Rappel du premier message :



Trois des six pattes du Sarien vinrent s’écraser entre ses omoplates, envoyant une onde douloureuse se répercuter dans chacune des vertèbres de Torn. Il hoqueta de surprise, recrachant à moitié la gorgée d'alcool frelaté qui retourna par miracle dans son verre, tandis que son compagnon éclusait son sixième godet. Le colosse kératineux démontrait fréquemment son enthousiasme par des tapes répétées, pas toujours sollicités.

"C'est Josh qui va être content de nous revoir avec ce qu'on lui ramène. T'es pas pressé de rentrer, toi ?"

Pas trop. Torn comptait bien profiter de cette escale loin de la station du Nabot et à la croisée de toutes les routes stellaires pour mettre les voiles avant d'être découvert pour ce qu'il était. Une taupe de l'AAG. Un animal en voie d'extinction. Non pas que l'Alliance ne mette pas des sommes considérables sur la table dans des programmes de préservation... Mais leur durée de vie une fois identifiées ? Pas super étendue.

L'indic' se leva donc, plantant là le Sarien, avec un clin d’œil autant dû à la douleur qui pulsait dans son dos qu'à son envie de sauver les apparences.

"Je te laisse, faut que j'aille me trouver un peu de carburant pour le trajet."

Il tapota sa poche droite d'un air entendu avant de faire volte-face et de traverser l'atmosphère embrumée de la cantina à grandes enjambées.

Un sourire de rapace écorcha le visage avenant de la Shreek. Elle avait changé son masque pour que ses teintes cramoisies s'harmonisent avec les dunes rouges de Galados. "Vous pensiez sérieusement le contraire ?" caqueta-t-elle d'un ton méchamment taquin. Ses griffes se posèrent avec un air d'innocence factice sur l'épaule de l'humain. "Après toi, partenaire." siffla Vacuum en montrant la voie vers un quai de navette.

S'il avait pensé le contraire ? "Nous les humains nous troquons volontiers la sagacité pour l'espoir. Cela ne vous aura pas échappé." Il tâcha d'élaborer un plan d'évasion, l'avorta quand il réalisa qu'il n'avait ni trombone ni liquide vaisselle sous la main. La navette était bien entretenue, même si elle avait connu bien des affrontements. L'agent s'y engouffra et chercha de quoi s'accrocher pour le départ. Il espérait seulement qu'il n'y aurait pas de violence inutile. Les effusions de sang gratuites, ce n'était pas sa tasse de thé.

Si Galados regorgeait de dunes, elles étaient loin de contenir autant de sable que celles de Manooine. Une rocaille sans fin se dressait sous eux. Sous son masque qui la protégeait de l'air nocif de la planète, Vacuum laissa échapper un souffle méprisant... et n'hésita pas une seconde à balancer Torn vers la sortie dès qu'ils furent posés. Après tout, cela faisait un moment que leurs combinaisons n'avaient pas été testées...

Ses poumons n'explosèrent pas spontanément, ce qui le remplit une nouvelle fois d'une joie inexplicable. Lorsque votre vie ne tient qu'au bon vouloir d'une donzelle galliforme, tous les petits plaisirs du quotidien se trouvent décuplés. Comme voir son masque filtrer efficacement l'atmosphère toxique. Pour un peu, il aurait entamé une petite gigue, mais personne dans le bar ne jouait de violon. D'ailleurs il n'était même pas dans un bar. Il se fit la promesse de remédier à cet état de fait sitôt que possible. "Nous avons un objectif plus précis que "espionnez, les enfants !", j'imagine ?"

Vacuum lui jeta un regard méprisant, son air prédateur accentué par son masque rougeoyant. "Ta liste avait des noms intéressants mais surtout celui de Kataar. Il vit dans le coin, un grand magnat dans le commerce et les finances. Josh a souvent fait appel à lui... selon tes informations, les rebelles aussi." Son sourire s'ourla vers le cruel. "Je te laisse ouvrir la marche, partenaire. Après tout... il s'agit de tes informations." Le message était clair : trompe-moi, et tu seras un bouc émissaire sans espoir de salut.

Assurément, Torn se sentait parfaitement à l'aise. À peine finissait-il de trahir une organisation mafieuse composée de Sariens qu'on le traînait sur une planète peuplée de Sariens, dans une famille Sarienne, mafieuse, un tantinet rebelle. Il aurait vraiment fallu un sixième sens particulièrement affûté pour se sentir en danger dans cette situation, lui l'agent de l'AAG. Bah, au moins les Sariens étaient-ils pour la plupart moins insensibles à son humour que ces Shreeks. "Si c'est Torn qui le dit, c'est toujours garanti." Il aurait pu faire carrière dans le marketing. Un rêve d'enfance piétiné parmi tant d'autres.

Les aigrettes de Vacuum frétillèrent... et ses suivants, Blue et Gyp, la fixèrent d'un air éberlué. Elle riait. Pour sa défense, la répartir de l'humain était par moment amusante ! Il ne se laissait pas aller dans la peur et c'était dépaysant de la faiblesse des autres de sa race. "Nous te suivons donc." dit-elle d'un air presque aimable, la voix trop veloutée d'une menace prédatrice pour maintenir l'illusion. Il l'amusait, mais restait sa proie.

Leur petit équipage croisa la route de nombreux Sariens sur le chemin. Masqués, et en combinaison, ils attiraient les regards. Torn coula un regard vers son escorte, avant de réaliser une recherche rapide sur son holo-bracelet. "C'est un angle mort pour l'AAG. Presque pas d'infos, à part les balivernes de façade et la nature de ses dernières transactions légales." Il s'arrêta devant un gigantesque complexe, dont les tours élancées semblaient défier la gravité marquée de Galados. "Au moins, on sait où il habite."

Après un signe de la main, leurs leurs tenues avaient pris des couleurs plus bariolées, plus festives, plus accueillantes. Gyp mettait en valeur les grosses caisses qu'il trimbalait sur un porteur anti-grav. Blue s'approcha de la porte à laquelle elle sonna. "Bonjour, clan Hzar'ka. Je vous amène une cargaison... spéciale. Animaux rares et exotiques, pour votre plus grand plaisir. Nous avons même une plume d'un Fénicuum." Les Serrétoiles en possédait une collection transmise depuis des vies de Shreek, même si beaucoup s'avéraient fausses ; personne ne pouvait le savoir. Cet appât alléchant devrait faire sortir la proie de sa tanière...

D'abord, il ne se passa rien. Puis, le temps pour un intercom quelque part de grésiller, la personne en charge d'ouvrir la porte fit ce pour quoi on la payait. On les conduisit à travers des coursives irrespirables qu'un Sarien aurait sans doute décrit comme "plaisamment ventilées". Nouvelle porte, arrivée dans un salon richement décoré. Torn se serait bien épongé le front, mais le masque l'en empêchait. Dans un fauteuil, encadré par des gardes du corps hilares, Kataar achevait ce qui ressemblait fort à une blague. Il avisa les arrivants et reprit son sérieux, imité par sa suite. En bon business man, il lorgnait déjà les caisses.

Kataar Hzar'ka était un Sarien bien plus impressionnant que Josh le Nabot. Sa prestance en imposait et Vacuum était heureuse de ne pas avoir à le combattre ; il dépassait les effectifs amenés dans cette mission. Alors que Blue et Gyp faisait leur show, elle activa de deux griffes habiles un hologramme de substitution et l'invisibilité de leurs tenues, à elle et Torn. "Nous avons affaire ailleurs, partenaire." murmura-t-elle très bas dans leur intercom. Ils devaient trouver le bureau de Kataar en priorité.

Il se voyait de dos. C'était donc à ça que ressemblait sa coupe, vue de derrière ? L'hologramme faisait un Torn convaincant, mais il se promit de se trouver un nouveau droïde coiffeur. Ce début de mulet le débectait. "Go." Il se coula hors de la pièce, rasant les murs. Évidemment, les lieux grouillaient d'employés et d'hommes de main, mais il était passé maître dans l'art du faufilage, à force de devoir esquiver les gros poissons qui voulaient sa peau dans les cantinas. D'alcôves en coursives, de coursives en salles immenses, ils progressèrent vers l'objectif.

Elle aurait fredonné de joie devant l'habilité de leur infiltration - et en plus, elle enregistrait l'holo-plan de la maison - sauf que Vacuum ne tombait pas aussi bas. Après quelques couloirs, ils tombèrent sur une porte gardée par un immense Sarien aux bras gros comme la taille d'un Shreek. Vacuum renifla : ils arriveraient sans doute à en venir à bout mais en fichant en l'air leur couverture. Elle se tourna vers Torn avec un sourire mauvais. "Rends-toi utile, humain."

Il suffisait de distraire le colosse pendant que la Shreek se glisserait dans cette pièce forcément très importante. Il s'approcha du Sarien, toujours sur la pointe des pieds. Lui chiper son oreillette semblait être un début. Minute. C'était quoi ce truc qui brillait à l'un de ses nombreux poignets ? Une Nebula-watch 4000. Le modèle le plus onéreux, capable de s'aligner sur les référentiels temporels de toutes les planètes que vous visitiez. Torn ne put retenir un sifflement admiratif. Avant de prendre conscience que le camouflage ne retenait guère les sons. Le garde porta la main à son holster et se mit à progresser dans sa direction. Oopsy.

Elle ne savait pas ce qui serait le plus stupide : que l'humain ait fait exprès de siffler pour attirer l'attention du garde ou qu'il ait oublié que leur camouflage ne filtrait pas les sons... Vacuum roula des yeux et abandonna à son sort le parasite : le butin était à portée de serres. Les codes de sécurité de Kataar Hzar'ka, ingénieux et chers soient-ils, ne résistèrent pas à l'habilité des programmes des Serrétoiles. Un sourire satisfait ourla le bec de Vacuum. Avec les informations obtenus, elle pourrait faire tomber Josh en toute sécurité ET faire chanter le clan Hzar'ka. "On décolle." souffla-t-elle à son bouclier/appât vivant.

L'appât était acculé par le garde dans un fond de couloir. L'une de ses mains griffues tenait un pistolet juste un tantinet moins cher que la montre. Les autres se refermaient à intervalle régulier dans le vide devant lui, pour tenter de débusquer la menace fantôme. "On décolle" fit l'oreillette. "J'aimerais bien" pensa un Torn dépourvu d'ailes. Foutu pour foutu... Il effectua un plongeon suivi d'une roulade fort peu gracieuse entre les pattes de son opposant. Puis il détala. Désormais certain qu'il y avait matière à prévenir le boss, le Sarien porta une main à sa propre oreillette.

"Mais tu nous as fait repérer, Acarien de plume !" Le reste des jurons en langue shreek fut nettement moins poli. Vacuum s'éloigna le plus possible de l'imbécile, passant le code orange à ses suivants qui devaient maintenir coûte que coûte leur couverture. "Vous les humains, vous ne savez rien faire correctement. Si tu te ramènes avec un ennemi, tu crèves. Si tu es en retard, tu crèves. Compris ?" siffla-t-elle à l'oreillette.

Sans trop de surprise, les Sariens apprécièrent assez peu l'intrusion d'un spectre dans le complexe. Talonné par des poursuivants toujours plus nombreux, Torn réfléchissait à ses options. Avec un peu de chance, les emplumés avaient déjà vidé les lieux. Il s'engouffra dans une cage d'escalier, avala plusieurs volées de marches avant d'ouvrir une porte qui débouchait... sur un toit. Aïe. Quatre étages en contrebas, les passants vaquaient à leurs occupations. La porte s'ouvrit derrière lui, quasiment arrachée de ses gonds. Il plongea.

Vacuum avait pris la prudence de placer un traceur sur l'équipement de Torn, elle pouvait donc suivre son avancée. Manoeuvrant efficacement la navette en mode invisible, la Shreek rattrapa en un courant d'air l'humain pathétique et fila à toute vitesse vers les dunes, inaperçue. "Occupez-vous de nous sortir de ce guêpier sans compromettre le Serpentaire." gronda-t-elle à ses suivants en sortant d'un pas énervé. Dès qu'elle trouva Torn, elle s'avança vers lui avec les aigrettes dressées en une auréole de fureur autour de sa tête. "Combien vaut ta vie, engeance inutile ?!" claqua-t-elle.

L’atterrissage fut plus rapide que prévu, mais tout aussi rude. Intercepté par la navette, l'agent mit une minute à s'assurer que tous ses os étaient bien en place. Tibia ? Aïe, oui. Coccyx ? Ouille, oui. Radius ? Définitivement cassé, mais encore là. À peine reprenait-il ses esprits que la tempête Vacuum s’abattit sur les côtes de la péninsule Tornienne. "Vous avez eu votre distraction." Il se releva, grimaçant. "Et puis, en voyant l'amateurisme de la manœuvre, Kataar se dira que ça ne peut être que l’œuvre de stupides humains. Moins de suspicion pour des professionnels Shreeks tels que vous." Ces serres étaient définitivement trop grandes.

"Bon point." reconnut Kishareera qui ne décolorait pas. "Mais j'ai sauvé ta vie pathétique suite à une erreur aussi... ridicule." Elle cracha le mot comme une insulte. Ses serres crissèrent sur le sol, agitées d'un frisson énervé. "Donc je me répète : que vaut ta vie, humain ?"

Le marché fluctuait beaucoup. Il fallait d'abord déterminer de quoi l'on parlait exactement en employant le terme de vie. Cherchait-on à estimer le prix que ses proches seraient prêts à payer pour le revoir entier ? Ou parlait-on de la somme que ses ennemis accepteraient d'allonger pour mettre la main sur sa personne ? Et puis le taux de change crédits/vie humaine était vraiment bas en ce moment... Torn se garda bien de partager ses considérations économiques avec la Shreek. Elle ne semblait pas d'humeur. "Probablement pas assez pour que vous vous donniez la peine de l'abréger ?" Il avait la diction du condamné : saccadée, frénétique.

"Oh que si... je m'en délecterai..." ronronna Kishareera en s'avança d'un pas lent et cliquetant vers sa proie, l'oeil prédateur et le bec étiré de cruauté. "J'ai tenu ma part du marché, je t'ai exfiltré de tes Sariens, mais rien n'indiquait que je devais me mettre en danger en te sauvant les miches une deuxième fois." Les serres vinrent jouer avec la veste de l'humain alors qu'elle inclinait sa grande taille vers lui, susurrante. "Tic. Tac. Le temps tourne, humain pathétique. Rends-toi vite plus utile que de me servir de punching-ball."

Son bras meurtri maintenu contre lui, Torn plongea sa main encore valide dans sa poche à la recherche de quelque chose -n'importe quoi- qui pourrait lui sauver la vie. Elle se referma sur ce qu'il avait dérobé au clan de Josh il y a une éternité de cela : aujourd'hui même. Du temps où son blouson n'avait pas encore été déchiqueté par des serres en tout genre. Il se dégagea, recula jusqu'à être adossé au mur de la navette. "J'ai une vente sur le feu. Laissez-moi en vie et vous empocherez les bénéfices. 8000 crédits. De quoi vous acheter toute une collection de punching-balls !" Il aurait bien voulu garder la somme pour lui, mais en l'état...

Les aigrettes se dressèrent une seconde puis s'abaissèrent. "Mmmmhhh..." Elle laissait volontairement l'humain pathétique mariner dans son bain de sueur. Pour Kishareera, Matriarche des Serrétoiles, Messagère du Vide, Cheffe de la Volée, 8000 crédits n'étaient qu'une bagatelle pour s'acheter une parure de cérémonie. Pour Vacuum, mercenaire reconnue et appâtée par l'argent facile, 8000 crédits étaient une aubaine intéressante. Il serait aussi de bon ton de laisser une trace de Vacuum afin de maintenir vivace sa couverture. Elle sourit donc en tapotant le menton de l'humain de sa griffe. "Deal accepté."