J'traine les pieds en sortant de  cours, j'ai pas envie de rentrer. Je serre les dents en regardant mes camarades se rendre en athlétisme. Foutue cheville. J'entends le médecin me dire "si vous forcez sur cette cheville avant qu'elle ne soit réparée vous le paierez toute votre vie." Il en sait quoi ce vieux blaireau ? Enfonçant mes mains dans mes poches et montant d'un doigt expert le volume de la musique qui pulse dans mes oreilles, je prends la direction de chez moi... Ou presque. Je n'ai pas le droit de courir, je l'ai compris, mais j'vais certainement pas me priver d'une petite promenade.

C'est ainsi que je me retrouve au détour d'une rue... Face à un groupe de manifestants, des antis-mutants. Ils n'ont rien de mieux à faire sérieusement ? On est en Amérique, bordel, s'il y a bien un pays qui s'est construit sur la mixité c'est nous. Je lâche un soupire dédaigneux et monte le volume de mes écouteurs avant de faire demi-tour. Ok pas par-là. Le détour sera plus long qu'escompté. Je ne passe que rarement par ces quartiers, réservés aux bobos trop friqués. C'est calme. Les oiseaux chantent... De la fumée me pique les yeux, je les plisse pour en faire s'écouler quelques lames et les dirige vers la source de ces émanations. Un gamin ? A peu près mon âge.

"Tu fous quoi ?" j'lui lance.

Dans un mouvement d'humeur, Rosario envoya son pied dans la pauvre poubelle qui traînait devant lui."Cazzo ! Puttana di merda !" Sa voix rauque s'éleva dans les airs alors qu'il ronchonnait dans son écharpe. Il caillait dans ce pays di merda. Son nez s'agita. Soit son cerveau commençait à devenir fou, soit il y avait vraiment une odeur de fumée dans le coin. Et des voix. A son grand déplaisir, il reconnut un élève de sa classe. Voix huppée de paon. Cazzo ! Il allait passer son chemin lorsqu'un couinement l'arrêta. "Bastardo..." Dans un grognement féroce, il s'élança refaire le portrait du gosse de son poing. On ne touchait pas ai cani !

J’capte ce qu’il se passe, l'ado ne me répond pas et une poubelle est en train de crâmer. Un couinement interrompt mon analyse de situation et je comprends. OH NON ! Genre non ? Juste non ! Il fait quoi à cet animal ? Il faut que j’intervienne, mais comment ? S’il se tape clairement de mon intervention... Faut que j'me mette à crier ? C'est ma meil... Soudain un dément saute sur l'ado qui me tourne ostensiblement le dos. Bing joli crochet !

"Je vai-vais appeler la police !"

Rosario allait en foutre une autre au con qu'il plaquait au sol de son poids quand la voix d'une fille lui fit dresser la tête. "No ! Niente polizia, sciocca !" grogna-t-il en même temps qu'il bastardo s'écriait : "Ne faites pas ça, ou il vous en cuira." Profitant que Rosario cherchait à comprendre son langage soutenu, le gosse de riche le poussa sur le sol et se redressa en reniflant, arrangeant sa veste. "Mon père va te le faire payer, l'Italo-merde." Rosario montra les dents mais un autre couinement interrompit son attaque et il se jeta dans le reste de poubelle fumante pour sortir un petit chiot. Il bastardo fit mine d'être surpris.

"Mais t'es con ou tu le fais exprès ? On vient de te choper en train de foutre le feu à une poubelle avec un chiot dedans, à ta place j'me casserais au lieu de le rapporter à mon père, mais après tu fais bien ce que tu veux. Ah et pour info, mon téléphone est en train de filmer donc si tu fais d'la merde tout twitter le voit, c'est quoi ton petit nom que je puisse te taguer ?"

C'est absolument faux, enfin c'était j'ai allumé la caméra au moment où ce petit con a parlé de son père. Le mien est flic et il m'a toujours dit qu'une vidéo valait des aveux. J'ai un peu envie de me chier dessus cela étant.

"Je n'ai pas mis le feu au chiot. Je ne savais pas qu'il était là." dit le gosse et Rosario bondit en avant : "Bugiardo ! Cazzo ! Je vais te casser la gueule." Malgré qu'il essayât de lui échapper, son poing se referma en un craquement sec dans la mâchoire de ce con. Le chiot tremblait dans ses bras. Il bastardo en méritait une autre... et encore une ! Il voyait rouge. Son esprit fumait come il vulcano en éruption.

L'envie de me casser et de les laisser se démerder est forte, mais la droiture de mon éducation me pousse à me lancer dans la bataille... Ou plutôt a chopper ma bouteille d'eau minérale dans mon sac et à leur balancer ses 450ml (tiens j'ai pas assez bu aujourd'hui) dessus.

"ON SE CALME LES MÔMES."

Sérieux. Stop. Déjà vous battre ça sert à rien. Merci. Ensuite j'ai pas envie de m'en mêler. Alors si ça pouvait se finir, genre VITE ?

"Puttana di cazzo !" hurla Rosario, montrant les dents. Mais il était littéralement trempé, comme l'autre couillon, et ce pauvre petit chiot. Le con se redressa d'un air guindé, les fusilla du regard, et partit sans un mot de plus. Rosario bondit à sa suite. "Eh ! Bastardo !" Mais un gémissement le fit s'arrêter et il s'accroupit si soudainement qu'on aurait dit qu'il avait été touché par quelque chose. Une balle d'inquiétude plutôt. Posant le chiot par terre, indifférent à ses cheveux dégoulinant d'eau qui lui tombaient dans le visage, il palpa doucement l'animal pour vérifier s'il était blessé. Il chantonnait tout du long en sicilien.

Tu parles anglais ?

Pas que je sois mauvaises en langues étrangères, mais en si complètement.


"J'vais chercher sur internet le vétérinaire le plus proche."

Elle était sutpida quell'idiota ! Elle ne l'avait pas entendue parler anglais quand il avait menacé il bastardo de lui refaire la gueule ? Rosario lui jeta le regard mauvais du louvard qui se méfie de tout. "J'ai l'air con, peut-être ?" grogna-t-il. Puis il l'ignora pour enlever sa veste dans laquelle il enroula délicatement le chiot. "Je connais un vétérinaire. Dottore Harris è il miglior." Surtout quand il l'autorisait à regarder et apprendre son métier. Sans attendre la fille, Rosario fit demi-tour pour rejoindre la clinique, un virage plus loin. "Tutti va bene, il mio cuore." roucoula-t-il au chiot.

"Oui en effet, l'agressivité ne fait pas briller ton intelligence."

Il a cru que je n'allais pas répliquer ? Non mais sérieusement, ces mômes !

"Tu fais quoi ? Ou tu vas ? Il travaille où ton Dotore Harris ? Tu sais que je pipe rien quand tu parles en... je connais même pas cette langue !"

Je claudique derrière-lui, foutue cheville !

Il l'ignora d'abord d'un reniflement méprisant mais sa dernière phrase lui soutira un ricanement. "C'est de l'italien, stupida." Rosario dressa la tête pour la fixer dans les yeux d'un air hautain. "Et si je parlais le sicilien, tu pigerais encore moins." Mais elle avait aidée le chiot et ne semblait plutôt conciliante à ses piques. Il pointa donc le tournant de la rue plus loin. "Le Docteur Harris a un cabinet au coin de la rue là-bas. J'y vais souvent aider. Le chiot ne semble pas blessé mais il est sous le choc et j'pense qu'il a des puces." Son anglais dénotait qu'il savait le parler correctement, même son fort accent semblait volontaire.

"Ah, d'accord. Tu sais que je comprends à ton intonation que tu viens de m'insulter ?"

Non mais si fallait être claire. En soit si c'était à côté je pouvais partir et les laisser se débrouiller... Mais je voulais être certaine qu'il n'arriverait plus rien à ce pauvre chiot. Tu es responsable de ce que tu as aidé. ou un truc du style.

"Tu comptes garder ce chiot ?"

Un petit reniflement amusé échappa à Rosario : bien sûr qu'il savait qu'elle comprenait son insulte, il ne s'en cachait pas ! "J'peux pas le garder. Mio padre est uno bastardo sans coeur." ronchonna-t-il en retroussant le nez dans la moue typique d'un ado en colère ; Natalia lui disait souvent... "Mais il Dottore Harris et moi, on aide un refuge. Ils pourront le prendre et l'aider à trouver une famille !" Soudainement, le nuage de colère qui bouillonnait sur son visage s'était envolé devant la lumière d'un magnifique sourire. Le sujet l'intéressait visiblement, et avec un grand enthousiasme.

"Donc en fait quand tu dis 3 mots faut que l'un d'entre eux soit une insulte." je commente.

C'est plus fort que moi, on m'a toujours dit "penses comme tu veux mais tu le reformules pour que ce soit poli."

"Tu veux être vétérinaire plus tard ?" j'en conclue assez simplement.

Sincèrement, je pourrais me barrer mais je crois que le fait de ne rien avoir de mieux à faire pourvoie grandement à mon intérêt pour cette situation... Puis j'veux caresser le chiot !

"Je t'ai pas insulté, stu..." Sa bouche claqua dans un grognement alors qu'il retenait la preuve de l'inefficacité de sa défense. Un regard noir fut lancée à la fille et il accéléra le pas en bougonnant en sicilien. Sauf qu'il ne pouvait pas ignorer une telle question ! "No... pas vraiment. Mais j'veux être maître-chien, donc faut savoir soigner i cani mais..." Le bras qui ne tenait pas le chiot vit sa main se serrer en un poing si serré qu'il s'entailla la chair de ses ongles. "Cazzo !" siffla-t-il de douleur. "Bastardo di padre !!" C'était sa faute après tout ! S'il voulait bien l'écouter, il ne serait pas AUTANT en COLERE !

J'aime pas trop l'idée de maître, dans 'maître-chien' mais c'est pas le moment de lancer le débat. Surtout quand je pige rien à ce qu'il raconte !

"Tu peux t'exprimer avec des mots que je comprenne ? Parce que je capte bien que tu es en colère mais pourquoi reste un mystère..."

"Ma colère te regarde pas, stupida !" cracha Rosario en lui jetant une autre œillade noire. Mais le chiot gémit dans ses bras et il se calma aussitôt pour roucouler en sicilien à ses oreilles, l'apaisant par sa voix douce. Il était clairement en pétard contre les humains, pas contre les chiens. I cani étaient les meilleurs ! Ils ne le trahiraient pas comme il suo bastardo di padre ! Rosario ferma les yeux et s'essaya - maladroitement- aux exercices de relaxation respiratoire que lui avait montré sa récente thérapeute.

"Tu sais que si tu n'es pas capable d'exprimer ta colère on ne va pas la comprendre ?"

J'dis ça, j'dis rien... Mais quitte à être en colère, j'trouve que c'est plus fun quand on comprend ce que revendique ta colère. Enfin, j'imagine qu'on a le droit de juste être "pas content !" on est des ados... Mais c'est con qu'il se comporte aussi bien avec un chien et aussi mal avec moi...

Cazzo ! Le nez de Rosario se tordit d'un reniflement indistinct. Voilà que la fille se mettait à parler comme sa thérapeute ! Mais il coula un regard méfiant sur elle. "Pourquoi tu veux savoir ça ? Tu veux quoi ?" Il ne fallait pas lui en vouloir. Moins d'un trimestre dans ce foutu lycée huppé peuplé di bastardi comme l'autre couillon de tantôt et il mettait tous les Américains dans le même panier à rats.

"Comprendre pourquoi tu as l'air si doux envers ce chiot et si désagréable quand tu parles."

La curiosité, toujours le même péché.

Rosario pinça des lèvres, indécis, mais ils arrivèrent alors à la clinique di Dottore Harris et il profita de la diversion pour continuer de taire son mal-être. Après avoir expliqué la situation, et indiqué nonchalamment che suo padre paierait tous les frais nécessaires, il Dottore Harris les fit attendre en allant ausculter le chiot. Se retrouvant seul avec la fille dans le cabinet désert, Rosario fit la moue et s'intéressa aux affiches sur les murs. Mais il ne tint pas longtemps. "Mio padre è uno bastardo." bougonna-t-il en se dandinant sur un pied. "On vivait en Sicile. La mia bellissima Sicilia !!" Il inspira un coup, puis deux.

Je dois avouer que je ne comprends pas tout, mais à priori c'est aussi un fils de richou qui se néglige. Si j'avais fait la même à mes parents et que j'étais rentrée avec une facture au montant indéfini, je me serais fait allumer. Même pour une si noble cause qu'un chiot. Si j'les avais appelé AVANT ça serait peut-être passé...

"Je comprends toujours pas quand tu parles sicilien, mais en fait tu es en colère parce que tu as du partir c'est ça ?"

"Je t'ai déjà dit que c'était pas du sicilien, stupida, mais de l'italien. Basique, facile à comprendre per gli Americani." Son ton était moqueur et Rosario la toisa d'un air hautain. "Et ouais, j'ai la rabbia d'avoir dû partir de chez moi, la mia bellissima Sicilia. Ce pays est nul. Pas d'oliviers. Pas de cigales. Pas de soleil." Il appuyait ses propos en levant un doigt à chaque fois. "Comment vous réussissez à passer l'été sans cigales, c'est vraiment n'importe quoi. Cazzo ! Le cicale !" Il se renfrogna soudainement et se détourna de la fille en croisant les bras. "Et aucune famiglia ici..."

Bah des cigales on en trouve sur la côte Est régulièrement, elles seraient juste malheureuses à NY, p't'être à Central Park l'été remarque ? Il fait preuve de mauvaise foi, on à eu beaucoup de soleil cet été ! On à du stopper l'entraînement car il faisait trop chaud !

"Pourquoi vous êtes partis ?"