Rappel du premier message :




J'traine les pieds en sortant de  cours, j'ai pas envie de rentrer. Je serre les dents en regardant mes camarades se rendre en athlétisme. Foutue cheville. J'entends le médecin me dire "si vous forcez sur cette cheville avant qu'elle ne soit réparée vous le paierez toute votre vie." Il en sait quoi ce vieux blaireau ? Enfonçant mes mains dans mes poches et montant d'un doigt expert le volume de la musique qui pulse dans mes oreilles, je prends la direction de chez moi... Ou presque. Je n'ai pas le droit de courir, je l'ai compris, mais j'vais certainement pas me priver d'une petite promenade.

C'est ainsi que je me retrouve au détour d'une rue... Face à un groupe de manifestants, des antis-mutants. Ils n'ont rien de mieux à faire sérieusement ? On est en Amérique, bordel, s'il y a bien un pays qui s'est construit sur la mixité c'est nous. Je lâche un soupire dédaigneux et monte le volume de mes écouteurs avant de faire demi-tour. Ok pas par-là. Le détour sera plus long qu'escompté. Je ne passe que rarement par ces quartiers, réservés aux bobos trop friqués. C'est calme. Les oiseaux chantent... De la fumée me pique les yeux, je les plisse pour en faire s'écouler quelques lames et les dirige vers la source de ces émanations. Un gamin ? A peu près mon âge.

"Tu fous quoi ?" j'lui lance.

"T'as vraiment pas l'oreille..." marmonna Rosario en se rendant compte que la fille ne s'émouvait guère de la question des cigales. Un marmottement de sicilien en dit long sur le fond de sa pensée. Mais il fut coupé par la question... étonnante. Habituellement, c'était le moment où on se fichait de lui pour se sentir mal pour une raison aussi débile. S'il devait en croire ses détracteurs. "Mio padre est d'ici. Son boulot était plus important." Il renifla en tournant la tête, une moue mauvaise au visage ; douleur, colère, bouderie. Il ne savait même pas ce qu'il affichait comme tronche. "Cazzo..."

Patientant toujours dans la salle d'attente, je m'intéresse au jeune homme essayant de comprendre la raison de sa colère.

"Avait-il réellement le choix ?"

S'il pouvait ne pas me fusiller du regard, ce serait un petit peu mieux quand même. J'essaie de comprendre, est-ce que son père avait été obligé de partir pour le travail ? C'était souvent le cas, avec ma sœur nous avions du subir plusieurs des mutations de nos parents. Certes nous étions deux, cela avait été moins éprouvant.

"Bien sûr !" siffla Rosario avec emportement. Cette fille stupida prenait la défense di suo bastardo padre, maintenant ? Il avait gagné le pompon, cazzo ! Il se renfrogna dans son coin, les épaules tendues dos à la fille. Ses bras tremblaient de colère (et de rien d'autre !). "A cause de lui - il bastardo ! - miei nonni sont morts sans que je sois là pour leur dire au revoir." gronda-t-il subitement en montrant les dents. Mauvais, ça. La rabbia s'enflammait.

Alors j'imagine qu'il a des raisons d'être en colère. Bien que j'imagine que ce ne soit pas si manichéen qu'il le vive, à notre âge on a tendance à tout vivre comme une injustice au lieu de profiter de ce qu'on a. Franchement quand on arrête de se battre contre ses parents on gagne un temps et une énergie monstre !

"J'ai pas compris qui était mort, mais je comprends que tu sois en colère." j'avance une main vers son épaule, mais m'abstient finalement de la poser.

"Tu comptes faire quoi ?"

Il lui jeta un regard torve qui tendit à s'adoucir alors que sa colère s'apaisait ; elle l'écoutait, ce qui était rare. "Mes grands-parents." marmonna-t-il dans un rictus douloureux. "Ils élevaient des chiens de protection contre les loups." Sa voix s'était faite mélancolique et il chantonna quelque chose en sicilien, visiblement perdu dans ses souvenirs. Puis se secoua comme un chien pour se recentrer. "Je veux travailler avec les chiens, aussi." Une grimace déforma ses traits. "Mais mio padre..." Il cracha le mot. "Il m'oblige à étudier l'économie, avec ces bastardi de connards comme l'autre couillon, là. Cazzo !"

"Ca n'a pas l'air très marrant..."

Je comprenais mieux beaucoup de choses.

"Qu'est-ce qui t'empêche de faire ce que tu veux ?"

Parce qu'en vrai, à moins que son père le dépose tous les matins avec 3 geôliers à l'école, il pouvait prendre la clef des champs. Ou du moins sécher.

"J'ai l'air d'être en cours, peut-être ?" Il retint le stupida par égard pour son écoute mais son reniflement était éloquent. A vrai dire, il n'avait pas l'habitude des filles. Juste ses cousines qui vadrouillaient dans Syracuse comme les garçons, et recevaient les même propos. "Mais j'peux pas payer l'école sans son argent, cazzo. Alors j'viens observer il Dottore Harris. Et j'aide les refuges du coin. Et j'vais un peu de pet-sitting."

Rosario lui jet un regard passionnément revanchard. "Jamais. Plus jamais je ne lui obéirai." Pas quand il l'avait trahi en lui arrachant la sua bellissima Sicilia. "Soit il se pliera à ce que je désire, soit il me perdra. T'façon, dès que j'suis majeur, je dégage de sa maison. Mamma sera un peu triste, mais moins de nous voir nous gueuler dessus l'un, l'autre." Il fronça du nez en grommelant : "Cazzo di bastardo."

J'hausse les épaules.

"Dommage ça aurait été drôle, retourner ce qu'il veut contre-lui."

J'aime le sens de l'ironie, je trouve ça bien plus plaisant de niquer les gens en faisant ce qu'ils veulent. Leur prouver qu'il faut se méfier de ce qu'on désire.

"Il en a encore pour longtemps ton dottore ?"

"No, j'pense pas." Justement, il Dottore Harris ressortit avec le chiot dans les bras. "Il va plutôt bien. Mais, Rosario, tu diras à Diana qu'il ne supporte pas d'être enfermé dans un petit espace. Donc fais attention sur le chemin, il n'y a pas de caisse." Il lui tendit le chiot qui se lova dans ses bras avec un soupir de contentement. Rosario sourit doucement en le berçant. "In bocca al lupo, Dottore ! Il ira bien, vous verrez, la chance va lui sourire maintenant. Grazie, Dottore !"

"Merci m'sieur !" dis-je en emboîtant le pas au sicilien grincheux.

"On va où maintenant ? C'est qui Diana ?

Non j'ai pas encore décidé de me casser. La curiosité et le temps libre sont le terreau fertile de l'oisiveté.

"Diana, c'est la mamma du refuse Aux Petites Pattes. Il Dottore Harris travaille avec elle quand il récupère des animaux errants." répondit Rosario en la dépassant. Il ouvrit la porte, réajusta le chiot dans ses bras, et... daigna attendre que la fille sorte. "Au fait, mi chiamo Rosario della Lupa." dit-il subitement.

Tiens c'est vrai qu'on s'est pas présentés. Oui j'ai capté qu'il se présentait, mais je suis pas certaine qu'il s'appelle Lupo ou Rosario... J'vais rester au tutoiement, c'est quand même plus simple.

"Lucie Denvers." comme ça je suis polie et tout !

"Faudrait pas le laisser marcher seul ?"

Je sais pas, mais on m'a toujours dit de ne pas porter les animaux...

"Il a subi un choc, et il est encore terrorisé." Pour ponctuer ses mots, le chiot sursauta en couinant quand une voiture passa près d'eux. "Je le laisserai marcher quand il sera dans un environnement sécurisé et apaisant." Aka la casa di mamma Diana. Heureusement, ils y seraient en moins de 10 minutes. Il commençait même à apercevoir le toit bariolé du refuge.

Zéro logique, il a pour donc on le porte dans les bras d'un inconnu en disant que c'est mieux pour lui.

"Et dire que tu ne comprends pas ton père, mais toi aussi tu décides de ce qui est le mieux pour ce chiot..."

Ok je cherche peut-être un peu la merde...

Un regard noir lui répondit. N'avait-elle pas vu le chiot fourrer sa tête sous son bras quand la voiture était passée ? Il n'avait même pas envie de lui répondre. Car il gueulerait et, là, le chiot sera effrayé. Il se contenta donc d'un reniflement et reprit sa route d'un pas plus rapide, décidé à ignorer la fille. Stupida, qu'il avait dit. Quand il arriva enfin dans le cul de sac qui menait au refuge, il posa délicatement le chiot au sol et, bien qu'il gémisse pour retrouver la sécurité de ses bras, Rosario secoua la tête. "No. Maintenant, il n'y a plus de raison. Pas de voiture ici, pas de danger." Il lui tapota la tête d'encouragement.

Il m'ignore. Genre vraiment, mais au fond qu'est-ce qui lui permet de dire que son père n'en sait pas plus que lui sur les raisons de leur venue ici. C'est le problème, dès lors qu'on décide de ce qui est le mieux à la place d'un autre, et même si c'est effectivement le mieux on devient comme son père. Les portes du refuge s'ouvrent à grand bruit et le chiot après avoir vainement tenté de remonter dans les bras de Lupo partir vers la sortie de l'impasse en japant.

S'il n'avait pas décidé de l'ignorer, Rosario aurait lancé un regard à la fille pour lui dire "Je te l'avais dit !". Mais il continue de l'ignorer et se dirige lentement vers le chiot qui s'est réfugié derrière un buisson. "Tutti va bene, piccolo." susurre doucement Rosario en s'accroupissant devant la cachette. Il n'y met pas les mains, préférant laisser le chiot choisir de revenir, émettant des sons appris en observant les chiens. De doux jappements d'appel. Bientôt, une truffe curieuse sort du feuillage puis une tête qui cherche des caresses. "Tutti va bene." répète-t-il en se relevant. Le chiot le suit cette fois-ci, entre ses jambes.

Il me jette un regard noir comme si c'était de ma faute, mais s'il l'avait rassuré et lui avait permis de marcher dès le départ pat lui-même que ce serait passé. Je soupire. Les enfants j'vous jure. Comment-ça je suis pas plus vieille que lui ? Mais je suis une fille moi, et tout le monde sait qu'on est bien plus matures.

"Diana c'est bien ça ?" je demande à la femme qui vient d'ouvrir.

Il a un petit quelque-chose d'accueillant dans la regard qui la rend tout de suite agréable.

"En effet. Enchantée !" Diana était une femme aux rondeurs accueillantes, et au sourire plus doux encore que le miel. Quand elle le vit, son visage s'éclaira encore plus, ne tenant pas compte de sa possible grimace. Car elle prit son visage entre ses deux mains pour lui embrasser la joue d'un gros smack. "Mon petit Sario, Bungiorno ! Tu m'amènes encore une pauvre âme errante ? Tu as le don de les dénicher." Elle se pencha pour présenter sa main au chiot qui se mit à battre de la queue en couinant de plaisir, reconnaissant une main qui allait le nourrir et le caresser. "C'est ta petite-amie ?" demanda subitement Diana. Rosario s'étrangla.

Rire est la première réaction, la seconde est de dire.

"Non, je ne suis pas assez poilue à son goût... Je suis..."

Très bonne question, qu'était-elle ? Pas une amie, tout juste une très vague connaissance.

"Un caillou dans sa chaussure qui l'irrite."

Son explosion fit l'effet de l'éruption di un vulcano. "Questa stupida ?! La mia ragazza?! Mai, no ! Mai !" s'écria soudainement Rosario avec des yeux fous. Heureusement que le chiot était déjà rentrée dans le refuge, attiré par l'odeur de nourriture. Diana se mit à rire avec un petit air espiègle. "Calme-toi, mon p'tit Sario, tu vas fumer des oreilles." Elle se pencha vers la fille pour lui chuchoter d'un air de confidence, mais suffisamment fort pour qu'il entende ! "Tu sais, ma mignonne, c'est justement ça qu'il faut à un garçon comme le p'tit Sario. Quelqu'un qui tienne tête à son humeur." Il croisa les bras avec une mine boudeuse.

"Je crois qu'il n'a toujours pas intégré que je ne comprenais pas ses insultes en italien... Mais c'est vrai qu'il pourrait être mignon, il a du chien !" je plaisante avec la matrone.

Je n'ai pas de mot qui corresponde mieux à la femme qui me fait face. Elle est la définition même qu'on se fait d'une maman, accueillante et douce.

Il sentait son visage chauffer. Perché la sua faccia era così calda? Perché ?!! Et voilà que même son esprit s'affolait en italien. Cazzo di merda ! Rosario détourna la tête pour cacher ses possibles rougeurs derrière ses boucles brunes qui ne se laissaient amadouer par aucun chouchou - mèches folles bien aimées ! - et rentra dans le refuge pour aller s'occuper du chiot. Il ne leur ferait pas le plaisir de répondre à leurs taquineries !