espoir. Maintenant, et bien son sac était plus léger et il s’était fait une ampoule en un endroit bien peu stratégique, si bien qu’en progressant dans la forêt où il se trouvait, il grognait environ un pas sur trois.

Le Mont Rouge flamboyait de majesté sous le soleil couchant. Son gracieux Pic s'élevait telle la Flamme d'un Dragon vers le Ciel qui se teintait des couleurs de Dame Nuit. Lové sur les flancs arrondis de son sommet, dans la duveteuse couverture des Nuages, Viholvärakuuna émit un roucoulement satisfait. Pas un seul Flocon de Neige pour entacher la Splendeur de son Mont Rouge. Voilà qui était Parfait. Son regard dériva vers le nord où il savait que siégeait son rival, ce maudit Vistustaja et sa malédiction de Glace. Le dragon se redressa en un grondement sourd, Tonnerre frémissant d'une terrible Foudre ; ses Mots chantèrent un Sombre Destin.

Vous savez ce qu'on dit ? Une jambe après l'autre ! C'est pas toujours évident, surtout quand on grogne tous les trois pas. Foutue ampoule !

C'est p't'être parce qu'il est en train de rager qu'il ne se rend pas compte que le temps est en train de changer. Le vent en train de tourner, les bois tantôt accueillants se font inhospitaliers, le ciel se couvre et on n'entend plus guère le chant des oiseaux... Ce genre de petits détails qui pourraient avertir que faire demi-tour ne serait pas un mauvaise idée, pour tout orc qui saurait les écouter...

Les Mots de Feu se fracassèrent avec Fureur contre la malédiction de Glace de Vistustja mais il avait beau y mettre toutes ses Flammes, toute la Hargne de son Coeur de Feu affaibli, tout le Brasier de sa Colère, il ne possédait pas LE Mot de Chaleur qui romprait le sort. Et Vistustaja le savait bien. Sa présence se replia donc prudemment hors du Territoire du Mont Rouge, quêtant la Faiblesse de son Maître. Mais Viholvärakuuna n'était pas encore moribond, merci bien ! Il trompeta sa Victoire dans cette bataille et prit son envol pour inspecter SON Territoire...

Et que voilà ! Un Intrus !

Une Ombre rougeoyante s'abattit sur lui.

Il faut être bien sot pour ressentir de la joie en voyant une ombre de crocs et d'écailles rouges s'approcher de soi. Et pourtant, l'orc se réjouit à l'idée qu'il n'aura pas à marcher plus longtemps sur cette satanée ampoule. Aussi il s'arrête pour voir fondre sur lui l'ombre qui vient de le survoler, il va même jusqu'à faire des grands signes de bras au dragon quand il voit ce dernier le survoler... Pauvre fou...

Il survola l'Intrus en une  bourrasque de vent. Ses oreilles claquèrent contre ses oreilles alors que l'hurluberlu s'agitait dans tous les sens. Viholvä le fouetta de sa queue au passage et atterrit sur une colline plus loin, une vapeur épaisse encerclant son corps massif - replié sur lui-même, le dragon réussissait en effet à en imposer face à... un orc ? "Que fais-tu sur MON Territoire, Orc ?" gronda Viholvä, crachotant des étincelles à chaque syllabe. Sa queue fouettait l'air derrière, abattant quelques branches ; il devrait penser à revenir changer la décoration du coin.

Se faire balayer comme un fétu, check. Ouvrir des yeux pleins d'administration, check. Retrouver son souffle pour parler, pas check. La scène est assez drôle, un orc à la mâchoire béae d'admiration qui se tient les côtes, et ne réussit finalement à dire que :

"Vous êtes magnifique !"

Comme faire de la gringue à un dragon pouvait lui sauver la vie, pauvre orc.

Les oreilles du dragon se dressèrent subitement et il se déroula de sa position menaçante en roucoulant des flammèches adoucies. "Ah... certes, oui. Tu dis Vrai, Orc." C'était sans doute le plus étonnant : il ne ressentait pas le mal de tête du mensonge. Mais Viholvä fixa soudainement l'Intrus d'un regard mauvais. "Mais là n'est pas notre affaire. Tu n'as pas répondu à ma question, Orc. Que fais-tu sur MON Territoire ?! Si tu tiens à la Vie, disparais ! Je ne suis pas d'humeur aux invités surpris, et peu désirés." Quoique curieux, le dragon n'en restait pas moins fatigué. Pérorer ses Mots menaçants le laissait endolori. Fichu Vistustaja !

Ne pas se faire croquer semblait un bon début, mais ensuite il fallait demander de l'aide.

"Pardon, j'en oublie mes manières !" tendrement enseignées par Moira.

"Je me nomme Asbjorn, fils de personne." il n'était donc plus un étranger. "On m'a dit votre grande sagesse, et votre grande connaissance en toute chose ! Nul autre que vous ne saurait me venir en aide !"

Fils de Personne ? Pendant quelques minutes, le dragon rêvassa dans l'écho d'un autre monde. Mais l'éclat d'onyx de ses yeux, d'où les flammes se retiraient peu à peu, scintilla bientôt d'intérêt. "Grande est en effet ma sagesse et grandes sont mes connaissances." Il détourna un peu le regard pour marmonner à lui-même. "Du moins pour un dragon de mon âge..." D'un bond subit, il se dressa devant l'Orc qu'il observa plus minutieusement de son oeil aussi gros que les poings de la créature. "Que désire demander Asbjorn fils de Personne à Viholvärakuuna fils de Valkulohikäärme, Maître du Mont Rouge et Lieur des Mots de Pouvoir ?"

"Je cherche l'origine de cet anneau !" dit l'orc sans trop d'enluminure, un orc et les babioles c'est pas souvent compatible. Par contre il avait bien compris que raconter son histoire c'était compliqué, les gens n'y comprenait pas souvent grand-chose. "C'est mon seul lien vers les miens, j'ai été élevée par une humaine."

Un ANNEAU ? Par tous les Mots ! Quelles sornettes avait-on raconté à cet orc ? Viholvä en trompeta des gerbes de vapeurs, s'agitant sur ses pattes, l'esprit en surchauffe. Il ne pouvait pas énoncer la vérité - un humiliant "Je ne sais pas." - alors que l'orc l'avait tellement flatté, et sans mentir. Sa réputation serait irrémédiablement souillée ! Et Vistustaja qui guettait la moindre once de faiblesse...

NON ! Cela ne se pouvait pas !

Les oreilles du dragon claquèrent et il calma subitement. Mais bien sûr... Il était un Maître Chante-Mage, par tous les Hiisi ! "Et si nous allions interroger le passé, Asbjörn fils de Personne ?"

L'autre solution pour ne pas que sa réputation soit souillée eut été de faire des brochettes d'orc. Personne ne serait alarmé de la disparition d'Asbjörn avant des années. Heureusement pour son histoire, il n'y mit pas un point final.

"Bien sûr !"

Il n'avait pas tout compris, mais il était encore intègre malgré le spectacle ô combien ravissant en sons-lumières et chaleur auquel venait se se livrer le dragon. Dragon qui semblait avoir accepté de l'aider, il ne pouvait plus faire demi-tour.

"Bien." Le dragon ferma subitement sa gueule et baissa sa tête vers l'orc, un sourire plein de crocs étirant ses babines. "Mais Viholvärakuuna le Chante-Mage ne fait rien pour rien ! Qu'offres-tu en contre-don pour qu'un chamane de mon acabit te mène visiter le passé lors d'une volvä dans l'Entremondes ?"

Non mais il lui pose de ces questions compliquées. Il n'a pas grand chose à offrir. Pas bien riche. Pas bien intelligent. Pas beaucoup de choses.

"Je te devrais un service." c'était sans doute bien dangereux...

Le dragon renifla et une vague de chaleur déferla sur l'orc. Son dos s'arqua en une immense arche d'écailles hérissées et il gronda sourdement le Tonnerre de son Agacement. "Serais-tu venu me solliciter sur MON Territoire sans songer au don que tu me devrais, Asbjörn fils de Personne ?!" tonna Viholvä en foudroyant l'orc de ses yeux jaunis par ses Flammes intérieures. "Que ferais-je bien de tes "services", orc ?! Je suis le Fils du Vent et du Feu, je converse avec Dame Mer et Mère Nature, et mes Yeux voient le Passé, le Présent et les Futurs ! Alors, je me répète, mais ma Patience s'amenuise, que m'offres-tu pour ma Volvä ?"

Orc devant réfléchir vite et bien, orc ne réfléchis pas.

"Il me semble plus poli de vous offrir ce qui vous plairait plutôt que de vous offrir quelque-chose qui ne vous intéresserait pas, je ne sais pas ce qui intéresse un être aussi magnifique que vous."

Il parlait bien pour un orc, cet Asbjörn. La Curiosité de voir un orc ayant bénéficié d'une éducation était déjà une partie du contredon. "Tu me raconteras ton histoire, Fils de Personne, et pourtant Fils éduqué." Le dragon se gratta les écailles de la joue et tordit du museau. "Quant à ce je désire, je ne pense pas qu'un petit orc puisse m'aider, mais à tout Hasard, je quête les Mots de Chaleur pour défier Vistustaja, maudit soit-il par les mille Hiisi, qui désire me voler MA MONTAGNE !!" Il finit sa phrase en hurlant vers le ciel, en direction de la grotte où se terrait son rival puis renifla en retournant vers l'orc. "Alors ?"

"Je voyage beaucoup, j'entends beaucoup de mots et beaucoup de langues, je peux repasser de temps en temps vous dire les nouveaux !"

Orc de peu de savoir il proposait ce qu'il croyait comprendre, bon il faudrait qu'il se munisse d'un carnet et d'un crayon, parce qu'il n'était clairement pas capable de retenir des mots étrangers comme ça !

Les naseaux du dragon se gonflèrent d'un souffle désabusé. "Qu'attendais-je ? Il y a déjà beaucoup de savoirs dans ta petite tête, pour un orc." C'était même la plus longue conversation qu'il ait eu avec une peau-verte. "Je vais donc te faciliter la tâche. Plus qu'un Mot - car tu ne me parles que de mots - je vais te demander de trouver le plus beau papillon qui soit dans ta vie. Je serai encore là quand elle se terminera... et jamais je n'oublie un don qui m'est dû." Ses pupilles se rétrécissent jusqu'à disparaître derrière la lueur rougeoyante des flammes. "Avons-nous un accord ?"

Un papillon ? L'idée que le dragon se jouait de lui traversa l'esprit de l'orc, mais il savait qu'il aurait tort de ne pas accepter sur le champ ! ( même si l'idée de se balader avec un filet à papillon lui semblait encore plus saugrenue que celle de porter de quoi écrire sur lui...)

"Nous avons un accord. "

Il devenait sans doute le premier de son espèce à conclure un Pacte avantageux avec un dragon. Prouvant une fois de plus ses qualités de négoce...

Le dragon renifla. "La tâche sera sans doute plus ardue que tu ne le penses. Car Viholvärakuuna a vu bien des Papillons en ce monde, et il en faudra un beau spécimen pour le surprendre. Mais j'accepte." Il prit appui sur ses pattes et s'envola soudainement. Un looping suivant et il plongeait vers l'orc pour l'attraper entre ses pattes.

Si dans sa vie Asbjörn avait fait plusieurs vols planés, il n'avait jamais volé. Sitôt le sentiment qu'il allait tomber disparu, ou plutôt, sitôt le sentiment qu'il pouvait tomber accepté il put apprécier le voyage !

"OUAOU ! C'est trop beau !"

Orc de peu d'instinct de survie...

Par tous les Mots, mais comment cet orc avait-il réussi à atteindre l'âge adulte s'il se félicitait d'être brusquement enlevé dans les airs ? N'avait-il jamais appris à craindre les aigles ? Au moins semblait-il s'amuser...

Viholvä ramena soudainement ses pattes sous lui et piqua en un tourbillon écarlate pour s'engouffrer dans le coeur du Mont Rouge. Ils débouchèrent rapidement dans une grande salle souterraine où un bain de lave flambait chaleureusement derrière une grande plateforme rocheuse sur laquelle se dressait un arbre immense. Des centaines de papillons multicolores voletaient ici et là, indifférents à la chaleur ambiante.

"C'est chez vous ?" demanda l'orc alors que les poils de son nez tantôt couverts de la glace formée par le froid du vol se trouvaient maintenant frisés quand s'évapora l'eau chassée par la chaleur de la lave. Tout était incroyable pour Asbjörn qui n'avait jamais vu autant de papillons en un même endroit.