C'est une fraîche journée d'été. Lumi et Ilma reviennent de mission en dehors de Moscou et sont contentes de retrouver la capitale. Enfin, pas autant que leur village natal de rebelles pirates de l'air ! Pour Lumi, c'est toujours l'occasion de se renseigner sur les poupées léguées par ses parents. Pour Ilma en revanche qui ne parle pas bien russe la ville est stressante, heureusement certaines personnes égayent cette ville à commencer par Lumi mais pas que.

Les filles ont rencontré une autre pilote de dirigeable. Elle n'a pas son propre dirigeable à vingt ans mais a vocation de l'avoir. Cette femme s'appelle Natacha Vasilievna Azarova et se trouve justement au même port que les filles. Ces dernières la saluent chaleureusement.

"Aujourd'hui, nous allons visiter la ville avec Ilma ! Est-ce que vous connaissez des coins sympathiques par hasard, madame Azarova ?"

« 'Madame Azarova' ? » La voix hilare qui répondit à la salutation n’appartenait pas à l’interpelée, qui fusilla ses deux soeurs cadettes du regard. « J’en connais, mais laisse les formalités à ceux qui font des ronds de jambes dans les salons. Natacha me va très bien. Et les deux comiques à côté de moi sont mes soeurs, Raïssa et Cecilia. » Elle n’avait pas réussi à garder son expression de désapprobation bien longtemps, et son sourire chaleureux était de retour.

Des ronds de jambes dans le salons, qu'est-ce que c'est ? se demande Lumi qui comprend encore assez mal les doubles sens en russe.
"Enchanté, Raïssa et Cecilia ! dit Lumi, suivie d'Ilma qui incline la tête en plus. Alors, je m'appelle Lumi et je suis pilote de dirigeable avec Ilma ma copilote."
Logiquement, si Natasha n'accorde pas d'importance aux origines finnoises des deux filles, ses soeurs ne devraient pas s'en soucier davantage...

« Enchantée ! » Raïetchka répondit aux salutations pour elle et sa soeur, qui gratifia les deux adolescentes d’un large sourire. « Pas besoin de demander comment vous connaissez Natachenka du coup. Vous passez souvent par Moscou ? Ca fait longtemps que tu pilotes ? » Ce dernier point l’intriguait au plus haut point, vu l’apparente jeunesse de la jeune fille. À son âge, Natachenka n’avait encore jamais touché aux commandes d’un dirigeable… mais peut-être leur éducation qui ne les prédestinait pas vraiment à s'envoler vers les étoiles y était-elle pour quelque chose.

Lumi doit donc répondre à deux questions.
"Oui, nous passons souvent par Moscou et non, je ne pilote pas depuis longtemps, seulement un mois ou deux."
Enfin, cela ne fait qu'un mois ou deux qu'elles ont leur propres dirigeable. En vérité Lumi pilote depuis plus longtemps que ça. Vite, elle devait trouver une diversion.
"Quel âge avez-vous toutes les deux ?"
Le même sans doute, elles ont bien l'air d'être jumelles. Une étoile pour la championne des devinettes !

Au moins Natachenka n’avait pas tant de retard que ça. À moins bien sûr que Raïetchka ne se soit trompée et ait mal évalué l’âge des deux inconnues. Par chance pour elle, l’occasion venait justement de se présenter pour vérifier ce point : « Quinze ans. Et vous ? »

"Oh, j'ai quatorze ans et demi !
- Et moi quinze," ajoute Ilma à la grande joie de Lumi.
Ilma n'est pas très bavarde de base mais surtout très mal à l'aise en russe.
"Nous avons presque le même âge, c'est formidable ! Et nous nous demandions où aller pour profiter de Moscou ! C'est une si jolie ville et si grande ! Vous n'auriez pas d'idées ?"
Des moscovites du même âge doit bien avoir une idée.

« Le Jardin Botanique ! », s’exclamèrent les jumelles à l’unisson, au grand amusement de leur soeur. « Si ça vous dit de musarder entre des rangées bien ordonnées de plantes exotiques », précisa cette dernière. « Si c’est plutôt la ville que vous voulez voir, le centre-ville et le quartier de Saint-Petersbourg sont très jolis. Et si vous avez faim, je connais les meilleurs coins. » Voilà qui était sans doute un chouia plus constructif que le cri du coeur des deux adolescentes.

Lumi comprend "jardin" et "exotiques", choses qu'elle connaît moins que les rues de Moscou.
"Des plantes exotiques ou la ville, qu'est-ce que tu préfères Ilma ?
- Les plantes exotiques.
- Parfait, moi aussi ! (elle se tourne vers les russes) Pouvez-vous nous indiquer le chemin vers le Jardin Botanique ?"

« Certainement ! » Avant d'ouvrir la marche vers le Jardin Botanique, Raïetchka se tourna vers son aînée : « Et toi, tu as le temps de nous accompagner, ou ton vol part bientôt ? » « On ne repart pas avant demain, je pourrai même faire un saut à la maison. » Deux sourires radieux lui répondirent, avant que Raïetchka ne se retourne vers les deux autres. « Eh bien c’est parti pour une excursion au Jardin Botanique. Suivez les guides ! »

Les finnoises n'ont jamais imposé ces filles charmantes mais qu'elles ne connaissaient pas de les accompagner mais c'est une bonne chose tout de même ! Après s'être assurées que le dirigeable est sous clé, elles suivent donc les deux guides jusqu'au jardin botanique. Quel plaisir de se dégourdir les pattes après plusieurs heures de voyage dans le vaisseau ! Il fait beau et ensoleillé, ce serait bien d'en profiter loin de la poussière de charbon !

En bonnes guides, les trois soeurs profitèrent du trajet pour partager quelques anecdotes à propos des rues qu’elles parcouraient et des bâtiments qui les entouraient que seuls des habitants du coin pourraient connaître. Une question tournait cependant dans la tête de Raïetchka depuis qu’elle avait entendu les deux adolescentes parler. « Dites, vous venez d’où ? Sans vouloir être indiscrète, bien sûr. » Sa question était posée sans arrière-pensées : il n’était pas rare que les aviateurs, voyageurs par excellence, viennent de contrées exotiques et fascinantes.

Les aviatrices en herbe suivent donc leurs guides, ravies de faire connaissance en chemin.
"Nous venons du Duché de Finlande, dans un petit village ! répond Lumi en priant pour ne pas devoir donner plus de détails sur ce fameux village. Et vous, de quel quartier de Moscou venez-vous ?"

« Du quartier de Saint-Petersbourg, près du Vatican. » S’étant acquitté de sa réponse, Raïetchka avait bien évidemment d’autres questions. Et pour une fois ce n’était pas Natachenka qui écopait de sa curiosité insatiable. « Notre frère aussi a été envoyé dans un petit village après son ordination. C’est comment la Finlande ? »

"Ordination : qu'est-ce que c'est ?" se risque à demander Lumi qui manquait encore un peu de vocabulaire (et cela lui permet de réfléchir à la grande question de la Finlande.
Le pays n'est pas si différent de la Russie. Bon d'accord, il y a un peu beaucoup plus de terrains marécageux, une myriade de lacs connectés entre eux mais bon, la vraie différence ne s'explique pas avec des mots autres que "chez-moi".

« C’est le sacrement... », Raïetchka se reprit, « la messe pendant laquelle il a officiellement reçu sa mission de prêtre. » Elle ne parlait pour ainsi dire jamais avec des personnes dont le russe n’était pas la langue maternelle, et elle n’avait donc pas la moindre idée des mots susceptibles de poser des problèmes.

Donc ordination a un lieu avec le rite de passage du prêtre à sa nouvelle fonction, très bien. C'est donc l'équivalant de vihkiminen.
"Le Duché de Finlande n'est pas très différent de la Russie. Il est plutôt plat avec beaucoup de lacs et de grands arbres... Mais les maisons sont très différentes et toutes jolies."

Il n’en fallait pas plus pour enflammer l’imagination des deux jumelles, qui n’avaient encore jamais vraiment quitté leur ville natale. « Différentes comment ? Tu saurais les décrire ? » Sans doute Tsillia réfléchissait-elle déjà à une manière de les dessiner. Peut-être y avait-il dans la bibliothèque familiale un atlas illustré pour servir de modèle.

"Eh bien, elles sont en rondins ou en bois rouge et elles ont toutes une sauna, ce qui est plus rare en Russie de ce que j'ai cru comprendre... Qu'est-ce que vous faites pour passer le temps ?"
C'est tout de même un sujet plus passionnant que de parler architecture.

Un sauna dans toutes les maisons ? Voilà qui était exotique ! Un jour, se promit Raïetchka, elle visiterait cette région aux habitations si originales. « En général on a cours en semaine. Et le dimanche on va à la messe, bien sûr. En dehors de ça, on fait aussi des sorties en famille, comme venir embêter Natachenka à l’aéroport, par exemple. » Elle glissa en même temps un regard taquin en direction de cette dernière. Il faut dire que depuis que leur soeur avait choisi un destin d’aéronaute, elles la voyaient bien moins souvent.

De leur côté, Lumi et Ilma ne suivent pas de cours, à la place elles lisent par elles-mêmes des livres et le reste du temps, elles travaillent, transport de marchandises et de personne, attaques de dirigeables et cetera.
"Est-ce que vous êtes allées voir l'exposition universelle ? Nous y avons vu un modèle de dirigeable miniature et un appareil photographique en couleur."

« Oh oui ! Nous avons vu l’appareil de photographie en couleur aussi ! Et une locomotive qui pulvérise tous les records de vitesse actuels, mais la démonstration avait lieu la veille de notre visite, malheureusement. » « Il y avait aussi un oiseau mécanique capable de chanter plusieurs airs différents », compléta Tsillia, avec le même enthousiasme que sa soeur. L'objet à la jointure entre art et technologie avait hanté ses pensées pendant de nombreux jours.

"Oh oui, l'oiseau était si beau ! J'adore les animaux, pas vous ?" dit Lumi avant de s'apercevoir du terrain sur laquelle elle avait emmené les filles. "Enfin, pas les zootropes, les vrais animaux surtout."

La réponse joyeuse de Raïetchka mourut sur ses lèvres quand elle entendit le mot peu usité qui amenait la conversation en terrain périlleux. Elle s’interrogea d’ailleurs sur le choix de mot de son interlocutrice, mais l’attribua à ses origines étrangères (évidentes à son accent). « Je vous déconseille d’utiliser ce mot dans ces régions. » Autant dire qu’elle n’avait aucune envie de creuser le sujet avec une parfaite étrangère, et elle comptait bien le clore sur une simple remarque de vocabulaire. « Notre mère n’accepte pas les animaux d’intérieur, donc à part les chevaux, nous n’en voyons pas souvent. »

Lumi et Ilma ne comprennent pas ce qui a pu refroidir ainsi leurs guides.
"Quel mot ? Je suis désolée, je ne savais pas que "vrais animaux" était un mot péjoratif..." dit Lumi toute penaude.