Rappel du premier message :


C'est une fraîche journée d'été. Lumi et Ilma reviennent de mission en dehors de Moscou et sont contentes de retrouver la capitale. Enfin, pas autant que leur village natal de rebelles pirates de l'air ! Pour Lumi, c'est toujours l'occasion de se renseigner sur les poupées léguées par ses parents. Pour Ilma en revanche qui ne parle pas bien russe la ville est stressante, heureusement certaines personnes égayent cette ville à commencer par Lumi mais pas que.

Les filles ont rencontré une autre pilote de dirigeable. Elle n'a pas son propre dirigeable à vingt ans mais a vocation de l'avoir. Cette femme s'appelle Natacha Vasilievna Azarova et se trouve justement au même port que les filles. Ces dernières la saluent chaleureusement.

"Aujourd'hui, nous allons visiter la ville avec Ilma ! Est-ce que vous connaissez des coins sympathiques par hasard, madame Azarova ?"

« Ooooh, d'accord. C'est mignon comme nom. » Et puis c'était bien un nom d'écureuil. Quoique, Raïetchka n'avait jamais entendu parler d'un chien appelé 'nonosse' ou d'un cheval appelé 'avoine'. Mais bon, la plupart des animaux dont elle avait entendu parler étaient issus d'élevage et avait des noms plus longs ou presque que la plupart des humains qu'elle connaissait. Donc elle soupçonnait que ce n'était pas très représentatif. Ce qui la fit penser à autre chose : « Hassel a des papiers ? Parce que si c'est pas le cas, c'est dangereux pour lui à Moscou : les miliciens contrôlent les animaux et ceux sans papiers sont pris pour des démons. »

"Oh oui, il a ses papiers," ment sans vergogne Lumi, rebelle habituée qu'elle est.
Plus sérieusement, qui fournirait des papiers à un animal récupéré dans la forêt ? Surtout par une fille capable de se transformer en chouette lapone ? Non, il est nettement préférable que les filles en face ne s'alarment pas là-dessus. La nervosité se sent à des kilomètres pour les miliciens paranoïaques !

« Ah, tant mieux !», se réjouit Raïetchka. Elle n'était pas tout à fait sûre de comment un animal sauvage non-issu d'un élevage pouvait obtenir des papiers, mais il devait bien y avoir un moyen, non ? Encore une chose à vérifier une fois de retour à la maison. Il devait surement y avoir un passage à ce sujet dans le droit des animaux domestiques et utilitaires.

"Mais parlez-nous des chevaux, ce doit être génial d'avoir les siens !" dit Lumi avec des étoiles dans les yeux.
Elle aime les dirigeables mais tout type de transport en fait, aussi bien la barque sur laquelle elles sont assises que la monture équine.

Pour être honnête, Raïetchka ne s’était pas vraiment attendue à ce qu’une fille qui voyageait de par le monde dans les airs et avait pour compagnon un écureuil puisse s’intéresser à leurs chevaux (bien plus classiques). « Eh bien, les deux semi-trait pour la calèche sont plutôt costauds, et les chevaux de monte pour les balades sont plus minces et plus vifs. Et puis il y a Esprit, qui est sacrément rapide, pour si jamais il y a une urgence. Il est plus rapide que de courir ou prendre la voiture. Ils sont tous plutôt chouettes, mais trop grands pour entrer dans la maison, forcément. »

Nouveau choc des milieux sociaux.
"Vous avez cinq chevaux ? Pour trois choses différentes ?"
Même s'il y a une tripotée de dirigeables dans leur village rebelle, ils ne sont pas si différents les uns des autres comme ils n'ont qu'une seule activité. Pour être juste, les pilotes ont leurs propres préférences d'armement mais ça s'arrête là.

Raïetchka n’étant pas tout à fait sûre de savoir comment réagir, elle se contenta de hocher la tête. « Monter les chevaux de la calèche, ça marcherait probablement, mais je pense pas que les chevaux de promenade sauraient tirer la calèche. Et Esprit certainement pas. »

"Cela doit vous faire beaucoup de travail pour vous occuper des cinq chevaux," dit-elle sans envisager le statut social de ses interlocutrices.
Mine de rien, Hassel demande beaucoup de temps à la zootrope.

De malentendu en malentendu, Raïetchka ne réalisa même pas que Lumi s’imaginait qu’elles s’occupaient des chevaux elles-mêmes, et interpréta sa question de manière bien plus générale. « Les palefreniers sont en général occupés la journée entière à leur donner leurs rations, changer la litière des boxes et sortir les chevaux. »

Les deux finnoises se regardent interloquées. Ilma pensait que Lumi aurait compris quelque chose de différent mais non. Que sont leurs interlocutrices pour ne pas mettre la main à la pâte comme dirait la mère Orava.
"Les palefreniers sont-ils vos amis ?"

Leurs amis ? Ils oscillaient plutôt entre grands frères supplémentaires pour le jumelles (comme si elles en manquaient) et relation cordiale, mais maintenant tout de même une distance respectueuse. Elle fit la moue : « Ils nous connaissent depuis qu’on est trop jeunes, je pense qu’on restera toujours des petites filles pour eux. » Ce qui avait le don d’agacer prodigieusement Raïetchka, qu’il s’agisse de leur famille ou de d’autres personnes dans leur entourage. « Mais ils sont sympas. »

Lumi marque un temps de réflexion.
"Ils ne vous laissent pas vous occuper des chevaux parce que vous êtes trop petites pour eux ? Mais c'est injuste !"
Ilma est à peu près sure que ce n'est pas ça que les filles ont voulu dire mais elle comprend bien moins le russe que son amie d'enfance (enfin, elle est moins à l'aise).

Ce n’était pas ce que Raïetchka avait voulu dire, et elle s’étonna de l’interprétation de l’autre adolescente. « Oh non, ils ne nous empêchent pas d’aller nous occuper des chevaux », comprendre : les brosser et leur donner des friandises, le reste c’était les palefreniers qui s’en chargeaient. « C’est juste qu’ils sympathisent et rigolent plutôt avec Kolia, ou même Natachenka, parce que nous ils nous trouvent trop jeunes. »

Les finnoises ne comprennent pas. Dans leur village rebelle, tout le monde rigole avec les enfants.
"Vous pourriez… plaisanter avec eux les premières, non ? Ils sont peut-être juste timides."
Ce n'est pas comme si Lumi et Ilma pouvaient imaginer les barrières sociales. La richesse d'un individu ne les gêne nullement pour s'adresser à eux, sinon elles ne seraient pas dans le même bateau que ces filles.

Cette fois, c’est Tsillia qui réagit la première : « Vu le type d’humour qu’ils ont l’air d’aimer, j’ai comme un doute. Pas sans nous attirer les foudres de nos parents. » Ceux-ci ne voyaient en effet déjà pas d’un très bon oeil l’humour de caserne ou d’aéroport, parfois au ras des pâquerettes, adopté par deux de leurs enfants, nul doute qu’ils n’apprécieraient pas du tout que leurs petites dernières tentent de l’émuler.

"Les vêtements ne font pas un homme*. Ils ont peut-être d'autres humours, un peu du vôtre, qui sait ? Qu'est-ce que vous risquez ?"
Un moment gênant de cinq secondes ?

* traduction littérale de l'expression "l'habit ne fait pas le moine"

« Que nos parents n’apprécient pas et que ça attire des ennuis soit aux palefreniers soit à nous », répondit Raïetchka, qui avait clairement déjà réfléchi à la situation. Oh, elle doutait que ses parents se montrent trop sévères pour une simple plaisanterie, fut-elle de mauvais goût, mais elle préférait éviter de donner l’impression que les palefreniers avaient une mauvaise influence sur elles.

Les.filles abordent maintenant un autre sujet qui concerne peu les rebelles finnoises. Leur souci principal reste de ne pas se faire arrêtées par la milice et passe tous les autres problèmes au second plan.
"Pourquoi est-ce que les palefreniers auraient des problèmes pour une plaisanterie ?"

« Si c’est inapproprié », clarifia Raïetchka, sans trop faire attention au fait que ce simple mot était déjà très sujet à interprétation. « Tout comme nos parents n’apprécieraient pas trop si l’une de nous se mettait à jurer, par exemple. » Elle était d’ailleurs presque sûre que Kolia avait manqué de le faire en famille à quelques reprises et s’était repris à la dernière seconde.

Effectivement, les finnoises ne voient pas du tout ce que veulent dire les jumelles.
"Inapproprié, qu'est-ce que cela veut dire ? Et pourquoi jurer est mal ? Il ne faut pas abuser de promesses mais ce n'est pas interdit." demande Lumi comme un petit enfant.

Et là, Raïetchka réalisa qu’elle n’avait pas tenu compte de la barrière de la langue. « Pas jurer dans le sens d’une promesse : jurer dans le sens d’utiliser des jurons, des mots grossiers. Et inapproprié veut dire que quelque chose n’est pas… correct, soit en général, soit dans certaines circonstances. » Elle n’était pas sûre que son explication soit compréhensible et se creusa la tête pour trouver un exemple : « Rire à un enterrement est inapproprié, par exemple. Ou critiquer le repas quand on est invité quelque part. Ou parler pendant le sermon à la messe. » Elle espérait que ça clarifiait le mot.

Lumi clignote des yeux en penchant la tête comme le font les animaux quand on attire leur attention par d'étranges gestes à décoder.
"Pourquoi voulez-vous dire des mots grossiers à la messe ?"
Elle a tout mélangé.

« Non ! », s’exclama Raïetchka, gênée du malentendu qu’elle avait causé. « Je me suis mal exprimée. Les jurons ou parler à la messe étaient juste des exemples de choses qui sont inappropriées, qu’on peut pas faire. C’est des choses qui ne sont pas interdites, personne ne va se faire arrêter pour ça, mais les gens autour vont trouver ça impoli, ou peut-être même se fâcher. » Plus elle avançait, plus elle avait l’impression d’embrouiller les choses plutôt que de les expliquer.

Lumi et Ilma ne comprennent pas en effet, du moins pourquoi ses interlocutrices faisaient autant d'histoires pour une blague avec des palefreniers.
"Mais ça ne devrait pas fâcher les gens de discuter et de plaisanter avec les autres."
Là, c'était simple et concret pour les finnoises !

Il y avait clairement une incompréhension fondamentale, et Raïetchka n’était pas sûr s’il s’agissait d’un problème de langue ou de règles de politesse différentes. Elle haussa les épaules : « Je ne suis pas sûre de bien savoir l’expliquer. » C’était limpide pour elle, mais clairement pas pour les deux aviatrices.