Nouvelle ville, nouveau spectacle. L'homme se produisait en marge du marché, au calme. Jongleur et musicien, son apparence était banale mais on le disait talentueux. Il vivait chichement, mais au moins ne dépendait de personne. Et c'était aussi son cas. Jusqu'ici d'une discrétion absolue, mais d'une volonté à toute épreuve, il ne s'était jamais laissé porter, et s'était vite rendu indispensable.

Aujourd'hui, il allait sortir de l'ombre, et l'homme en était fier. Pinçant les cordes du luth, il s'était assis à côté de la fontaine pour lui laisser place. Petite et circulaire, c'était elle qui l'avait inspiré. Un décor idéal pour ses premiers pas en tant qu'artiste.

Et ses premiers pas furent remarqués. L'homme savait qu'on ne l'observait pas pour son talent - pas encore. S'il percevait son potentiel, eux ne voyaient pour l'heure que son aspect. Un être blanc, tout de blanc vêtu. Il avait commencé à tourner sur la margelle, une chorégraphie très simple, seulement ponctuée par les notes du luth. Il le sentit se braquer sous les regards, mais il continua néanmoins, jusqu'à la dernière note, jusqu'au dernier pas.

Le clou du spectacle parut presque fade après cette étrange apparition, les flammes qui sortaient de la bouche de l'homme étaient pourtant dignes d'un dragon et prenaient des teintes improbables. Les applaudissements firent place aux murmures : ignorant son identité, on l'avait surnommé l'elfe blanc.

Arior sorti avec un rire de l’auberge rouge. La nuit dans avait été suffisamment mouvementée et plaisante pour que le sorcier n’y ressorte qu’au milieu de la matinée.

Satisfait, un sourire canaille aux lèvres, il se laissa guider par les fragrances prometteuses du marché. Il salivait d’avance en imaginant son prochain petit déjeuner. Mais quelle ne fut pas sa surprise quand, arrivé sur la place, cet être d’une blancheur irréelle capta l’attention de tous les badauds -et la sienne-. Absorbé par le spectacle, il resta planté sur les pavés, hypnotisé par cet être fabuleux qui parlait étrangement à sa mémoire sans qu’il ne sache pourquoi.

La fin du spectacle était arrivée trop vite et l'elfe blanc n'avait pas pu s'éclipser. Il feignait l'indifférence face à l'attention qu'on lui portait, lui préférant la conversation avec son mentor et le rangement du matériel.

... Ca fera contraste.

L'homme laissa échapper un rire. Il le savait habitué aux regards. Mais il n'avait jamais attiré ce genre de regards.

... quoi ?
Donc il y aura une prochaine fois.

L'elfe ne répondit pas.

Arior était… titillé. Ce danseur de rue faisait travailler son cerveau. Comme s’il devait se rappeler de quelque chose. Comme nom qu’il aurait sur le bout de la langue sans réussir à l’attraper. Il resta un instant immobile et pensif, puis, agacé de ne pas retrouver ce qui l’intriguait, il décida de s’approcher du duo, fonçant droit sur l’étrange danseur blanc.

- Excusez-moi…

Tu y prends goût.

L'artiste se montrait complice, paraissant simplement heureux de voir son protégé prendre son envol. Le regard de l'humain dériva lorsqu'on les interpela très directement. L'elfe blanc lui, restait concentré sur sa tâche.

Bonjour.

L'attitude de l'homme ne démontrait aucune hésitation à s'adresser à un elfe noir, malgré leur réputation. Son arrivée près des artistes avait cependant éloigné les curieux parmi les moins téméraires.

Le sorcier fut presque étonné de voir l’humain s’adresser un lui. Pour un peu il l’enverrait sur les roses pour se concentrer sur son compagnon, ce qui n’était, à l’évidence, pas la bonne stratégie.

- Bonjour, oui.

Son regard traînait clairement sur le danseur, bien qu’il se força à se concentrer sur l’humain.

- Veuillez pardonner mon audace. Je ne souhaite pas vous importuner plus que nécessaire. Mais il me semble que votre jeune ami me soit familier.

Accueillant, l'homme écouta son interlocuteur, guère étonné par sa requête. Il fixait à son tour l'elfe blanc, évitant par égard pour lui de se montrer trop enjoué.

Satel, c'est pour toi.

C'était une évidence. Mais le jeune danseur n'avait pas éludé les questions pour rien. Il ferma le sac contenant les torches consciencieusement alignées, et se retourna avec une lenteur exagérée. Il n'avait visiblement aucune envie de...

Oh.

Satel ! C’était ça ! Lui ! Bon sang c’était tellement improbable ! Dès que l’homme avait prononcé le prénom, Arior avait fait le lien avec cet enfant farouche qu’il avait rencontré un jour. Et dès que le regard d’obsidienne avait croisé le siens, alors il en avait été certain. Ce gamin était donc encore en vie et il avait bien grandi. Mais surtout : il n’était plus seul.

Le sorcier lui offrit un sourire ravi et l’examina de la tête aux pieds.

- Et bien, regarde toi !

La tête légèrement penchée, l'elfe blanc considérait l'elfe noir avec la même expression de surprise mêlée d'incrédulité. Mais quand l'autre parla, il fronça légèrement les sourcils.

Eh bien, qu'y a-t-il à voir... ?

- Plus rien qui ne ressemble à un gamin crotté dormant dans la boue.

Lui répondit Arior en haussant un sourcil, toujours le sourire accroché au coin des lèvres. Peut-être que le jeune homme ne se souvenait pas de lui après tout ? En tout cas, le sorcier avait complètement occulté la présence de l’humain. Il attendait de voir si Satel se souvenait de lui ou non. Et s’il avait envie d’échanger avec lui.

L'air pincé du jeune elfe s'estompa, mais sur le moment, il ne répondit rien. L'homme crut bon d'intervenir pour rompre le silence devenu gênant.

Un elfe noir et un elfe blanc... ça ressemble au début d'une blague...

L'elfe secoua la tête, ignorant, volontairement ou non, la réplique de son aîné. Il semblait plus détendu. Son attention toutefois, n'était pas exactement portée sur Arior.

Toi tu n'as pas changé.

Et bien il était heureux de l’entendre ! Il ne manquerait plus qu’il le trouve... vieilli. Erk. Cependant Arior offrit un peu de son attention à l’homme.

- Je suppose que vous avez raison. Avez vous terminé votre représentation ? J’aimerais offrir un verre à vitre ami. S’il l’accepte, bien sûr.

Quitte à fêter ces retrouvailles, autant aller discuter dans un endroit plus tranquille. Rien que tous les deux. Le sorcier était curieux de connaître l’histoire du gamin devenu grand.

L'homme n'eut pas l'occasion de répondre, interrompu par un geste d'une vivacité surprenante.

Malfé, monstres... !

Le poing suspendu du danseur tenait une pierre visiblement destinée à l'elfe noir. Un filet de sang coulait de sa tempe. Les yeux noirs se braquèrent sur un groupe d'enfants qui commença immédiatement à se disperser.

Sales petits...

Il voulu se précipiter à leur suite, mais une main sur son épaule retint son élan.

Ce sont des gamins.
Ne-me-touche-pas.

Sa voix était glaciale mais il resta sur place, serrant la pierre jusqu'à l'enfoncer dans sa chair. La main quitta son épaule en douceur.

Nous avons fini, oui...

L’intervention avait été surprenante. Arior regarda les gamins d’un œil noir. Il soupira rapidement, se déconcentrant sur Satel, tendu comme un arc.

- Satel ? Un verre ?

Lui re demanda t’il d’un voix profonde, posée, bien que légèrement sombre. La situation était loin de l’amuser, il connaissait trop bien le rejet des êtres de cette Terre face à ceux venus des enfers.

Trop lentement pour ne pas voir l'effort sous ce geste, l'elfe lâcha la pierre. Il attendit qu'elle ait fini de rouler au sol avant de répondre.

Oui.

Puis il tourna les yeux vers son compagnon de route. Ce dernier anticipa et commença à se charger du matériel.

Ca ira. Il sourit. La porte de la roulotte t'est toujours ouverte.

Avant de partir, l'homme lui tendit un mouchoir. L'elfe le prit par réflexe mais le garda entre les mains sans rien en faire.

Arior ouvrit la marche d’un pas décidé. Il jeta un coup d’œil à Satel, encore silencieux et crispé.

- Tu as un peu de sang, là.

Lui désigna t’il sans le toucher.

- Tu voudrais qu’ils soient punis ? On peut s’amuser un peu avant d’aller fêter ça.

Arior restait un elfe noir et s’en prendre à des enfants ne lui faisaient franchement ni chaud ni froid. Ils avaient commencés après tout.

Le geste de l'elfe noir le sortit de sa léthargie et il s'essuya la tempe en lui emboîtant le pas. Aussi blanche que soit sa peau, son sang était aussi rouge que celui de n'importe qui. Il serra le mouchoir tâché entre ses doigts immaculés.

Oui.

Ah ? Vraiment ? Bien. Arior n’aimait pas être visé et il aimait encore moins laisser s’en tirer des garnements sans au moins leur faire peur. Un sourire mauvais se plaqua sur ses traits.

- Faisons ça !

Il ne fallut pas vraiment longtemps aux deux elfes pour retrouver le groupe de gamins en train de rire de leur méfait.

- Une préférence pour leur traitement ?

Arrivés près du petit groupe, l'elfe ne répondit pas immédiatement. Il prit le temps de les observer, et s'accroupit, laissant sa main traîner au sol, son regard plus sombre qu'il ne l'aurait dû. Ils ne les avaient pas encore remarqués.

Une pierre.

Le projectile dont il venait de se saisir partit à peine ces mots prononcés, et heurta la tempe du premier gamin à portée. Il y eu un petit craquement à l'impact, coupant net les rires. Le garçon s'écroula.

Après le moment de stupeur des gamins, il y eut les regards apeurés et la tentative de fuite en abandonnant leur ami. Arior posa la main au sol et usant de sa magie, englua les autres pour qu’ils ne puisse bouger.

Il sorti s’avança vers la marmaille dont la plupart se mirent à crier et pleurer.

- Et bien, et bien, personne ne vous a jamais dit que s’en prendre à un elfe noir est dangereux ? Il faut mieux apprendre vos leçons que cela !

Jonglant avec une nouvelle pierre dans sa main, l'elfe blanc s'avança à son tour. Il regarda son compagnon.

Un mage ? Intéressant.

Son attention revint vers les gamins, qui tentèrent à nouveau de reculer. Par sa magie l'elfe noir semblait plus dangereux mais le blanc avait dans le regard la volonté d'en découdre. Il compléta la pensée du mage.

Qui plus est s'il n'est pas seul.

La pierre rebondissait une fois de plus dans sa paume.

Le ricanement qui s’échappa de sa gorge fut mauvais. Et un des gosses se fit dessus.

- Voila ce qui arrive quand on s’en prend à plus fort que soit. Mon ami a été blessé a cause de vous. C’est bien normal qu’il vienne chercher réparation !

Les gamins suppliaient et suppliaient.

- Il est l’heure d’apprendre à assumer.

Une sombre prédictions pour la petite bande.

Un grognement sourd remonta du fond de sa gorge.

Tu oublies que tu étais visé, toi aussi.

Il darda son regard noir sur les garçons, toujours cloués au sol par le sort de l'elfe noir. Il se fichait visiblement pas mal de l'odeur qui imprégnait leurs pantalons.

Ca fait deux pierres. Nouveau rebond. Il ne plaisantait pas. Un volontaire ?

Arior ne répliqua pas à la sollicitation de Satel, se contentant de rire comme un dément, faisant davantage mourir de peur les sales garnements.

- Tire à pile ou face ! Je noierais le second dans ses propres excréments ! Ahahah !

Il avait l’air tout aussi sérieux. Bien qu’en réalité il n’en pensait pas un mot. Pas de témoins leur assurerait une tranquillité immédiate. Mais des témoins leur assurerait une réputation méritée.

Face.

Sa main fit de nouveau voler la pierre, mais cette fois il s'en saisit dans les airs, augmentant son élan pour l'envoyer sur le dernier enfant qu'il avait regardé. Il mit dans son jet la même force que dans celui qui l'avait précédé, mais la différence était de taille : cette fois-ci le gamin le voyait venir. Il poussa un cri aigu.