C'est la fin de la soirée. Les leçons ont été bouclées. Les repas mangés. Il ne reste rien à faire pour les garçons sauf la prière et espérer que Dieu les bénisse d'une nuit complète et reposante. Le réveil, comme tous les réveils, s'annonçait tôt. Pas un problème pour Pasha qui faisait partie de cette rare espèce des lèves-tôt même avant les habitudes que lui avait instruit le camp de Saratov. D'abord dû aux insomnies, mais puis simplement par le plaisir d'être levé quand la plupart de ses camarades profitaient encore d'un profond sommeil. S'il n'osait pas toujours sortir pour bénéficier du calme du cloître, il aimait aussi simplement écouter les respirations de ses camarades ce qui provoquait comme un état de transe et, par conséquent, du calme total.


Pasha, comme les autres de son dortoir, se prépara pour la nuit. A leur âge, ils avaient déjà développé l'habitude de garder une arme sur eux en permanence ("une bonne leçon pour la dissimulation de vos armes à l'extérieur du camp"). Sa dague était la première chose à passer sur la table de nuit avant qu'il procède à se déshabiller. D'abord : bottes.

Les chaussures furent soigneusement placé au pied du lit. Pasha était aussi ordonné qu'un soldat. Il était un soldat. Il devait se le rappeler plusieurs fois. Bientôt, si Dieu le voulait, il fera partie de son armée à l'extérieur de ces murs qu'il appelait "maison". C'était angoissant d'y penser... mais d'un autre côté il avait hâte d'enfin pouvoir se commettre complètement à son rôle.

Chemise maintenant.

Y a du nouveau, chantonna Abram sur un ton moqueur. Les trois autres garçons relevèrent la tête. Comment tu sais ? Le lit de Valentin vient de se vider et il y a des voix derrière la porte. Un plus un... Abram ouvrit la porte d'un grand geste. Sûrement avec l'intention de faire sursauter les nouveaux venus.

Klyde n'avait pas eu le temps de faire quoique ce soit que la porte s'ouvrir brusquement, donnant un coup de flip aux deux plus jeunes. Si Vadim s'en remit plutôt rapidement, s'en voulant pour cette faiblesse, le brun resta muet devant le sourire carnassier du garçon qui lui pourrissait la vie depuis maintenant un an... depuis cette histoire de dague cachée pendant l'entrainement.

Sourire pour avoir réussi, certainement. Peut-être même un peu plus maintenant que sa victime désignée vint dans son territoire. Pas besoin de chercher loin pour le faire chier des façons les plus créatives sans briser les règles bien strictes du camp. Pasha était d'avis qu'il y avait de meilleures façons de passer son temps ici, mais Abram était assez discret pour pas se faire choper par leurs instructeurs et éviter leur colère. Klyde ?

"Pavel !" Le "Oh merci Dieu" soulagé était palpable dans sa voix en voyant son mentor derrière l'armoire à glace ; même si devant ladite armoire, Klyde évitait de paraître trop faiblard. "Frère Ruslan a dit qu'on dormirait ici maintenant" tenta Vadim en remarquant que son camarade de chambrée ne servait strictement à rien sur ce coup.

D'accord, heu, une seconde, on libère le lit. David et Yakov avaient utilisé le lit de Leonid pour le rangement de leurs affaires personnels. Le lit de Valentin était bien évidemment encore libre. Ses draps n'avaient même pas été changé. Viens te mettre ici, Klyde, suggéra Abram en tapotant le lit à côté de lui.

Le lit désigné n'était pas loin de la porte mais Abram le séparerait de Pavel et jusqu'à maintenant, le roux était l'unique protection du jeunot face à la grande brute (Klyde désespérait vraiment de grandir à son tour, même Vadim le dépassait d'une demie-tête). "Uhm... n-non, merci...?" osa-t-il répondre en zieutant le second lit libre dans le fond en face de Pavel !, les bras serrés contre ses effets personnels.

Viens ici plutôt, offrit Pasha, le pouce pointé vers le lit en face de lui. Abram savait qu'il pouvait que moyennement faire chier Pasha, même à côté de lui. S'y prendre à Klyde avait été une toute nouvelle méthode pour l'ennuyer, même si pour le moment, ça n'avait fait qu'augmenter la responsabilité qu'il ressentait envers le garçon. Si Abram s'y prenait à lui c'était partiellement sa faute, après tout.

Vadim leva les yeux au ciel, fatigué (et jaloux) de l'attitude dévouée du "bébé" devant son mentor. Il n'avait jamais pu digérer le fait que Klyde soit entraîné personnellement, le charriant comme quoi il faisait pitié aux prêtres pour avoir un professeur privé (et lui en voulait encore plus d'être devenu bien meilleur que lui depuis). "Merci" répondit le petit brun en se posant sur la place désignée, essayant de faire abstraction au regard noir de son bourreau pour l'avoir défié.

Il lui avait déjà répété sans cesse de simplement l'ignorer, qu'il prenait plaisir à voir sa réaction et que la meilleure chose à faire était de pas lui en donner. Une tâche difficile pour quelqu'un qui porte ses sentiments sur son visage (contrairement à lui), mais au moins il y avait du progrès. Echange peut-être les draps. C'est— correction. C'était le lit de Valentin. Ah. Il était déjà au courant, d'ailleurs ?

Il n'allait pas lui proposer de l'aide. Abram allait certainement en profiter pour faire une remarque sur son incapacité de faire un lit tout seul ou un truc dans le genre. A force de côtoyer le personnage, le roux commença à le connaître par cœur. Il laissa donc Klyde tranquille et se contenta de continuer de se déshabiller pour se mettre en chemise de nuit.

Un "ta gueule" aurait été déplacé, même si Pasha jugeait qu'Abram le méritait. Il se contenta de lui jeter un regard noir avant de se glisser sous la couette. Vous avez des rituels de soirée ? demanda un des garçons au nouveaux-venus.

"Klyde chante parfois pour la prière avant de dormir" le vendit sans retenu Vadim, provoquant un énième rougissement de gêne du brun. "Sinon... et bien... il fait ses trucs et moi les miens." Une façon comme une autre de dire que les garçons plus jeunes ne s'adressaient guère la parole.

Surtout ne te prive pas de tes habitudes, fit Abram en ricanant. Comme Pasha, il se trouvait déjà dans son lit. Tu ferais mieux de te concentrer sur ta propre prière. Laisse Klyde tranquille. Le roux adressa un regard qui se voulait rassurant au petit caneton. Abram aurait sûrement utilisé le chant comme un autre élément de moquerie.

Que Pavel prenne sa défense si ouvertement le fit rougir différemment, comme une chaleur sur le cœur et le creux de son ventre. Même les compliments de Sveta ne lui faisaient pas le même effet. A présent sous ses draps propres, Klyde marmonna sa prière en chantant mais sans forcer sur sa voix, juste un murmure mélodieux.

Pasha, qui avait pourtant souffert d'insomnies dans son enfance, dormit sur ses deux oreilles. Il était maintenant au camp pour un peu plus de dix ans et s'y sentit totalement en sécurité. Ça n'empêchait malheureusement pas le rythme biologique de son corps, qui lui demandait parfois de se lever en pleine nuit pour se vider la vessie. Le roux se leva doucement et machinalement. Il n'avait pas besoin de lumière pour pouvoir se déplacer dans son propre dortoir.

Le bruissement des draps d'un des lits en face le sortit de la pseudo torpeur dans laquelle il avait réussi à se glisser. Brusquement, Klyde se redressa pour décourager Abram de venir lui faire du mal. Il semblait que le grand n'avait pas beaucoup avancé, encore debout entre son lit et celui de Pavel.

L'ombre s'immobilisa. Il avait réveillé Valentin. Le garçon avait pourtant un sommeil profond. Pasha garda le silence, espérant que Valentin allait reprendre le sommeil s'il se rendait compte que ce n'était que lui, avant de percuter que Valentin n'était plus là. La mémoire fait de choses étranges durant la nuit. Klyde ? chuchota le grand. Tu ne dors pas ?

HRP: