Rappel du premier message :




J'traine les pieds en sortant de  cours, j'ai pas envie de rentrer. Je serre les dents en regardant mes camarades se rendre en athlétisme. Foutue cheville. J'entends le médecin me dire "si vous forcez sur cette cheville avant qu'elle ne soit réparée vous le paierez toute votre vie." Il en sait quoi ce vieux blaireau ? Enfonçant mes mains dans mes poches et montant d'un doigt expert le volume de la musique qui pulse dans mes oreilles, je prends la direction de chez moi... Ou presque. Je n'ai pas le droit de courir, je l'ai compris, mais j'vais certainement pas me priver d'une petite promenade.

C'est ainsi que je me retrouve au détour d'une rue... Face à un groupe de manifestants, des antis-mutants. Ils n'ont rien de mieux à faire sérieusement ? On est en Amérique, bordel, s'il y a bien un pays qui s'est construit sur la mixité c'est nous. Je lâche un soupire dédaigneux et monte le volume de mes écouteurs avant de faire demi-tour. Ok pas par-là. Le détour sera plus long qu'escompté. Je ne passe que rarement par ces quartiers, réservés aux bobos trop friqués. C'est calme. Les oiseaux chantent... De la fumée me pique les yeux, je les plisse pour en faire s'écouler quelques lames et les dirige vers la source de ces émanations. Un gamin ? A peu près mon âge.

"Tu fous quoi ?" j'lui lance.

On ne peut s'empêcher d'éclater de rire avec Diana en voyant la rougeur gagner les joues du jeune homme. Quand il s'engouffre derrière la porte ouverte je demande à la femme :

"Il a toujours été sur la défensive comme ça ?"

Il était revenu sur ses pas car il voulait quand même savoir ce qu'elles disaient à son sujet. Le visage sombre, Rosario écouta donc Diana et Lucie discuter. "Ah ça... Le p'tit Sario ne voulait pas venir ici. C'est comme si on avait arraché une plante à sa terre. Il n'arrive pas à pousser ici." La voix de Diana était profondément triste et Rosario sentit un noeud de culpabilité se créer dans son ventre. Avant de céder à la colère : de quoi se mêlait-elle ?!

"C'est dommage, quand on le voit avec les animaux, il est vraiment différent."

Il me donne l'impression de vouloir repousser le monde entier, mais déraciné et repoussant l'univers il risque de finir par mourir de solitude. C'est triste. Et je suppose que ça ne me regarde pas.

"Ca vous dérange si j'entre ? Je suis un peu curieuse de voir à quoi ressemble votre refuge."

"Non, mon chou, tu peux rentrer." Alors que Diana ouvrait la porte à Lucie, Rosario bondit sur ses pieds pour se barrer avant qu'elles ne voient qu'il espionnait leur conversation. Le refuge était constitué d'un hall pour accueillir les visiteurs puis d'un immense chenil avec des espaces aussi grands que possible pour que le cani puissent courir. Quand ils sentirent Rosario, i cani se mirent à aboyer en une fanfare de joie et d'excitation.

"Il nous écoutait." je constate quand j'arrive bien trop rapidement dans le chenil. Il y a ici des dizaines de chiens et s'il ne s'agit pas de barreaux de prisons je comprends malgré-tout qu'ils sont en enclos. Sans doute qu'un chenil à l'intérieur d'une ville ne peut pas être plus grand.

"Vous avez besoin d'aide pour quoi que ce soit ?" je demande en parcourant l'espace du regard.

Diana le fixa du regard et il lui jeta un regard noir, mais ce fut tout. Ils décidèrent d'un commun accord silencieux de faire comme s'il n'avait jamais entendu la conversation. "Oh, mon chou, tu peux nous aider à nettoyer les chenils." Diana lui indiqua du bras un débarras avec des râteaux, des pelles et des sceaux. "Et on est jamais contre des dons. J'essaye d'acheter le terrain de l'autre côté pour agrandir. Et tous ces pauvres chéris cherchent une maison."

Habitant en appartement avec un animal de compagnie nommée petite soeur, je ne m'imaginais pas ramener un chien à la maison.

"Je vais vous aider. Je commence par où ?"

Je jette un coup d'oeil sur mon téléphone et programme une alarme pour ne pas rentrer trop tard. Je prends tout de même la peine d'envoyer un texte à mon père pour ne pas qu'il s'inquiète. Puis je retroussais mes manches et jetait mon sac et mon blouson en vrac dans un coin avant de me mettre au travail.

Alors que Diana lui indiquait quels enclos nettoyer, Rosario prit son propre matériel pour se diriger dans le coin le plus éloigné, suivi par une myriade di cani surexcités de le voir. Il avait besoin d'espace... mais di umani, pas di cani. Rosario ne chasserait jamais un cano de sa présence. Au moins, la ragazza stupida était travailleuse, ce qui le changeait des principesse peuplant la sua puttana di scuola. Et lui rappelait le ragazze de chez lui, nella sua bellissima Sicilia. E... cazzo ! Même éloigné, il pensait encore à elle et ça l'énervait. Cazzo ! Dans un geste rageur, il se concentra sur sa tâche.

Je suis clairement moins appréciée de la gente canine que Lupo, ou Silvio, ou Rosario. Ok j'ai rien compris à son prénom en fait. En tous les cas peu à peu les animaux s'emblent s'approcher de moi et lorsqu'ils comprennent que je ne suis pas avare en caresses ils y viennent même avec joie. C'est beaucoup trop cool ! Mes parents ont toujours refusé qu'on ait autre-chose que des hamsters à la maison !

"Tu as trouvé cet endroit comment ?" je demande au garçon qui fait genre que je n'existe pas...

Son sursaut lui fit lâcher son balai qui finit dans la gueule amusée d'un gros berger allemand. Cazzo ! Rosario jeta un regard noir à la fille. Ce ne fut qu'après avoir amadoué il cano et rangé ce fichu balai qu'il daigne lui répondre. "Un jour que je séchais." Il avait juste stalké des gens qui parlaient d'adopter un cano au refuge. "Signora Diana a besoin d'aide et c'est plus intéressant questa merda si scuola."

Un sourire se dessine sur mes lèvres alors qu'il sursaute quand je lui parle, voilà ce qui arrive quand on m'ignore ! Je comprends toujours pas comment il a rencontré Diana quand elle avait besoin d'aide... Je crois que c'est lui qui a besoin d'aide pour réussir à raconter une histoire.

"Tu la connaissais déjà où tu l'a rencontrée à ce moment-là ?"

"Je l'ai rencontré à ce moment-là... T'es bien curieuse, stupida !" Oui, il avait décidé que ce serait son surnom officiel et n'allait pas en démordre. Surtout qu'elle le faisait chier, cazzo ! Comment Diana pouvait-elle la voir come la sua ragazza ? Mai !

"Faut vraiment que t'arrêtes les insultes, ça te dévalorise énormément. C'est dommage de donner l'impression d'être un petit con quand on ne l'est pas !" dis-je sans le regarder, bien trop occupée à faire des papouilles à un epagneul breton.

Natalia lui aurait dit d'accepter la perche tendue et l'offre de paix mais Rosario était trop enfermé dans sa colère. "Qu'est-ce que tu en sais d'abord, hein ?" gronda-t-il en montrant les dents. Les automatismes pour se rendre désagréables - et se faire renvoyer nella sua bellissima Sicilia ??! - étaient fermement ancrés en lui.

"J'en sais que tu m'as insulté un nombre incalculable de fois, alors que tu m'as montré en même temps que tu avais un grand coeur. Si je m'étais arrêtée à tes insultes je n'aurais jamais atterri ici."

La curiosité et le temps en perdre sont de bons conseillers. Seulement il est vrai que c'est agaçant à la longue de se faire insulter.

"J't'ai pas demandé de me suivre !" cria Rosario avant de réussir à fermer sa grande gueule. Cazzo ! Elle cherchait quoi cette fille avec ses airs moralisateurs ? Il avait ses foutues raisons d'agir comme ça ! "Je ne veux pas m'intégrer ici, c'pas chez moi, je veux rentrer ! Non sarò mai un americano! Mai !" Son explosion l'étonna le premier et il resta un moment à fixer le vide avec de grands yeux interloqués, la respiration trop vive.

"Et ne pas être chez toi te donne le droit d'être irrespectueux avec les autres ?" je demande en cachant les oreilles du chien que je suis en train de caresser, m'attendant à ce que Rosario monte encore d'un ton. Il ne m'a pas demandé de le suivre, mais si je ne l'avais pas fait je penserais encore que ce n'est qu'une brute débile qui cherche le moindre prétexte pour se battre...

Diana leur jeta un coup d'oeil depuis la cuisine où elle préparait les gamelles di cani et Rosario se calma subitement pour ne pas affiler i suoi amici à poils. Il gonfla des joues et souffla en fusillant du regard la fille. "No. Mais je ne cherche pas à être agréable." Il détourna les yeux en enfonçant ses mains dans ses poches. "Et peut-être que je serai renvoyé nella mia bella Sicilia." marmonna-t-il d'un air boudeur.

"Si on te renvoie on aura encore décidé pour toi. Tu es presque adulte, tu pourras bientôt choisir par toi-même de rentrer. T'as peur de quoi, qu'on se rende compte que t'es pas con, ou peut-être de t'attacher aux gens d'ici ?"

Ouai, alors j'le connais depuis quoi une heure et demie ? Franchement pourquoi je m'en mêle ? J'pourrais simplement reprendre mes cliques et mes claques et me barrer...

Il s'hérissa comme un hérisson en gonflant les joues. "Je... oh et puis, cazzo." Il se détourna d'elle - refusant de lui accorder qu'elle avait raison - et siffla quelques chiens avec leurs noms. "Je vais les laver, Diana !" cria-t-il en partant vers la cour où se trouvait une douche à l'air libre.

"Gamin !" je souffle quand il repasse à proximité, je m'en retourne vers Diana. Si je tarde trop j'vais me faire disputer ce qui ne me plaît jamais une dernière caresse pour les chiens et... Je me mords la lèvre pour ne pas crier. Un chien d'un demi-quintal vient de me foncer dans les jambes pour jouer. Si ma cheville n'était pas déjà blessée je n'aurais sans doute pas bronché. Là je prends de grandes inspirations pour ne pas pleurer de douleur. Tout va bien Lulu. Tout va bien.

Il avait le tee-shirt remonté aux coudes et trempé des jeux di cani quand il vit la scène de loin. Rosario n'hésita pas à instant. Il éteignit l'eau en lâchant le robinet et trottina jusqu'au chien foufou et la fille. Il entoura il cano de ses bras, le cou suffisamment épais pour qu'il n'en fasse pas le tour, et le tira vers lui. "Doucement." gronda-t-il et il cano baissa les oreilles en couinant légèrement. "Scuza... C'est un chiot. Il n'a pas encore conscience de sa taille." Rosario fronça les sourcils en la fixant. "T'es blessée ?"

C'est jamais hyper agréable quand tu viens de te ramasser et que quelqu'un accourt. Il pouvait pas rire tranquillou dans son coin ?

"Non ça va." je fais la fière...

Mais quand j'me relève, je grimace. Foutue cheville. Sauf que la fierté m'empêche de dire que j'ai mal. J'ai plus qu'à attendre qu'il retourne à ses chiens pour partir en boitillant, mon égo plus blessé encore que ma cheville.

Rosario avait peut-être des difficultés à comprendre les nuances du langage, surtout dans une langue étrangère - en aucune cas, deuxième langue natale même s'il partageait la nationalité (cazzo !) - mais il savait particulièrement bien lire le langage corporel. Il travaillait con i cani. Et cette grimace-là, elle disait "J'ai mal mais je veux le cacher." Il haussa un sourcil. "Cazzo..." bougonna-t-il, car il se connaissait bien. Et il ne pouvait pas faire comme si tout était normal. "Tu mens, ragazza... Et c'est pas une insulte !"

D'où je mens ? J'mens pas moi. Ça va. J'ai pas dit que ça allait bien, juste que ça allait. J'ai pas menti d'abord ! Ok. Lulu. Tu se calme. Cimer.

"ça veut dire quoi si c'est pas une insulte? "

Changer de sujet pendant que je teste ma cheville en contractant au maximum mes muscles. C'est pas agréable... Mais ça va. Pas le choix.